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"ATD Quart monde : les savoirs de la misère en partage avec les savoirs des acteurs de terrain"

27-08-2001 Alter Échos n° 103

« Vous ne nous connaissez pas et en même temps vous en connaissez trop », faisait remarquer un militant du mouvement ATD Quart Monde aux intervenants sociaux avec lesquels il travaille en cemoment dans le cadre du nouveau programme franco-belge, « Quart Monde Partenaire », lancé par le mouvement ATD Quart Monde en janvier 2000. Un programme qui prend fin en décembre 2001 etdoit aboutir à la publication d’un rapport.
L’origine du projet « Quart Monde Partenaire »
Le projet consiste à engager une recherche action-formation avec des militants du refus de la misère et des intervenants sociaux afin qu’ils se forment ensemble à laconnaissance réciproque et au partenariat avec les plus démunis. Car là se situe le nœud des malentendus, des blocages, des incompréhensions réciproques quirendent les relations difficiles entre les populations en difficulté et les institutions chargées de leur venir en aide ou de répondre à leurs demandes. Desdifficultés qui ont entre autres pour conséquences d’enfermer davantage les personnes dans un sentiment d’exclusion, de les priver parfois des aides auxquelles elles ontdroit. Et du côté des institutions, d’amoindrir l’efficacité de leurs interventions et de manquer leurs objectifs. Or, la relation avec les professionnels est lequotidien des pauvres, explique Claude Ferrand, permanent ATD Quart Monde et coordonnateur du programme. En détenant une certaine maîtrise de leur situation, ils peuvent tirer profit deleur relation avec ces professionnels. Auquel cas, les interventions dans leur vie privée sont brutales, poursuit-il. Chacun reste avec ce qu’il sait, sans construire une solution quisoit commune. « Et chaque fois que nous faisons comme si la personne pauvre n’existait pas, nous lui imposons notre point de vue ». L’intérêt d’une co-formation est deremettre en cause son propre savoir et, dans le dialogue, de reconstruire une relation qui change réellement les pratiques.
Ce projet s’appuie sur les acquis d’un programme précédent (1998-1999) de croisement des savoirs de la misère avec les savoirs du monde scientifique universitaire. Ladémarche réciproque des savoirs a démontré que les très pauvres sont détenteurs d’un savoir qui, lorsqu’il est croisé avec les savoirs desuniversitaires, produit une connaissance plus complète de la réalité. Une connaissance à diffuser dans les lieux de formation. Il en a résulté la publicationd’un livre tiré en 5.000 exemplaires et épuisé ! Un projet de réédition, voire de publication en collection de poche, est à l’étude. Uneconviction initiale à ce programme : les personnes pauvres ont un savoir unique et spécifique que d’autres n’ont pas, un savoir enfoui, en friche à faireémerger et à mettre en dialogue. « Nous ne pouvons passer au-dessus de l’expérience vécue des souffrances », insiste Claude Ferrand. Une hypothèse que le mondescientifique devait valider. Ce qui fut fait. Les représentants du Mouvement étaient conscients qu’il manquait à ce programme les acteurs de terrain. La lutte contre lapauvreté demande du temps. « Or, elle se traite en urgence, signale Claude Ferrand. Identifier et formuler des connaissances portées par tous prend du temps et c’est toute lasociété civile qui est en cause ». L’enjeu est citoyen. Il s’agit de progresser et de construire ensemble ses droits ; de donner les moyens aux plus pauvres d’exercerleurs droits les plus fondamentaux en matière de santé, d’éducation, de travail, d’expression; de les entendre et comprendre exactement ce qu’elles veulent.Avec le temps, ces deux programmes ne feront plus qu’un pour répondre au vœu du fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski, de croiser et mettre en valeur le savoir desplus pauvres, le savoir de l’action et le savoir scientifique. Le programme est cofinancé, à concurrence de quatre millions et demi pour la Belgique.
Les intervenants du programme de formation
Il s’agit d’une recherche action-formation basée sur la co-formation de deux groupes d’acteurs-formateurs :
> vingt et un militants du Mouvement ATD Quart Monde : des hommes et des femmes en provenance de familles ayant vécu la grande pauvreté (certains ont participé au premierprogramme); des alliés (personnes qui ne vivent pas la pauvreté et qui ont un engagement dans le mouvement) et des volontaires permanents
