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Regard critique · Justice sociale

Après-CPL : Vers un « habitat durable », mais à quel niveau de loyer?

Que reste-t-il de l’expérience-pilote de 2005-2007 sur les CPL qui avait pour but d’encadrer les loyers et garantir davantage de logements de qualité? Tour d’horizon àBruxelles, Charleroi et Gand.

29-08-2011 Alter Échos n° 320

Contrer la flambée des loyers par l’instauration d’une grille de référence figurait au rang des objectifs poursuivis par les commissions paritaires locatives(CPL). L’expérience pilote (2005-2007) a vécu, mais à côté des études et autres statistiques publiées, des voies concrètes sontempruntées pour encadrer les loyers et garantir davantage de logements de qualité. Tour d’horizon à Bruxelles, Charleroi et Gand.

Mandatées par le gouvernement fédéral soucieux à l’époque de « réexaminer le rôle de la fiscalité immobilière et la loirelative aux baux », les CPL constituaient à vrai dire un « objet non identifié au niveau juridique », rappelle Nicolas Bernard1, juriste et co-auteur durapport final de leurs activités (voir Alter Echos n° 225 du 15 mars 2007 : « Commissions paritaires locatives : des avancées, mais… »). Les trois commissions avaient été capitalisées sur l’existencepréalable à Charleroi d’un dispositif de médiation locative. A cette approche, deux objectifs très différents – l’élaboration d’unbail type et d’une grille de loyer de référence – ont été ajoutés. Etant donné ce choix peu ou prou objectif, souligne Nicolas Bernard, «il est en réalité tout à fait loisible de travailler sur les loyers sans commission. » Ayant failli à délivrer un modèle de commission locativetransposable à l’ensemble du pays, les villes concernées ont développé leur manière d’appréhender l’encadrement des loyers.

Pour en savoir plus :

Le rapport final de l’expérience-pilote sur les CPL est téléchargeable sur le site de la Politique des grandes villes :
www.politiquedesgrandesvilles.be/…/final-cpl-fr-070713.pdf

Plus récemment, les auteurs du rapport ont publié « Les commissions paritaires locatives : chronique et enseignements d’une expérience-pilote fondatrice »,(Ed. Bruylant, 2010).

Pour eux, « il convenait de faire la chronique de cette expérience fondatrice pour les relations entre bailleurs et preneurs […]. Il ne s’agit cependant pasd’un récit tourné exclusivement vers le passé dans la mesure où les accords de majorité des gouvernements régionaux actuels (Bruxelles et Wallonie)renferment tous deux le principe d’une revitalisation des commissions paritaires locatives, lesquelles pourraient bien, dès lors, renaître demain. »

Coupées des fonds fédéraux, les autorités locales se sont tournées vers la Région de tutelle ou se sont concentrées sur l’encadrement de leurpropre parc immobilier. Bien que le bail et le précompte professionnel relèvent toujours de la législation fédérale, les Régions ne pourraient assisterimpuissantes à la hausse des loyers puisqu’elles disposent d’un levier fiscal non négligeable : le précompte immobilier. Celui-ci « pourrait êtremodulé selon que les bailleurs respectent ou pas les loyers de références fixés par la Région », comme le suggère le Rassemblement bruxellois pour ledroit à l’habitat (RBDH)2.

Loyers de référence = prix du marché

Etant donné la complexité du tissu urbain de la capitale, il était particulièrement cohérent que le projet de grilles des loyers étudié àl’échelon communal ait été transféré au pouvoir régional. Ainsi, le secrétaire d’État au Logement avait commandité en 2010 uneétude établissant les caractéristiques qui entrent en ligne de compte dans la fixation des loyers. Les conclusions de l’observatoire de l’habitat ne seront pasrendues publiques avant la rentrée parlementaire, néanmoins, la commission logement du 12 juillet avait laissé entrevoir des loyers « de référence »dont l’objectivité laisse les associations de locataires insatisfaites. Selon des propos tenus par Christos Doulkeridis, un loyer « pertinent » implique qu’il soit« conforme aux loyers pratiqués sur le terrain ». En réaction, le RBDH s’interroge sur « l’aboutissement d’un véritable encadrement si lesgrilles de référence suivent les prix du marché, dont on connaît la folle course en avant ».

