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Regard critique · Justice sociale

Au féminin précaire : la rupture amoureuse comme révélateur

À la veille de la journée de la femme de ce 11 novembre, Vie féminine a présenté les résultats d’une étude sociologique1réalisée au départ du témoignage de femmes issues de différents horizons, une étude intitulée « Au féminin précaire ». Des femmescoincées entre des politiques sociales de plus en plus restrictives et des salaires si bas qu’ils ne permettent pas de vivre dignement. Des femmes qui découvrent brutalement leurpauvreté après une séparation. Des femmes qui mettent leur travail entre parenthèses pour s’occuper des enfants et se retrouvent plus tard avec une pensionminuscule. Des femmes pour qui, se loger décemment, se soigner, se cultiver sont des désirs hors de portée. Des femmes qui vivent sur le fil, redoutant le grain de sable quipourrait les faire basculer dans la pauvreté.

19-11-2006 Alter Échos n° 219

À la veille de la journée de la femme de ce 11 novembre, Vie féminine a présenté les résultats d’une étude sociologique1réalisée au départ du témoignage de femmes issues de différents horizons, une étude intitulée « Au féminin précaire ». Des femmescoincées entre des politiques sociales de plus en plus restrictives et des salaires si bas qu’ils ne permettent pas de vivre dignement. Des femmes qui découvrent brutalement leurpauvreté après une séparation. Des femmes qui mettent leur travail entre parenthèses pour s’occuper des enfants et se retrouvent plus tard avec une pensionminuscule. Des femmes pour qui, se loger décemment, se soigner, se cultiver sont des désirs hors de portée. Des femmes qui vivent sur le fil, redoutant le grain de sable quipourrait les faire basculer dans la pauvreté.

« Si Vie féminine s’est intéressée à la précarité, c’est au départ de ‘petites choses’ rapportées par lesfemmes que notre mouvement rassemble par ses actions de proximité, introduit Hafida Bachir, présidente nationale du mouvement. Il nous était impossible de passer àcôté, de ne pas chercher à comprendre, de ne pas écouter et entendre ces femmes. Ces femmes prises entre des politiques sociales boiteuses et des salaires insuffisants,entre les rôles traditionnels et l’envie d’être soi. Des femmes qui, progressivement ou brusquement, se sont trouvées dans une précarité affective,sociale, financière… Nous avons donc voulu savoir comment les femmes vivent cette précarité aujourd’hui. Comment, dans un monde encore inégalitaire, laprécarité constitue peut-être le lot de la féminité. Autrement dit, être une femme, n’est-ce pas déjà être précaire ?»

Pour explorer ces enjeux, Vie féminine a déterminé les différents champs de la vie à questionner : le couple et les enfants, l’emploi, les revenus, lasanté, la culture, le temps et la mobilité, le logement… En toile de fond, des questions transversales comme la résistance, la justice, la qualité de vie, lalocalisation, l’avenir. Et une ligne du temps (avant, maintenant, dans le futur) enrichie d’une dimension multiculturelle (ici/là-bas).

La rupture comme révélateur

L’étude permet de mettre en évidence que ce sont les femmes en situation monoparentale qui sont les plus concernées par la précarité. “La rupture ades effets différents pour les deux conjoints. L’étude dévoile un processus de précarisation initié dans la vie de couple, pendant laquelle la femme seretrouve à devoir opérer des choix bancals entre la sphère privée et la sphère publique”, précise Valérie Lootvoet, du bureaud’étude de Vie féminine.

“Parmi les femmes que nous avons rassemblées, beaucoup connaissent la précarité parce qu’elles se sont un jour retirées du marché de l’emploiafin de se consacrer à leurs enfants, au ménage, à la sphère privée, poursuit notre interlocutrice. Tant que le couple dure, elles ne perçoivent pas leurprécarité. Elle fait souvent surface avec la rupture.”

Ici, l’étude remet en question les modèles idéaux de la femme, dont principalement celui de la “bonne mère” qui se sacrifie pour ses enfants.“La femme est donc largement handicapée par ce choix qui lui fait perdre en autonomie, par ce devoir conféré par la société d’assumer une sériede choses, une série de rôles multiples.” Des renoncements fortement liés à la maternité, « que notre société continue àdéfinir comme un effacement de soi alors que ce modèle est rejeté par la majorité des femmes ».

De la sorte, l’investissement familial aurait tendance à grever l’investissement professionnel. À la rupture, la situation de ces femmes est donc mise à mal. Et siles pensions alimentaires existent, l’étude montre à travers divers témoignages les difficultés qu’ont ces femmes à les percevoir face à despères qui assument peu leur rôle.

La précarité naît ainsi de l’interdépendance entre différents domaines (emploi, santé, culture, logement, couple, enfants, revenus, temps…) etau moindre grippage, on assiste à une série d’effets en cascade.

Crise de confiance

La recherche révèle également que les femmes se retrouvent dans une grosse crise de confiance, vis-à-vis de la société et du couple : elles ne s’ysentent pas reconnues, pas soutenues, pas écoutées, pas entendues.

