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Associations de migrants en Flandre : conception et organisation

Coup de tonnerre dans le ciel associatif wallon : fin novembre 2005, la ministre de l’Action sociale, de la Santé et de l’Égalité des chances, Christiane Vienne(PS), supprimait les subsides à 82 des 147 associations œuvrant pour l’intégration des migrants. Mais que se passe-t-il de l’autre côté de lafrontière linguistique ?

13-01-2006 Alter Échos n° 200

Coup de tonnerre dans le ciel associatif wallon : fin novembre 2005, la ministre de l’Action sociale, de la Santé et de l’Égalité des chances, Christiane Vienne(PS), supprimait les subsides à 82 des 147 associations œuvrant pour l’intégration des migrants. Mais que se passe-t-il de l’autre côté de lafrontière linguistique ?

Récemment, Bart Somers, président du VLD, lançait un ballon d’essai au parlement flamand. Et si la politique d’intégration défendue par la Flandre etlargement inspirée du modèle néerlandais était un cuisant échec ? En cause : la politique de Bert Anciaux, le ministre de la Culture qui subventionne desassociations d’intégration de migrants en reconnaissant à celles-ci leur caractère ethnoculturel. Bart Somers lui reprochait de favoriser ainsi le repli communautaire.  » Lacritique s’est arrêtée là, note Dirk Jacobs, chercheur à l’ULB et à la KUL, qui travaille depuis une dizaine d’années sur les questions del‘immigration, mais elle démontre le climat qui règne actuellement en Flandre. L’assassinat de Theo van Gogh aux Pays-Bas a provoqué un choc dans la classe politiqueflamande. Désormais on parle d’interculturalité, de dialogue entre les groupes ethniques et avec les Flamands. On se méfie du multiculturalisme perçu comme facteurd’isolement « .

C’est là la première différence notoire d’avec les francophones, qui afficheraient plutôt un discours universaliste calqué sur le modèlefrançais qui affirme que nous sommes tous des citoyens au-delà des appartenances ethniques.  » En réalité, relève Dirk Jacobs1, les choses sont pluscomplexes et l’on remarque dans les faits une certaine reconnaissance implicite du multiculturalisme. « 
Assimilées au secteur socioculturel, les associations de migrants flamands bénéficient d’un sursis valable jusqu’en 2007 en raison de leur jeune âge et de leurfragilité. Après cette date, elles devront s’aligner sur les autres associations subsidiées par le ministère de la Culture. Ce secteur a étésommé de se décloisonner.  » Le discours qui consiste à marteler que nous ne faisons pas assez preuve d’ouverture nous paraît étrange, souligne Naima Charkaoui,coordinatrice du Forum des minorités. Je constate souvent la présence en nombre de Flamands dans les activités des associations créées par les minoritésculturelles. Mais la réciproque est-elle aussi vraie ? « 

Dirk Jacobs remarque que les autorités flamandes sollicitent énormément les associations de migrants.  » On les consulte lors de réunions intercabinets sur des sujetsaussi divers que l’emploi, le logement, la discrimination ou encore les femmes et la jeunesse. Mais force est de constater qu’on y retrouve toujours un peu les mêmes personnes. Onleur demande également de relayer auprès de leurs membres la moindre initiative prise par l’administration. On attend des associations qu’elles réalisent sur leterrain un travail d’apprentissage de la démocratie. Mais se rend-t-on toujours compte du peu de moyens dont celles-ci disposent ? « , s’interroge Dirk Jacobs.

Très vite, le nerf de la guerre est évoqué.  » Les associations sont subventionnées sur la base de projets. Cela les fragilise et ne permet pas d’instaurer unecontinuité d’action, regrette Dirk Jacobs. Les associations  » font leur marché  » aux subsides et mettent en avant le critère  » payant  » selon le pouvoir subsidiant auquelelles s’adressent. C’est de bonne guerre. Les budgets ne sont pas très élevés. « 

Inburgering – où comment devenir un citoyen flamand ?

Autre différence notoire : l’inburgering. Derrière ce vocable de « citoyennisation » se cache un décret qui prévoit des cours de néerlandais,d’orientation sociale et de préparation à la recherche d’un emploi pour les primo-arrivants. Le gouvernement flamand envisagerait également d’étendrecette mesure aux parents d’enfants en âge de scolarité, aux ministres du culte et aux demandeurs d’emploi.

