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"Adeppi : vingt ans de formation et d'éducation permanente dans les prisons"

17-12-2001 Alter Échos n° 111

Si aujourd’hui – en théorie du moins –, personne ne conteste plus la nécessité de favoriser la réinsertion des détenus, notamment en leurdonnant accès à des formations de base, des formations professionnelles, des activités culturelles, etc., il a fallu, lentement, avec obstination, tenter de faire accepter cetteidée dans un «paysage carcéral» par définition fermé.
Lorsqu’en 1981, l’Adeppi (Atelier d’éducation permanente pour personnes incarcérées)1 voit le jour, la prison est encore un désert culturel. Lesdétenus formulent sans cesse des demandes de formation auxquelles les travailleurs sociaux de l’époque ne peuvent plus répondre. De là l’idée de fonderune association exclusivement consacrée à l’Éducation permanente en prison. Aujourd’hui, même s’il a fallu se battre, les choses semblent aller mieux :«À nos débuts, nous donnions parfois cours dans des parloirs exigus, des couloirs bruyants ou une chapelle réaménagée à la hâte;aujourd’hui, nous avons généralement accès au “cellulaire”, ce qui permet de toucher un plus grand nombre de détenus, mais égalementd’ouvrir quelque peu cet univers clos au monde extérieur.» En 20 ans, malgré les écueils, l’association a pu développer son action : elle estpassée ainsi de 4 enseignants (stagiaires!) à 19 aujourd’hui, ce qui représente 60.000 heures de cours par an au lieu de 7.000 auparavant et le budget annuel estpassé lui de 400.000 FB à 26 millions de FB!
Derrière le mur de la prison d’en face : un potager!
D’autres initiatives ont vu le jour localement et la promotion sociale s’est investie dans les formations professionnelles pour les détenus. Les cours individuels ont fait placedans la plupart des cas à des cours collectifs, à des modules complets, à des formations qualifiantes et l’offre s’est aussi diversifiée : français,langues, informatique, gestion, préparation à l’obtention du CEB, formations professionnelles en cuisine, électricité, horticulture (en partenariat avec la promotionsociale), activités culturelles (théâtre, cinéma, percussions, photo…)2, permis de conduire théorique, ateliers de réinsertion, etc.
En 1991, une victoire : l’obtention du versement d’une allocation d’étude pour les prisonniers qui s’investissent dans une formation qualifiante et ne doivent donc pluschoisir entre le travail ou la formation. «Aujourd’hui, souligne l’Adeppi, des détenus réussissent des examens pour la première fois de leur vie.»Exemples? Avec d’autres partenaires3, l’Atelier a créé une formation professionnelle en horticulture, ce qui donne le spectacle surprenant d’un potager entre deuxailes de la prison de St-Gilles. Les détenus espèrent récolter des framboises l’été prochain. Autre formation lancée cette année :l’obtention du permis de conduire. Une étude réalisée par la FAFEP (voir encadré page suivante) a montré que seuls 25% des détenus avaient un permis,ce qui ne les avait pas empêchés de conduire avant leur incarcération… Avec l’IBSR, 46 détenus ont suivi en 2001 cette formation qui peut les aider àtrouver un emploi mais qui doit aussi les amener à respecter des règles, comme celles du code de la route.
Moins réjouissant qu’il n’y paraît…
Le tableau s’il semble positif doit toutefois être nuancé… La demande est énorme et les listes d’attente sont longues. Certains détenus attendent parfoisplusieurs mois avant qu’une place en formation se libère. «Nous ne touchons qu’une faible proportion de détenus et, pour beaucoup d’entre eux, lesjournées de prison restent encore uniquement rythmées par une sortie au préau ou une visite.» Une situation qui s’explique en partie à cause des normes (nombred’heures, nombre de stagiaires…) imposées par les pouvoirs subsidiants et qui répondent aux critères des formations dispensées àl’extérieur, méconnaissant ainsi la réalité du milieu carcéral. «Pour donner un exemple, le manque de personnel nous oblige à constituer desclasses très hétérogènes et nous empêche de garantir une même offre de cours aux femmes moins nombreuses en prison et donc moins “rentables” entermes d’heures. Nous sommes donc dans l’incapacité de nous conformer au principe d’égalité des chances.» Les formateurs manquent aussi de locauxd’études, de salles adaptées aux formations professionnelles. Même lorsque les prisons sont rénovées (comme celle de Nivelles), on «oublie» deprévoir l’infrastructure nécessaire pour l’enseignement.