Une crise de confiance face à des institutions qui ne remplissent plus leur rôle de soutien, au point que certaines femmes renoncent à exercer leurs droits. De nombreuxexemples ont ainsi évoqué les problèmes d’accès à la justice, la durée des procédures, la difficulté à obtenir le paiementd’une pension alimentaire, etc. « Ce qui est en cause, analyse Valérie Lootvoet, c’est la philosophie et le fonctionnement global de l’État social actif.C’est aussi la question de l’accueil et de l’accès qui est posée. »

Crise de confiance également provoquée par le décalage entre des modèles familiaux nouveaux (ex. : la monoparentalité) et des politiques qui seréfèrent toujours à des notions patriarcales du ménage. « Des politiques qui continuent à ignorer la charge familiale : la société fonctionnecomme s’il n’y avait pas d’enfants… Aux femmes de se débrouiller ! », témoignera une participante.

Crise de confiance aussi face au « masculin », qui n’a pas tenu ses promesses ni dans la parentalité, ni dans la conjugalité. Dans un contexte oùl’égalité des sexes est partout proclamée.

Réactions

Lors de la table ronde de l’après-midi, différents intervenants sont revenus sur les aspects qui les avaient frappés à la lecture de cette étude, quelque peuparticulière, il faut le dire, dans le champ des travaux habituellement réalisés.

Ainsi, pour Philippe Defeyt, économiste à l’Institut du développement durable, il faut insister sur ce qu’il appelle les pièges « financiers »,ce que Vie féminine nomme, dans l’étude, les pièges du « non-emploi ». « Le passage du non-travail au travail reste pénalisant, et davantage pourles femmes dont les salaires sont plus bas, constate l’économiste. Les jeunes femmes précaires ont deux fois plus de chances d’obtenir des CDD que les hommes, sans parler dutemps partiel subi, avec des demi-salaires, voire des salaires inférieurs à la moitié, on est loin des « 4/5 choisis » du secteur bancaire. Deux tiers des hommes qui travaillentdans la fonction publique sont nommés, moins de la moitié en ce qui concerne les femmes, et on pourrait encore continuer longtemps… » Et Philippe Defeyt d’attirerl’attention sur une problématique qu’il qualifie de « trou noir social », c’est–à-dire, le fait que de nombreuses femmes précaires sontconsidérées comme « non actives » et ne figurent donc ni dans les chiffres du chômage ni dans ceux du revenu d’intégration, et que personne ne peut doncévaluer leur nombre ni leurs qualités. « On peut juste supposer qu’il s’agit en grande partie de femmes immigrées. »

Françoise Pissart, directrice à la Fondation Roi Baudouin, fait quant à elle remarquer l’originalité de la recherche et de sa méthodologie. « Pourune fois, on ne nous livre pas une étude quantitative, assortie de quelques récits sensationnalistes pour les bons papiers des journalistes. Les témoignages balaient large, maistout en finesse. Il est essentiel pour moi que cette étude sorte du cercle des associations féministes et qu’elle en contamine d’autres, en ce compris la Fondation RoiBaudouin. Je suis frappée de voir à la lecture de l’étude combien le rôle de la rupture dans le couple peut être un facteur déclencheur deprécarité pour la femme. On parle souvent des conséquences du divorce sur les enfants et du paiement des pensions alimentaires, mais peu des autres conséquences sur la viedes femmes, il faudrait qu’on arrive à mieux anticiper les conséquences de ces ruptures dans les autres champs de la vie. » Mais Françoise Pissart se ditégalement frappée par le ton plutôt « plaintif » de l’étude : « Il faut attendre les conclusions pour qu’on parle de la force et de lacombativité des femmes, dommage… »

Anne Herscovici, présidente du CPAS d’Ixelles, évoque de son côté les problèmes de logement. « Se loger devient un problème pour tout le monde,mais il est particulièrement crucial pour les familles monoparentales, avec souvent un seul revenu. La seule manière de s’en sortir, c’est de tricher, de ne pas avouerqu’on cohabite. Or, le courant dominant est à la sanction et à la culpabilisation, et les femmes précarisées en font les frais. » Et d’évoqueraussi la problématique des femmes sans-papiers, non reprises dans les statistiques, et pour lesquelles la précarité est pourtant bien réelle.

Annette Perdaens de l’Observatoire du social et de la santé de la Région bruxelloise s’interroge quant à elle sur l’utilité des luttesféministes des années 1970 « qui n’ont apparemment pas servi pour toutes les femmes » et de questionner les valeurs d’égalité que l’ontransmet à nos enfants.

Enfin, en guise de conclusion, la présidente de Vie féminine, Hafida Bachir, reviendra sur une constante frappante : malgré les importantes évolutions sociales, lesfemmes restent, la plupart du temps, étroitement liées à la famille et aux enfants. Et c’est à partir de cette position qu’elles tissent des liens entresphère privée et sphère publique. C’est sans doute dans ce nœud que réside l’une des clés de la précarité au féminin.

1. L’étude a été publiée sous forme d’ouvrage Au féminin précaire. Comment les femmes vivent-elles la précaritéaujourd’hui ?. Il est disponible au prix de 9 euros auprès de Vie féminine, secrétariat national, rue de la Poste, 111 à 1030 Bruxelles ou par courriel :secretariat-national@viefeminine.be

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