 » Je ne suis pas aussi critique que certains à l’égard de cette mesure, relève Dirk Jacobs. Mais deux choses me dérangent fortement : le fait qu’on aitexplicitement désigné un groupe de population hors de l’Union européenne et originaire de pays non membres de l’OCDE. Il s’agit là d’unestigmatisation flagrante. Et ensuite le dispositif des amendes comme sanction en cas de refus de participer au programme. Aucune amende n’a été distribuée à ce jourmais le principe même me choque, affirme le chercheur flamand. L’accès au logement social est désormais conditionné à la participation àl’inburgering. C’est selon moi une dérive. De plus, il est tout de même étonnant que la cellule Inburgering n’ait pas prévu les moyens pouraugmenter l’offre des cours de néerlandais, largement insuffisante. « 

La Flandre moins accueillante ?

Dans un sondage européen récent (European Social Survey), les Flamands déclaraient avoir une image négative des immigrés.  » Cette réalité semblaitmoins prononcée en Wallonie, remarque Dirk Jacobs. Mais sans doute faut-il nuancer cette affirmation, car en Wallonie, on entend par immigrés également les Italiens et lesEspagnols qui sont désormais perçus comme des Européens. En Flandre, où il existe une forte communauté turque et marocaine, l’image de l’immigréest associée à ces deux nationalités. Il serait donc plus juste de comparer la Flandre avec Bruxelles car leurs situations présentent plus de similarités « .

Dans les années 80, Bruxelles a connu une vague xénophobe très dure.  » Cette xénophobie semble s’être déplacée vers la Flandre, déploreDirk Jacobs où elle a trouvé un parti très organisé et structuré pour la relayer, le Vlaams Belang. Mais je ne suis pas persuadé que la partie francophone dupays soit tellement moins raciste.  » Les partis politiques ont conscience que 30 % des électeurs bruxellois sont désormais d’origine étrangère. Ils tiennent donccompte de cette donnée démographique et ouvrent leurs listes électorales à des candidats originaires de ce groupe de population.  » Mais dans l’ensemble, il faut bienconstater qu’il existe peu de volonté de mener une politique cohérente et déterminée en faveur des immigrés « , regrette le chercheur de l’ULB.

Comment expliquer cela ? Les chercheurs ne disposent pas de statistiques ethniques. Comment dès lors appréhender la portée des mesures prises par les autorités ?“Il s’agirait d’une simple technique statistique à mettre au point. Et cela nous apprendrait énormément de choses. Je m’interroge parfois, dit DirkJacobs, sur cette carence. Refuserait-on de se remettre en question ?  » Et le politologue de poursuivre :  » Les politiques d’intégration sont un échec. Les partis politiquespeuvent souvent se reposer sur une certaine complicité des citoyens. Les entreprises n’ont pas envie de devoir rendre des comptes quant à la diversité au sein de leursstructures. Quant aux écoles, même les parents les plus progressistes ne voient pas toujours d’un bon œil que des élèves issus de milieux sociauxdéfavorisés intègrent les mêmes écoles que leur enfant. « 

Le vice-ministre-président du gouvernement flamand Franck Vandenbroucke, également en charge de l’Emploi, de l’Enseignement et de la Formation, vient d’ailleurs deprendre une mesure courageuse. Le décret pour l’égalité des chances en matière d’enseignement ( » gelijke onderwijskansen decreet  » ou GOK)2contraint désormais les écoles à accepter un quota de 20 % d’élèves issus de milieux défavorisés.  » Les directeurs d’écolen’auront plus d’excuses pour refuser un enfant « , affirme Frank Vandenbroucke. Mais cette mesure sera-t-elle facile à faire respecter ?

Le Forum des minorités, interlocuteur des autorités flamandes

Autre différence marquante entre les deux communautés linguistiques : le Forum des minorités ethnoculturelles3, une structure originale qui regroupe lesassociations de personnes issues de l’immigration, de réfugiés et de gens du voyage en Flandre.

Reconnu en 1998 comme interlocuteur officiel par le parlement flamand, le Forum des minorités remplit le rôle de porte-parole pour les migrants. Il assume également unefonction de communication envers le grand public, qui méconnaît largement les réalités vécues par les migrants.

La Flandre compte 1.200 associations de migrants, et les grands centres sont Anvers, le Limbourg, Gand – et dans une moindre mesure, Bruxelles. Le forum regroupe 14 fédérationsd’allochtones, dont 12 sont reconnues par le ministère de la Culture. Elles sont elles-mêmes composées d’associations ethnoculturelles actives sur le terrain.