Des freins structurels font également obstacle à l’action de l’Atelier. «Un projet pédagogique implique une ouverture au monde extérieur difficilementcompatible avec la vie carcérale, où l’aspect sécuritaire est évidemment prioritaire. Il faut composer avec les aléas du fonctionnement généraldes prisons : absence au cours parce que le détenu n’est pas appelé ou appelé trop tardivement, parce qu’il est «puni», parce qu’un«mouvement» a lieu qui bloque tout autre déplacement dans la prison; abandon en cours de formation au profit du travail à cause d’un transfert… »
L’Adeppi, qui ne peut évidemment interférer sur l’aspect sécuritaire, souhaite toutefois une plus large concertation avec les directions, lagénéralisation d’un poste de surveillant pédagogique et culturel ainsi qu’une sensibilisation et une formation continuée du personnel pénitentiaire.Autre obstacle pointé : les libertés conditionnelles sans cesse reportées et donc l’impossibilité qui en résulte pour les détenus de concevoir unprojet de reclassement cohérent et défini. «Un sentiment d’incompréhension, de révolte et de fatalisme aussi qui rejaillit forcément sur leurmotivation.»
Quelles pistes?
L’Atelier attend beaucoup de l’avant-projet de loi Dupont qui devrait établir le statut juridique du détenu et donc réduire les «pratiquesdiscrétionnaires en vigueur». Le président de la Commission de la Justice, Josy Dubié, a par ailleurs expliqué que, dans le cadre de l’examen de ce projet deloi, députés et sénateurs visitent actuellement des prisons pour mieux comprendre les conditions de détention. L’Atelier apporte aussi un certain nombre derevendications parmi lesquelles on retrouve :
> l’élaboration de véritables politiques sociales en amont de la prison;
> l’application plus large des mesures alternatives d’exécution des peines;
> l’appui à toutes les mesures qui vont dans le sens d&#8
217;une plus grande responsabilisation des personnes (travail en justice réparatrice);
> l’amélioration des conditions de travail du personnel pénitentiaire;
> l’application de façon stricte des lois sur la libération conditionnelle;
> le retrait du casier judiciaire qui continue à stigmatiser le détenu lors de sa réinsertion.
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Quelques statistiques
Caractéristiques générales du public rencontré par Adeppi en 2000 :
Sexe : 96,5% d’hommes
Age : 54,6% entre 26 et 50 ans, 37% entre 18 et 25 ans
Nationalité : 55,5% belges ou CE
Études : 16,5% sans diplôme, 36% primaires
Répartition suivant les cours :
Modules qualifiants : 14,5%
Modules de réinsertion : 28,2%
Cours de langues : 29,8%
Cours d’informatique : 19,1%
Français tout niveau : 36,4%
Activités culturelles : 17,5%
N.B. : Total supérieur à 100%, certains détenus suivant plusieurs cours.
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Mais aussi…
> le développement du mi-temps pédagogique mi-temps travail qui aurait le double avantage de permettre une meilleure répartition du travail entre davantage de détenustout en leur donnant l’accès à des études;
> l’organisation de partenariats avec des organismes d’éducation pour adultes (écoles de promotion sociale par ex.);
> la multiplication des interventions et des collaborations avec d’autres organismes de terrain de la société civile (organismes d’aide sociale, de médiation, desurendettement, Orbem, CPAS, Carrefour Formation,…);
> l’inscription dans les parcours d’insertion.
Reste une question posée par l’Adeppi : «Si l’on souhaite voir sortir de prison des citoyens conscients de leurs droits mais aussi de leurs devoirs, ne conviendrait-il pasque le système carcéral les y prépare?»
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Enquête de la FAFEP auprès des détenus – Profil type : homme jeune sous-scolarisé
La Fédération des Associations pour la formation et l’Education permanente en prison (la FAFEP), dont Adeppi est membre, a enquêté durant un an dans les prisons de laCommunauté française de Belgique sur la provenance sociale et le niveau scolaire des personnes incarcérées. Son rapport définitif vient d’êtrepublié. Voici en quelque sorte le portrait du «détenu moyen» :
Provenance sociale :
> Le détenu est, dans 95% des cas environ, de sexe masculin.
> Le détenu moyen est jeune (32 ans). Si l’on compare la population de la Communauté française à celle des prisons, on constate une forte présence desclasses d’âge de 25 à 34 ans (50% contre 18,5% en Cté française).
> Il y a en prison une très forte proportion de personnes dont le père est sans profession, ouvrier ou manœuvre (55,6% des détenus sont dans ce cas). Si l’on yajoute les 19,4% de détenus qui n’ont pas souhaité (ou pas pu) répondre à cette question, on arrive à 75% de la population pénitentiaire qui seraitissue de classes sociales peu favorisées.
> Il y a également une forte proportion d’étrangers en prison. Ils sont environ 50% si l’on remonte à la nationalité des parents, dont presque 20% issus despays européens ou nord-africains. Selon la FAFEP, différents facteurs expliquent l’importance du nombre d’étrangers en prison :
> Le fait que la population belge issue de l’immigration soit en moyenne jeune. Et, comme on l’a vu, la jeunesse est une caractéristique des détenus;
> Le fait que cette population soit d’un niveau social moindre que la moyenne. De nouveau, c’est bien une caractéristique de la population carcérale;
> Le fait que s’ajoutent aux résidents issus de l’immigration des étrangers non résidents en Belgique.