Ce choix d’accompagner les fluctuations du marché fait écho au modèle comparatif tel qu’il est pratiqué en France. Encadrer les loyers reviendrait às’assurer qu’ils « reflètent les valeurs du marché local, sans les pousser à la hausse ». Il ne s’agit pas pour autant de geler les loyers comme lepréconisait la ministre de la Justice en 2006. Laurette Onkelinx avait souhaité que les CPL puissent servir à « bloquer les loyers de quartiers subissant une flambéede prix. »

Incitants fiscaux

Du blocage des loyers, il n’en est pourtant pas question aujourd’hui selon Nicolas Bernard. Egalement expert auprès du cabinet du secrétaire d’État au Logement, ilestime que le précompte immobilier est l’option la plus réaliste pour encadrer la hausse des loyers tout en respectant l’accord de la majorité gouvernementale(2009-2014). « Tout projet de réforme qui ne rentrerait pas dans ce cadre ne sera donc simplement pas envisagé », rapporte-t-il. Le principe des incitants fiscaux (favoriserles propriétaires qui fixent des loyers conformes à un plafond donné) devrait entrer en application avant la fin de l’année prochaine. En attendant, le RBDH dressele bilan semestriel des actions du gouvernement bruxellois. Son « baromètre logement » paraîtra le 7 septembre prochain.

Les Régions wallonne et flamande abordent l’encadrement des loyers de manière différente. Bien que préexistant aux projets pilotes des CPL, la commissionparitaire de Charleroi a été dissoute il y a quelques mois en même temps que le conseil du logement. A l’initiative de l’échevin en charge du Logement EricMassin, les efforts se sont reconcentrés autour d’un groupe de travail animé par la Maison du logement3 et diverses associations telles que le CPAS, l’Agenceimmobilière sociale (AIS), Solidarités nouvelles, etc. Leur but est de trouver des solutions pratiques au problème des expulsions et du logement en général(garanties locatives, familles nombreuses, arrêts d’inhabitabilité, etc.). Bien que des mécanismes existent afin de tenter de réduire la pression
du marchélocatif, notamment en cherchant à augmenter l’offre de biens privés sur le marché via les AIS, les autorités carolorégiennes s’en remettent à laréforme du code wallon du logement. Etant donné que « la très grande majorité des transactions locatives s’effectuent sur un marché privé peu oupas encadré », comme le souligne Nicolas Bernard, l’attente est grande vis-à-vis du nouveau code du logement.

Objectif Habitat durable

La proposition déposée par des parlementaires socialistes de créer un observatoire du marché locatif en Wallonie (voir Alter-Echos n° 314 du 28 avril 2011 :« Vers la création d’un Observatoire dumarché locatif ? ») est une initiative encourageante. On l’a vu plus haut, cet outil de mesure statistique existe déjà en région bruxelloise. Le but estqu’il « permette à la Région wallonne de mieux cibler sa politique du logement notamment à l’égard des personnes fragilisées par l’évolutionéconomique », comme le relevaient à l’époque les initiateurs de cette proposition.

Depuis son approbation par le parlement le 30 juin 2011, la résolution a été reprise à son compte par le ministre wallon du Logement Jean-Marc Nollet(Ecolo)4. Celui-ci veut se donner des moyens à la hauteur de ses ambitions, à savoir mettre sur pied avant la fin de cette année un centre d’étude enhabitat durable au sein duquel se trouverait l’observatoire du logement. S’il est toujours question de « surveiller l’évolution des prix tant en ce qui concerne les loyersque l’achat de logement », la résolution votée par le parlement wallon ne s’éloigne-t-elle pas de l’objectif initial, à savoir encadrer les prix dumarché du logement afin d’offrir davantage de protection aux locataires précarisés ? Le cabinet du ministre Nollet réfute cette idée. Selon son porte-paroleVincent Bruyne, « le centre d’études en habitat durable ne s’écartera nullement des priorités voulues par les socialistes. L’habitat durable, aumême titre que le développement durable, comporte trois dimensions : l’économique, le social et l’environnemental. Il répondra donc bien également auxbesoins des plus fragilisés en resituant toutefois ces besoins dans le cadre des trois dimensions reprises ci-dessus. Les deux organes se complètent. » Si les priorités dunouveau code du logement ont été identifiées, les partenaires de cette réforme doivent encore s’accorder sur les modalités sans que l’une ne se fasse audétriment de l’autre.