 » Nous travaillons à la promotion de relations plus respectueuses entre les minorités, explique Naima Charkaoui, coordinatrice du forum, mais aussi entre ces minorités et lapopulation flamande. Nous ne nous limitons pas aux politiques d’intégration stricto sensu. Nous sommes également actifs dans les domaines de l’éducation et del’emploi, de la situation des jeunes, de la représentation dans les médias, etc. Nous fonctionnons un peu comme un syndicat qui défendrait les intérêts desminorités. « 

Intérêts multiples et parfois contradictoires pour un groupe de population qu’on regroupe derrière la même dénomination mais dont la diversité estinfinie.  » On regroupe au sein du Forum des immigrés allant du primo-arrivant en passant par la 2e ou la 3e génération, des femmes, des hommes, deslaïques, des croyants, des jeunes, des vieux, des demandeurs d’asile, des sans-papiers, des gens du voyage, des universitaires et des analphabètes… « , remarque NaimaCharkaoui. Cette richesse présente aussi une difficulté quand il s’agit d’adopter des positions communes. Mais nous avons tout à gagner à nous solidariser sinous voulons être entendus. De plus, il faut bien reconnaître, ajoute-t-elle, que l’on a conscience d’appartenir à une groupe autre, dont l’altériténous est renvoyée par une partie de la société belge. Nous avons en commun le problème du racisme et de la discrimination. « 

Le Forum doit également traiter de problèmes tout aussi divers : l’emploi, le logement, l’éducation, la participation citoyenne et politique etl’incompréhension due aux différences culturelles et religieuses.  » Le concept de minorité est inclusif, explique Naima Charkaoui, tout comme celui de genre. Les politiquesdoivent donc l’intégrer dans toutes les mesures. « 

Par la concertation, les échanges et le travail commun, les fédérations d’allochtones regroupées au sein du forum participent à la démocratie belge. » Il serait faux de dire que les associations d’allochtones sont communautaristes et fermées sur elles-mêmes. Ce sont souvent des lieux d’apprentissage démocratique etun moyen d’acquérir des compétences personnelles et citoyennes « , souligne Naima Charkaoui.

Lors de sa journée Forum Ouvert du 12 novembre, le Forum des minorités soulignait que la participation des minorités ethnoculturelles au processus politiquen’était souvent que de l’esbroufe.  » On nous consulte quand la décision est déjà prise « , déplore Christopher Oliha, président du Forum desminorités. Parmi les demandes adressées aux autorités flamandes par le Forum ce jour-là, on trouvait le CV anonyme, la suppression de la nationalité belge commecondition d’accès aux emplois publics, une meilleure représentation dans les médias et une application des sanctions prévues par la loi en cas de discrimination.

La Plateforme africaine d’Anvers

Petite dernière dans la famille des plateformes d’allochtones, la Plateforme des communautés africaines d’Anvers4, où l’on compte 19nationalités, est également la dernière structure reconnue par le ministre de la Culture, Bert Anciaux. Née dans un contexte particulier, celui des années 90 dansla ville du Brabo aux prises avec un virage droitier radical, la Plateforme s’est constituée autour d’un mouvement de protestation des Africains, qui faisaient l’objet decontrôles policiers incessants. « 

La situation était catastrophique, se souvient Billy Kalonji, responsable des questions socioculturelles au sein de la Plateforme africaine. On nous contrôlait à la descentedes trains, dans les magasins, et même à un enterrement. Nous avons donc décidé d’interpeller les autorités communales anversoises, mais celles-ci nous ontfait comprendre que nous n’étions pas représentatifs de toute la communauté africaine de la ville. Cela nous a servi de leçon et l’on a commencéà réunir les diverses composantes de notre communauté. Cet effort a porté puisque nous avons été reconnus en 2001. Nous sommes membres du forum et depuisdeux ans, nous sommes présents activement à Gand et à Bruxelles. « 

Le paysage institutionnel anversois est complexe. Il est composé de plusieurs structures travaillant dans la politique d’intégration des immigrés dont les deux plusgrandes sont De Acht5 et Riso. De Acht est un centre local d’intégration pour la ville d’Anvers qui est constitué d’une cellule chargée desréfugiés (Haven) et d’une cellule qui s’occupe, elle, des gens du voyage. De Acht est lié au ministère flamand de l’Intégration et travailleà l’émancipation et à la participation des minorités ethnoculturelles. L’asbl propose des informations, des conseils; elle organise aussi des formations pourles membres du personnel et pour le public extérieur et met sur pied des projets impliquant directement les minorités. Notons que De Acht travaille au niveau de la villed’Anvers.

Il y a ensuite Riso6. L’acronyme désigne l’Institut de développement de la vie en société de la ville d’Anvers. Ses 60 collaborateurs sontchargés de la coordination du travail social dans les quartiers. Au centre de leur action, deux principes : le vivre ensemble et la participation citoyenne. Créé en 1983,Riso-Antwerpen est actif dans dix quartiers de la métropole.

