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Regard critique · Justice sociale

La performance énergétique… pour tous ?

La Performance énergétique des bâtiments (PEB) peut favoriser une réduction de la consommation d’énergie des logements, mais elle risque de précariser davantage les plus défavorisés.

Les meilleures intentions ne sont jamais à l’abri de dérives. Ainsi en va-t-il de la directive européenne relative à la performance énergétique des bâtiments (PEB). Si son application peut favoriser une réduction de la consommation de chauffage des logements, elle risque de précariser davantage les plus défavorisés. La Fondation Roi Baudouin enfonce le clou à travers une nouvelle étude, formule des recommandations et présente l’action concrète de treize projets qu’elle a soutenus.

« C’est une réalité incontournable : des raisons financières empêchent aujourd’hui 5,1 % des Belges, soit quelque 550 000 personnes, de chauffer suffisamment leur logement (Enquête européenne SILC 2009) et les catégories de revenus les plus basses ont proportionnellement des coûts énergétiques supérieurs à la moyenne. De plus en plus de personnes socialement précarisées ont des arriérés de paiement pour leurs factures d’énergie et doivent même s’endetter pour pouvoir les payer », rappelle la Fondation roi Baudouin. A l’origine de cette précarité énergétique croissante, trois causes reviennent invariablement : l’insuffisance de revenus, la mauvaise qualité des logements et la hausse des prix de l’énergie. L’application de la directive PEB pourrait aggraver cette situation.

En effet, le texte prévoit surtout une obligation de certification énergétique des bâtiments mis en vente ou en location, de manière à informer le candidat-locataire ou acheteur : le logement sera-t-il ou non énergivore ? Au candidat de voir si cette surconsommation risque de se transformer en gouffre financier, compte tenu de la volatilité actuelle des prix de l’énergie. Enfin, même si elles sont moins connues du grand public, la directive prévoit également des exigences de contrôle sur les systèmes de chauffage et des exigences de performance énergétique pour les bâtiments neufs et lors des rénovations soumises à des demandes de permis. Des exigences susceptibles d’écarter un peu plus les précaires du marché du logement ? A voir.


L’enquête

 

Sustainable Energy Services (SES) a réalisé en janvier 2012 une enquête par voie électronique pour le compte de la Fondation Roi Baudouin. Plus de 150 acteurs des politiques sociales et de l’énergie (CPAS, associatif, entités locales du FRCE [Fonds de réduction du coût global de l’énergie], administrations, régulateurs des marchés de l’énergie) ont été contactés. Plus de 100 ont répondu, mais pas toujours à l’ensemble des questions. Parmi les répondants, 50 % travaillent à la fois dans le social et l’énergie, 30 % travaillent dans le domaine de l’énergie et 20 % travaillent essentiellement dans le domaine social. Sur le plan géographique, 30 % de réponses viennent de la Région flamande, 20 % de Bruxelles et 50 % de la Région wallonne.
L’étude dresse l’inventaire, synthétise et analyse les nouvelles réglementations régionales relatives à l’application de la directive PEB, sous l’angle de l’équité sociale. L’auteur explique les opportunités et menaces potentielles (méthode d’analyse SWOT) que cela pourrait représenter pour les ménages les plus précarisés.

 
Evaluation des risques

Pour évaluer ces risques, la Fondation roi Baudouin a commandité une étude exploratoire intitulée « Les impacts sociaux des nouvelles réglementations relatives à la Performance énergétique des bâtiments (PEB) en Belgique »[x]1[/x]. Il ressort de l’étude que ces réglementations apportent, aux dires des acteurs du social et de l’énergie consultés, « plus d’opportunités d’amélioration des conditions générales de logement que de réduction des charges ». Elles ne permettent toutefois pas aux moins nantis de choisir leur logement sur base des prix de l’énergie. François Grevisse, de Sustainable Energy Services (SES), auteur de l’étude, estime même que les locataires à faibles revenus sont obligés de louer des logements avec un coût énergétique élevé. Et la crise du logement n’incite guère les propriétaires-bailleurs à améliorer leurs biens. La mise en conformité des appareils de chauffage, elle, aura un coût. Et si les bailleurs ne sont pas soutenus financièrement pour cette mise en conformité, ils risquent de la répercuter sur les loyers. Les locataires précarisés ne seront pas en mesure de la supporter. Principales victimes : les femmes. En effet, « les familles précarisées sont constituées en grande partie de familles monoparentales, lesquelles sont 80 % féminisées », peut-on lire dans l’étude. Il suffit de croiser cette observation avec les statistiques du marché de l’emploi. Les femmes sont plus susceptibles d’avoir moins de ressources : temps partiels, taux de chômage plus élevé, contrats à durée déterminée, etc.

Accompagner, sans oublier les femmes

Pour éviter que la PEB ne soit à l’origine d’une nouvelle fracture sociale, la Fondation roi Baudouin souhaiterait que les Régions incitent les propriétaires à rendre leurs logements moins énergivores, soutiennent l’accompagnement des familles défavorisées pour qu’elles diminuent leur consommation, ou encore plafonnent l’intégration des coûts de la rénovation énergétique dans le loyer. Et, last but not least, la Fondation invite à avoir une approche genrée de la problématique :
• en incitant les acteurs intermédiaires des politiques sociales et de l’énergie (CPAS, administrations et régulateurs des marchés de l’énergie, etc.) à récolter des données sexuées ;
• en s’inspirant des bonnes pratiques d’agences immobilières sociales (AIS) qui sont attentives à la féminisation de la précarité énergétique et du logement ;
• en s’attaquant à « l’analphabétisation énergétique » de manière à rendre les certificats plus lisibles et les factures plus compréhensibles ;
• en organisant des comités de consommateurs (locataires) équilibrés hommes/femmes dans les quartiers ;
• en organisant des formations techniques pratico-pratiques pour économiser l’énergie, ouvertes aux femmes.

La réflexion est loin de s’arrêter là. L’ensemble de ces recommandations devrait être discuté par des acteurs-clés du logement, du social, de l’énergie et du climat.

Treize pionniers

En 2011, la Fondation roi Baudouin avait lancé un appel à projets invitant des organisations sociales et environnementales à initier des projets en faveur du climat avec des publics précarisés. Ils sont aujourd’hui réalisés. « Changement climatique et justice sociale : 13 projets pionniers » présentent les résultats de leurs actions en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Ils en retirent différents enseignements. Pour que ça marche, il faut une dynamique collective forte et partir des besoins concrets des participants (tout chiffrer avec précision). A éviter : la complexité et la réflexion à court terme (lois et primes insuffisantes), des sensibilités, d’autres priorités et une mauvaise communication (frustrations, trop d’intermédiaires…). Et de suggérer douze conseils futés, dont le premier est : « Partez du principe que le public cible est intéressé par son porte-monnaie, sa santé et son confort intérieur. Ce qui est bon aussi pour Kyoto ! »

1. Les deux publications sont téléchargeables au format pdf sur le site http://www.kbs-frb.be, thème « Pauvreté & justice sociale ».

Aller plus loin

Alter Echos n°371-372: Précarité énergétique : réduire la f(r)acture

Baudouin Massart

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