Le centre d’études en habitat durable

Le centre d’études en habitat durable aura pour missions principales :

• La collecte et le traitement de données statistiques sur le parc immobilier : qualité de l’habitat, taux d’isolation, nombre de chambres, etc.
• La conduite de recherches scientifiques sur les nouvelles réalités auxquelles le secteur sera confronté à moyen et long terme.
• La mise en place d’un observatoire du logement dont les tâches seront notamment de surveiller l’évolution des prix tant en ce qui concerne les loyers que l’achatde logement, en étroite collaboration avec l’IWEPS (institut wallon de l’évaluation, prospective et statistique).

Mise en pratique…

La ville de Gand compte également un faible nombre de propriétaires dans son parc immobilier, et un confort de logement moins élevé par rapport àl’ensemble du territoire belge. Pour faire face à cette problématique, les autorités locales ont décidé de concentrer leurs moyens sur un nouveau projetpilote faisant suite à l’expérience de la CPL locale, celle-ci ayant délivré des résultats jugés très encourageants en regard du nombre dedossiers résolus à l’amiable.

La « Société urbaine de logement » (Stedelijke huurbedrijf)5 prendra ainsi le relais le 1er septembre prochain. Financée par des fonds propres de laville et des subsides de la Région flamande mais administrée indépendamment, cette société se démarque des agences immobilières sociales(déjà nombreuses à Gand) et privées. Ces dernières sont souvent accusées d’avoir alimenté sans vergogne la hausse spectaculaire des loyers surle marché du logement (50 % en trois ans et la tendance n’est pas près de s’arrêter). Le but de la Stedelijke huurbedrijf est d’offrir une situation oùtout le monde est gagnant : les bailleurs sont assurés d’un revenu fixe sans frais imposés, les preneurs ont la garantie d’occuper un domicile de qualité dont leloyer est plafonné à un niveau plus attractif que sur le marché privé courant. Ce projet pilote s’adresse à tous les propriétaires gantois, sansdiscrimination géographique de quartier. Une première évaluation est prévue dans six mois.
A noter qu’à côté de cette initiative des pouvoirs publics flamands, la société privée de logement Zonnig Vlaanderen rassemble depuis 2006 desprofessionnels du marché locatif en coopérative et ambitionne d’offrir une alternative à l’Union des propriétaires.

Un bilan positif?

Au final, l’héritage des CPL n’est pas aussi mitigé qu’il ne le paraît. L’expérience a prouvé que des alternatives existent pour renforcerdes garanties tant pour les bailleurs que les locataires sans pour autant négliger les bénéfices engendrés sur le long terme.

La volonté politique est un élément important dans le suivi du marché locatif privé. D’un côté, les autorités régionalesrenvoient le législateur fédéral à ses responsabilités puisque le bail n’a toujours pas fait l’objet d’un transfert de compétences. Del’autre, les accords des gouvernements régionaux contiennent les principes d’un encadrement des loyers puisque l’exonération ou la diminution du précompteimmobilier est du ressort des Régions. Celles-ci ont la possibilité de choisir une base autre que le revenu cadastral qui soit mieux adaptée à leurs objectifs sociaux.Au-delà de l’accès à la propriété ou du droit à un logement de qualité, cette compétence constitue une porte ouverte à toute unesérie de solutions pragmatiques au suivi des loyers.

1. Nicolas Bernard, juriste et professeur de droit aux FUSL, chargé d’une missio
n d’expertise (à temps partiel) auprès du secrétaire d’État au Logement de laRégion de Bruxelles-Capitale, Christos Doulkeridis.

2. RBDH :
– adresse : quai du Hainaut, 29 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 502 84 63
– site : www.rbdh-bbrow.be/

3. Maison du Logement, Centre Hélios :
– adresse : rue de Montigny, 101 à 6000 Charleroi
-tél. : 071 86 22 85
– courriel : loreta.vlaeminck@charleroi.be

4. Cabinet du ministre wallon du Logement Jean-Marc Nollet :
– adresse : place des Célestines, 1 à 5000 Namur
– tél. : 081 32 17 11
– site : http://nollet.wallonie.be

5. Liselotte Mortier, responsable de projet pour la Société de développement urbain AG Stadsontwikkelingsbedrijf, conseillère en matière de logement etd’urbanisme auprès de l’échevin Tom Balthazar,
– adresse : Sint-Jacobsnieuwstraat, 17 à 9000 Gand
– tél. : 09 226 50 40
– courriel : liselotte.mortier@gent.be
– site : www.agsob.be

AmandineGatelier

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