Mais ces deux structures ne parviennent pas toujours à atteindre des personnes hors des associations ou porteuses de projets qui ne peuvent être subsidiés, comme unedémarche politique ou religieuse. Pour pallier ce manque, un projet-essai est né de la fusion de ces deux structures. Il s’agit de DiverCity. L’approche est double. Elle consisteà créer une base de données où puiser pour orienter toute personne demandeuse. Et ensuite à mettre les citoyens, les structures et les institutions enréseau.

Ces deux structures sont présentes au sein du Conseil consultatif pour allochtones (Overlegraad voor allochtones) créé par les autorités communales anversoises afin dediscuter des questions concernant directement les immigrés. On y trouve aussi le service d’intégration de la ville DIA7 et l’échevin del’Émancipation qui relaie auprès du bourgmestre les avis donnés au sein du conseil consultatif. C’est également lui qui nomme le présidentproposé par les associations d’allochtones. À noter que celui-ci est bénévole.

 » C’est un obstacle auquel nous nous heurtons régulièrement, regrette Billy Kalonji. Les problèmes que nous rencontrons sont immenses et variés. Or, les moyens nesuivent pas et nous ne pouvons rien construire sur des bases fragiles et provisoires. De plus, la réalité institutionnelle anversoise nous dessert souvent. Les subsides municipaux sontliés au territoire. Au niveau régional, ils sont liés à la compétence de chaque ministère. Mais notre communauté doit faire face à desproblèmes transversaux et imbriqués. Il est difficile d’envisager des actions transversales pour nos communautés. « 

Perspectives d’avenir

 » Nous avons progressé, admet Billy Kalonji, mais la tâche est immense. On s’est offusqué des émeutes dans la banlieue française ; pourtant, comparéeà la France, la Belgique offre moins de possibilités d’intégration que nos voisins français ou néerlandais ! Où sont les commissaires, les professeursd’université ou les présentateurs du JT noirs ? »

 » Les signaux sont clairs, constate le responsable de la Plateforme. Pourtant on s’obstine à ne pas prendre les bonnes mesures. Méfions-nous de l’accumulation desressentiments, avertit-il. La justice sociale, cela se construit depuis le plus jeune âge. Si nous voulons que les institutions soient crédibles, l’égalité deschances devrait enfin s’inscrire dans la réalité quotidienne. « 

 » Le passé colonial n’est pas à négliger. Notre présence ici n’a jamais été désirée. Déjà sous le Congo belge, ilétait extrêmement difficile pour un Congolais de visiter la Belgique. Cela a finalement peu changé. De plus, les divisions communautaires belges nous fragilisent car ellessemblent faire obstacle à une politique plus offensive en faveur de l’intégration des migrants. « 

Multiculturalisme, interculturalité ou diversité ?

Multiculturalisme communautariste ? Interculturalité qui réduit les gens à leur appartenance culturelle ?  » Personnellement, je crois profondément à ladiversité et à l’égalité des chances. Ces deux concepts incluent tous les êtres humains : hommes, femmes, hétérosexuels, homosexuels,allochtones, autochtones, handicapés. Je rêve d’une société où tout le monde aurait sa place et où le travail serait accessible à tous,au-delà des différences. Nous sommes là et nous avons tellement de choses à apporter. Après tout, vivre c’est rencontrer la différence », conclut BillyKalonji.

DÉBUT ENCADRE

Pour plus d’information sur l’actualité multiculturelle en Flandre, consulter le portail http://www.kifkif.be/

1. Dirk Jacobs est l’auteur d’un article en anglais consacré au multiculturalisme en Flandre, consultable surhttp://portal.unesco.org/shs/en/ev.php-URL_ID=7171&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
2. http://www.ond.vlaanderen.be/GOK/
3. Minderhedenforum vzw, Vooruitgangsstraat, 323/4 à 1030 Brussel – tél. : 02/245 88 30 – fax : 02/245 58 32 – courriel : info@minderhedenforum.be – site : www.minderhedenforum.be
4. Platform van Afrikaanse Gemeenschappen, Breughelstraat, 31 à 2018 Antwerpen 18 – tél. : 03/293 32 60 – fax : 03/293 32 60 – courriel : afrikaansplatform@pandora.be
5. http://www.de8.be
6. Regionaal Instituut voor de Samenlevingsopbouw : http://www.riso-antwerpen.be/. Riso est également présent dans d’autres villes de Flandre : notamment à Bruxelles, Gandou dans la province de Flandre occidentale.
7. Dienst Integratie Antwerpen

nathalieD

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