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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Après le démantèlement de la ZAD d’Arlon, le combat continue

Lundi 15 mars, la ZAD d’Arlon a été démantelée après l’intervention de 150 policiers. Une opération restée secrète jusqu’au dernier moment qui n’a fait aucun blessé mais qui ne semble pas avoir été non-violente pour autant. Mais les zadistes et leurs soutiens restent mobilisés pour qu’un jour leurs voix soient enfin comprises et entendues. 

et 23-03-2021
© Pauline Porro

En décembre 2020, lorsque la journaliste Pauline Porro était allée à la rencontre des habitants de la ZAD d’Arlon pour Alter Échos, jamais nous n’aurions pu penser qu’à peine quatre mois plus tard, cet endroit de combat écologique et de création aurait disparu. Pourtant, depuis une semaine et après 18 mois d’occupation de l’ancienne sablière de Schoppach à Arlon – classée aujourd’hui Zone de grand intérêt biologique – pour lutter contre un projet de bétonnage pour la construction d’un parc économique «artisanal et écologique» selon le bourgmestre d’Arlon (le caractère écologique de ce projet sera à vérifier dans les prochains mois) par l’agence de développement économique durable de la province de Luxembourg (Idelux), cette zone à défendre qu’on appelait la «Zablière» n’est plus.

Arrestation et tristesse

Lundi 15 mars, aux alentours de 5 h du matin, environ 150 policiers sont intervenus sur les différents lieux de vie de la zone pour évacuer les dix habitants présents sur place à ce moment-là. Une opération tenue secrète jusqu’au dernier moment pour éviter tout rassemblement. Par ailleurs, aucun avis d’expulsion n’a été envoyé au préalable. Selon la ville d’Arlon, l’opération fait suite à un arrêté de police administrative: «Des jets de pneus et des bouts de bois cloutés ont été jetés sur l’autoroute par les zadistes. J’ai donc pris cet arrêté pour éviter qu’un accident ne se produise. L’arrêté leur a été signifié, mais je n’étais pas tenu de donner un délai concernant la date d’expulsion», affirme Vincent Magnus. «Ce n’est pas les zadistes, mais certains soutiens, rétorque Marie (nom d’emprunt), militante et zadiste. Il faut savoir qu’en tant que groupe, nous ne pouvons pas contrôler les actes individuels. Cette action était une action individuelle et dire que la faute revient à la ZAD dans sa globalité est un scandale. C’est le seul prétexte qu’ils ont trouvé pour nous déraciner.» Un point sur lequel les deux camps se rejoignent: la discussion était impossible. Ainsi, les dix zadistes ont été conduits au commissariat dans le cadre d’arrestations administratives puis relâchés, parfois à plusieurs dizaines de kilomètres du lieu d’arrestation. Selon nos informations, un zadiste serait toujours détenu dans le cadre de l’enquête judiciaire suite à cette affaire de pneus et d’autoroute.

«C’est la seule chose que l’on répond à une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans le monde dans lequel elle est et qui essaye de protéger ce qui reste de vivant? C’est déplorable.» Roland Devresse, zadiste

«Nous sommes très contents que cela se soit passé sans blessé ni d’un côté ni de l’autre, c’est ça le plus important», déclare Vincent Magnus, bourgmestre d’Arlon qui se dit par ailleurs «soulagé» que cette saga prenne fin. Mais de l’autre côté, la version est tout autre. «Quand j’ai lu la presse lundi matin, j’avais presque l’impression que policier et zadiste étaient sortis de la forêt main dans la main avec le sourire aux lèvres, raconte le zadiste Roland Devresse. La vérité c’est que nos amis se sont fait réveiller à 5 h du matin par 150 policiers armés, sans avoir été prévenus au préalable, qu’ils ont été embarqués sans pouvoir prendre leurs affaires personnelles et que ceux qui ont été relâchés l’ont été dans des conditions inhumaines. C’est la seule chose que l’on répond à une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans le monde dans lequel elle est et qui essaye de protéger ce qui reste de vivant? C’est déplorable.» «J’ai eu très peur. Tout est allé très vite, ajoute Romain (prénom d’emprunt), zadiste et lui-même arrêté par la police. C’était là où je vivais, là où j’ai fait des rencontres incroyables, là où j’ai trouvé un sens à ma vie. Pour le moment, le temps est à la tristesse. Bientôt ce sera celui de la colère.»

Un combat loin d’être terminé

Depuis lundi, le site est fermé au public et occupé par les forces de police. Les cabanes ont été détruites, des arbres coupés et l’occupation des lieux est, de fait, rendue impossible. «Ça risque d’être compliqué maintenant que tout est en route pour permettre à Idelux de mettre son projet en place, reconnaît Roland Devresse. Sur place nous et les habitants d’Arlon allons continuer de lutter contre. Mais le mouvement ZAD est bien loin de prendre fin. L’expulsion que nous venons de vivre l’a probablement même renforcée.» Car cette ZAD, première en Belgique, a réussi à fédérer et à créer un réseau autour d’elle. Un réseau de personnes pour qui la cause écologique et environnementale doit devenir prioritaire.

Pour cela, il suffit de voir ce qu’il s’est passé après l’expulsion. Dès le lundi soir, à Arlon, Namur et Liège, des centaines de militants se sont retrouvés pour exprimer leur soutien aux zadistes expulsés et avec un message: «ZAD Partout». Le lendemain, c’était à Bruxelles devant la friche Josaphat. Il suffit également d’écouter une partie de la jeunesse chanter «Solidarité avec les zadistes expulsés» lors de la manifestation pour le climat qui s’est déroulée vendredi dernier ou de lire la carte blanche signée par 168 citoyens dans L’Avenir qui disent «Merci aux zadistes».

Les larmes aux yeux, Cécile (nom d’emprunt), zadiste, se dit triste mais plus déterminée que jamais: «Des bouts de nature à défendre contre notre modèle économique, il y en a plein en Belgique. Alors non, on ne s’arrêtera pas là. Et le fait de nous répondre par la répression sans écouter ce que les citoyens ont à dire, ne fera que nous renforcer.»

«Le mouvement ZAD partout c’est un ras-le-bol général du système économique, démocratique et idéologique que le politique nous propose aujourd’hui, continue Roland Devresse. Alors, pour le combattre, on lutte, on se défend, on combat, c’est vrai. Mais ce n’est pas tout. La ZAD c’est un lieu de création. Artistique et spirituelle d’abord où tout ce que nous construisons, que ce soit des cabanes ou de la musique, se fait dans le respect de ce qui nous entoure.» Mais aussi démocratique: «Il n’y a pas de chef, nous travaillons ensemble, réfléchissons ensemble et décidons ensemble. Cela amène forcément à des discordes, mais c’est ça la démocratie! Tout le monde est impliqué et la jeunesse ne demande que ça. Être impliqué dans le monde qui est le sien.»

Un mouvement qui prend donc de l’ampleur par les idées qu’il véhicule et qui devra demain être écouté par le politique pour éviter que les choses ne s’enveniment. «Il faut que les autorités fassent attention, ajoute un zadiste. Parce que les jeunes qui nous rejoignent ne sont vraiment pas contents. Le politique doit écouter les citoyens plus que jamais. S’il ne le fait pas, il ne devra pas pleurer si les positions se radicalisent et que certains deviennent violents.» Une vision partagée par l’Observatoire de l’environnement d’Arlon qui redoute que «cette décision péremptoire des autorités [à Arlon] ne fasse que radicaliser les positions des citoyens». 

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