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"Yvan Cnudde : "Des écoles techniques et professionnelles déboussolées""

23-10-2000 Alter Échos n° 84

À la rentrée, l’application de la réforme du Technique et du Professionnel (T&P) a débuté dans quatorze nouvelles options. La mise en œuvre de laréforme se poursuivra jusqu’en 2003, au rythme des travaux de la Commission communautaire des professions et des qualifications (CCPQ)1. Nous avons recueilli à ce propos l’opiniond’Yvan Cnudde, directeur d’un établissement T&P du secteur industriel, coordinateur du CEFA de l’enseignement libre de Charleroi2 et membre de la Commission Emploi-Formation duComité subrégional de l’emploi.
AE – Pourquoi réformer l’enseignement qualifiant ?
YC – Le T&P est déboussolé : ses anciens critères de formation ne correspondent désormais ni aux besoins économiques ni aux attentes des jeunes. Le patronatrecherche une main-d’œuvre de haut niveau technique, immédiatement performante et faisant preuve d’adaptabilité, d’autonomie, de capacité de travail en équipe…Qualités humaines que l’école, par son tri, a souvent exclues des objectifs d’apprentissage de l’enseignement de « deuxième division » qu’est le T&P.
AE – Quelles réponses le politique a- t-il apportées à ces décalages ?
YC – Un discours de façade, lénifiant et rétro, invitant parents et adolescents à faire le choix positif du « manuel », confondu à tort avec l’écolequalifiante puisque ces formations visent de plus en plus la réflexion sur les problèmes « technologiques » ou pratiques. De plus, cette présentation est totalementdéconnectée de la réalité du « tertiaire » qui réunit environ 80% des élèves du T&P. Mais le drame tient surtout au fait que l’enseignementqualifiant ne peut être vécu que comme une seconde chance. Les responsables, à la recherche de cette orientation technique « positive », la choisiraient-ils pour leurs propresenfants ?
AE – La CCPQ ouvre-t-elle d’autres perspectives ?
YC – L’école qualifiante tentera bien de répondre aux exigences terribles de la CCPQ. Il en va de sa crédibilité. Mais pour combien de réussites quand on sait que,aujourd’hui déjà, seule une minorité des élèves de l’enseignement qualifiant achèvent leur parcours ? La CCPQ cible le troisième degré duT&P en espérant une propagation en cascade dans le reste du système auquel elle ne s’intéresse pas. Elle ne prend en fait en compte que les besoins patronaux enmatière de formation professionnelle. Besoins légitimes mais qui ne sont pas ceux liés à la création de lieux ouverts à la formation de l’ensemble desadolescents. Ce qui est vécu comme une « xième » réforme par des enseignants qui n’y ont pas été impliqués collectivement ne fait alors que consolider lafaçade scolaire. Elle exclut ceux qui ne rentrent pas dans les nouveaux profils : le tiers de la population scolaire dont notre économie ne semble pas avoir besoin. Qui plus est, est-ilencore pertinent de clicher des métiers en transformation permanente ? Surtout quand la demande des jeunes au sortir du T&P tertiaire n’est globalement plus de s’insérer sur lemarché du travail mais de se diriger vers le supérieur…
AE – Comment concilier employabilité et attentes des jeunes ?
YC – En assurant à tous les adolescents non pas l’apprentissage précoce d’un métier, mais un enseignement culturel aux approches multiples c’est-à-dire un bagagepolyvalent le plus important possible sur la base duquel chaque élève pourra se construire professionnellement. Dans un monde mouvant, une formation générale est lemeilleur gage d’insertion professionnelle. Surtout si elle rencontre les intérêts des jeunes. Ce qui peut être le cas si on veut bien admettre que les compétencesexigées sur le marché du travail correspondent culturellement aux ressources que ces adolescents ont à mobiliser dans leur recherche d’épanouissement personnel. Mais aussique l’école n’est pas nécessairement le lieu le plus adéquat pour apprendre à être créatif et s’enrichir humainement. Nous manquons d’imagination pour penserce nouveau modèle éducatif. Il se cherche inconsciemment quand chaque année une petite partie du public du T&P glisse vers le général. Le véritable enjeun’est donc pas celui que pose la CCPQ. Il réside dans l’adaptation mutuelle d’un public socialement nouveau et d’un enseignement général diversifié.
1 La CCPQ est composée de représentants des mondes patronal et syndical, de délégués des réseaux d’enseignement, d’enseignants détachés ainsique d’experts issus d’autres opérateurs de formation (Forem, Promotion sociale, Classes moyennes…). Cette commission est chargée de définir des profils de qualification et deformation ainsi que les programmes correspondants, sur la base desquels le Conseil général de concertation du secondaire a conçu un nouveau répertoire de 75 options.Contact : CCPQ, Cité administrative de l’État, bureau 5510, bd Pachéco 19 boîte 0B à 1010 Bruxelles, tél.: 02 210 56 26, e-mail : ccpq@profor.be, site Web :http://www.agers.cfwb.be/ PEDAG/DOC/CCPQ/index.htm
2 Institut d’enseignement technique (IET) Sainte-Marie et CEFA libre, bd du Midi, 161 à 6140 Fontaine-l’EÉvêque, tél. : 071 52 57 24, fax : 071 52 27 93, e-mail :bertoncello@swing.be

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