> dix huit formateurs d’acteurs professionnels issus de différentes disciplines afin d’éviter de se focaliser sur le champ social (santé, formationprofessionnelle, justice, petite enfance, enseignement, culture, travail social, …). Pour la Belgique, cinq formateurs issus de Bruxelles-Formation, l’Ecole sociale de Mons, les Affairesculturelles de la Province du Hainaut, l’ONE et du SAJ. Ces institutions interviennent financièrement dans ce programme et en suivent la progression.
Trois universitaires4 et deux permanents du mouvement composent l’équipe pédagogique qui accompagne les participants au programme. Un Conseil d’orientation5, qui reprend lesreprésentants des différents partenaires impliqués, aidera à la validation d’un contenu de formation, à la diffusion et au transfert des résultats.
Déroulement, méthodologie et perspectives
Le programme se déroule en cinq séminaires de trois jours de co-formation à la connaissance réciproque et aux conditions de la pratique du partenariat. Les participantssont répartis en cinq sous-groupes, qui se réunissent une fois entre les séminaires. Les militants se voient en plus, une fois par semaine. « Une des conditions pour créerl’égalité dans le croisement des savoirs demande un accompagnement plus important des militants, témoigne Claude Ferrand. Ceux-ci sont préparés àentrer dans les discussions, qui vont toujours trop vite. Les professionnels du terrain ont quant à eux tendance à théoriser et à généraliser. »
> Mise en commun de trente-huit récits d’action récents qui relatent une interaction entre professionnels et personnes en difficulté. Transmission orale. Passageà l’écrit.
> Regroupement des éléments clés, repérage d’un certain nombre de nœuds, définition de cinq thématiques avec en fond, une question centrale(qui se précise au fur et à mesure)
> La connaissance et les représentations. Quelles sont les conditions pour bâtir une connaissance partagée qui devienne une référence pour permettre auxprofessionnels et aux personnes en grande pauvreté une transformation de la relation et des pratiques ?
> Précision des conditions prioritaires qui vont améliorer l’interaction entre les professionnels et les personnes en difficulté. Quels savoirs, quellescompétences apprendre et développer pour remplir ces conditions ? Le cinquième et dernier séminaire en îovembre mettra en forme et en écriture un rapport deplus de deux cents pages (diffusé début de l’année 2002) qui livrera les enseignements et les conditions de savoirs iden
tifiés qui peuvent être inclus dans unprogramme de formation.
Ainsi, moyennant une convention, l’institution qui veut former son personnel à mieux comprendre son public peut monter un module ou un programme de formation qui se réfèreaux outils et méthodes expérimentés par ATD Quart Monde, en collaboration avec ce dernier. Une autre perspective pour ATD Quart Monde est celle de constituer une équipepédagogique de formateurs mixtes, qui associe les trois types de savoirs. Equipe de référence, qui à terme, produira ses propres formations qui garantiront la place et lesavoir des personnes les plus pauvres. L’enjeu de cette co-formation est très important pour Claude Ferrand, parce qu’il vise le décloisonnement des savoirs. C’esttout un maillage de relations qui sont le cœur de la lutte contre l’exclusion, conclut-il. Et le croisement des savoirs demande un engagement commun.
1 Groupe de Recherche Quart Monde-Université, Le croisement des savoirs. Quand le Quart Monde et l’Université pensent ensemble, Collection « Des livres contre la misère »,Les Editions de l’Atelier – Les Editions Quart Monde, Paris, 1999, 525 p.
2 ATD Quart Monde, Claude Ferrand, rue de Belle Vue 71 à 7100 La Louvière, tél./fax : 067 28 40 17, e-mail : claude.ferrand@gate71.be
3 Les partenaires belges sont la Commission communautaire française, le ministère des Affaires sociales et de la Santé de la Région wallonne, le Forem, le ministèrede la Culture et de la Communication secteur Education permanente.
4 Le Centre de formation permanente de l’Institut Cardijn à Louvain-la-Neuve, l’Institut de formation et de recherche pour les acteurs du développement et del’entreprise à Angers (IFRADE).
Dont la FOPES (UCL), l’ULB, l’Union des Villes et des Communes section CPAS, le Centre universitaire de la médecine générale UCL, le Conseil supérieur de lajustice.

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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