> Le «délit de sale gueule» qui soumet de facto à une surveillance plus pointue celui qui a un look étranger.
Formation :
> Seuls 25% ont leur permis de conduire
> On constate une population carcérale gravement sous-scolarisée. Près de trois quarts d’entre eux n’ont aucun diplôme ou alors un diplômed’enseignement primaire. À peine 1% est diplômé de l’enseignement supérieur alors que ce chiffre est de 20% dans la population francophone. Lorsque lesformateurs vérifient par des tests pédagogiques, leur niveau réel par rapport au diplôme obtenu, ils constatent une très forte proportion de niveau insuffisantsurtout lorsque le détenu est issu de l’enseignement professionnel inférieur (64% d’insuffisants) et supérieur (87,5%). Inversement, de nombreux détenus sontd’un niveau supérieur au diplôme qu’ils déclarent (soit qu’ils se trompent dans leur diplôme, soit qu’ils se soient eux-mêmes formésplus tard).
> La FAFEP a posé aux détenus la question suivante : «Quel métier souhaiteriez-vous pouvoir exercer dans l’idéal?», les enquêtrices insistantsur le côté très rêvé de cet idéal professionnel. «(…) Eh bien, le détenu moyen ne semble pas avoir de rêves. Dans leur immensemajorité, ils nous citent un métier très plausible : celui du père ou celui qui découle d’études commencées. La majorité admettentqu’ils se voient très bien comme simples manœuvres.»
> Ils ont beau, selon l’enquête, ne pas avoir de rêves, cela ne les empêche pas d’être demandeurs de cours : informatique, langues, enseignementgénéral ou professionnel, remises à niveau en français et en calcul. Et ils demandent souvent plusieurs cours chacun.
Et la Fédération de conclure : «C’est bien une frange particulière de la population qui va en prison. D’où cette impression lancinante, chez lesformateurs qui y travaillent : leur action intervient bien tard dans un processus à l’œuvre depuis l’enfance de leurs «clients».
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Aide sociale aux détenus : l’arrêté d’exécution adopté!
Sur proposition de Nicole Maréchal, ministre de l’Aide à la Jeunesse4, le gouvernement de la Communauté française a approuvé en deuxième lecturel’arrêté portant exécution du décret du 19 juillet 2001 relatif à l’aide sociale aux détenus en vue de leur réinsertion sociale. Un décret quiconsacre le transfert de la compétence de l’aide aux victimes vers les Régions et de l’aide sociale aux détenus vers la Communauté française. Les services d’aidesociale aux détenus ont pour mission de contribuer à ce que les détenus puissent bénéficier d’une offre d’aide globale en vue d’une gestion de la privation deliberté la plus humaine possible, de la préparation de la lib&e
acute;ration et du retour dans la vie sociale.
À partir du 1er janvier 2002, la Communauté française se concentrera donc sur ce qui relève désormais de sa seule compétence, à savoir l’aide socialeaux détenus. Une aide sociale qui doit bénéficier à tous les détenus, qu’ils soient incarcérés dans un établissement pénitentiaire oudans un établissement de défense sociale, ou encore qu’ils subissent une mesure privative de liberté dans leur environnement, comme la surveillance par braceletélectronique.
Un budget doublé
Par cet arrêté, les 14 services d’aide sociale aux détenus se voient renforcés financièrement dans leur mission. En effet, le budget initialement consacréconjointement à l’aide aux victimes et à l’aide aux détenus, est désormais uniquement réservé à l’aide sociale aux détenus, soit 42 millions en2002 pour la Communauté française. En ce qui concerne l’aide aux victimes, le budget de la Région wallonne est de l’ordre de 35 millions.
D’autre part, le financement de l’aide aux détenus est censé prendre en compte le phénomène de surpopulation carcérale. Ainsi un forfait de 150.000 francs estattribué aux services d’aide aux détenus lorsque la surpopulation carcérale atteint 110% des capacités agréées, et cela par tranches de 10%.
L’adoption de l’arrêté d’application du décret met fin à une situation juridico-institutionnelle qui empêchait toute réforme du secteur. En effet, depuis lesaccords de la Saint-Quentin, les services d’aide aux victimes continuaient d’être subventionnés par la Communauté française à l’encontre des accords de transfert decompétences, comme plusieurs fois rappelé par la Cour d’arbitrage et le Conseil d’État.
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1 Adeppi, rue de la Prévoyance, 67 à 7500 Tournai et rue de l’Enseignement, 91 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 223 47 02, fax : 02 223 47 03, courriel :adeppi@swing.be
2 En 2000, trois films ont entièrement été réalisés par des détenus à la prison de St-Gilles et produits par l’Adeppi. Ils ont étéprojetés au Festival du film de Bruxelles.
3 Un partenariat entre la prison, la Promotion sociale, Bruxelles Formation, Le Fonds social européen et les asbl Adeppi et Après.
4 Infos : cabinet de la ministre de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé, Nicole Maréchal, rue Belliard, 9-13 à 1040 Bruxelles.

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