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Regard critique · Justice sociale

Social

Arafat Excellence : un centre autogéré par son quartier

Abandonné par l’État sénégalais et les bailleurs de fonds internationaux, les habitants d’Arafat, un des quartiers les plus pauvres de Dakar, ont pris leur destin en main.

16-12-2012 Alter Échos n° 351

Abandonné par l’État sénégalais et les bailleurs de fonds internationaux, les habitants d’Arafat, un des quartiers les plus pauvres de Dakar, ont pris leur destin en main.

Pour rejoindre Arafat, on quitte les routes asphaltées de la capitale pour s’engouffrer dans un dédale de ruelles jonchées de sable blanc. Ce quartier, l’un des plus pauvres de la capitale sénégalaise, ne bénéficie de pratiquement aucune infrastructure publique. Situé dans la commune de Grand-Yoff, dans la périphérie de Dakar, il attire des migrants des régions rurales du Sénégal, mais aussi du Cameroun, de Guinée Conakry, de Guinée Bissau, du Mali. Des familles entières s’y entassent dans de petites chambres louées à prix d’or. Pour se faire une idée de la surpopulation qui règne, il suffit de compter le nombre d’antennes paraboliques fleurissant sur les toits.

Le côté sombre d’Arafat, ce sont ses jeunes adolescents désœuvrés qui traînent jour et nuit en rue, faute d’un espace à eux. Mais Arafat, c’est aussi un exemple de cohésion sociale qui, en ces temps de repli identitaire, fait figure de rareté. « Arafat, c’est le Sénégal en miniature. Les Pheuls, les Wolofs, les Sérères, les Baïnouks, les Malinkés… Ici, toutes les ethnies cohabitent pacifiquement. Nous avons beaucoup à demander. Mais nous avons aussi beaucoup à offrir », s’enorgueillit Ibrahim Sakho, professeur au centre communautaire Arafat Excellence. Les fêtes de quartier, organisées par le centre, ne sont pas étrangères à cette bonne entente : « Avant, les gens se côtoyaient mais ne se mélangeaient pas. On a remarqué que dans chaque groupe, le samedi était jour de fête. Chacun dansait dans son coin. Alors on a instauré les journées de l’Excellence. Chaque communauté amène sa troupe et on célèbre ensemble ».

Aujourd’hui, le quartier compte quelque 10.000 âmes. « A l’origine, six familles vivaient à Arafat », se souvient Ndeye Diara Gueye. Drapée dans ses vêtements brodés de couleurs, la griotte impose d’emblée le respect. Cette caste de communicateurs de l’Afrique occidentale joue toujours un rôle non négligeable dans la transmission de la mémoire collective, même si la tradition tend un peu à disparaître. « Ndeye Diara, c’est notre diva. Notre grande cantatrice. A la création du centre, elle a largement contribué à diffuser les messages de prévention sanitaire dans le quartier », raconte Ibrahim Sakho. Pour qui « le développement de l’Afrique passera par sa culture ».

Visite guidée

« Si vous cherchez du social, ici vous allez en avoir », lance sur le perron un habitant du quartier à qui nous expliquons ce qu’est Alter Echos. Entièrement géré et financé par les riverains, le centre communautaire de développement Arafat Excellence, c’est à la fois une garderie, une école, des cours d’alphabétisation, une coopérative de femmes, du microcrédit, des projets de gestion de l’environnement et de la santé…  

Pour faire le tour des lieux, il faut s’armer de patience. Pas un quart d’heure ne s’écoule sans que quelqu’un ne vienne solliciter Sakho. « Les gens ont beaucoup d’attentes », commente le professeur, philosophe. La visite commence par la classe de primaire. Une pièce de 15 m² dans laquelle on peine à croire que puissent tenir trente élèves !  

Arafat Excellence est né des cendres du Programme de nutrition communautaire, lancé en 1994 par le gouvernement du Sénégal et financé, entre autres, par la Banque Mondiale. D’emblée, les habitants s’approprient le projet. « Au départ, les causeries organisées pour sensibiliser les mamans sur la nutrition des enfants étaient désertées. Elles prenaient prétexte de ne pas avoir le temps. Elles disaient qu’elles devaient travailler. Alors on a eu l’idée d’organiser la garderie. Quand les mamans venaient chercher leurs enfants, on en profitait pour les sensibiliser », explique Sakho. Et ça marche ! Les enfants d’Arafat prennent du poids. Grâce à la garderie, les filles aînées, qui s’occupaient de leurs cadets pendant que leurs parents trimaient, reprennent le chemin de l’école. Malgré ces résultats encourageants, le programme est interrompu au début des années 2000. Si le projet s’achève pour les bailleurs de fonds, les habitants ne l’entendent pas ainsi ! Entièrement animé par des volontaires du quartier, le centre communautaire de développement Arafat Excellence s’ouvre en 2002.

« Au lieu de tenter le voyage vers l’Espagne, on peut rester chez nous et trouver nos propres solutions. Si tout le monde part, qui va construire le pays ? Notre bâtiment est notre bateau à nous. Il exprime notre vision de l’avenir, redonne confiance aux gens et leur crie qu’ils peuvent rester », se félicite Assane Awe, coordinateur du centre et lauréat du prix Harubuntu 2009, dans une interview au magazine Afrik.com. Mais la success story connaît ses limites. La contribution financière des habitants d’Arafat suffit à peine à couvrir les 600 euros mensuels pour la location des locaux, nous explique Ibrahim Sakho alors que nous arrivons sur le toit. En face, on aperçoit les anciens bâtiments du centre. « C’était beaucoup plus spacieux. Aujourd’hui, on est à l’étroit. Mais on a dû déménager, parce que le loyer était trop cher. Même ici, c’est encore trop cher », lance le professeur avec un regard plein de regrets en direction de son ancienne école.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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