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"Un rapport européen sur l'esclavage domestique : la Belgique est concernée"

29-01-2001 Alter Échos n° 90

Un ensemble de mesures juridiques pour mieux lutter contre l’esclavage domestique vient d’être proposé par la Commission sur l’égalité des chances pour les femmes et leshommes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe1. Dans un rapport examiné le 9 janvier à Paris, la Commission recommande, sur le plan national, l’inclusion, dans leCode pénal, d’une incrimination spécifique de l’esclavage et de la traite des êtres humains, des sanctions adéquates, la reconnaissance des victimes de la traite comme desvictimes à part entière, la mise en œuvre de politiques de protection et d’assistance sociale, administrative et juridique ainsi que l’octroi de « titres de séjourhumanitaires » pour les migrants en situation irrégulière, victimes d’esclavage domestique.
Sur le plan international, la Commission réclame notamment une meilleure protection des personnes employées par des diplomates. Elle recommande un amendement à la convention deVienne sur les relations diplomatiques stipulant la levée de l’immunité diplomatique en cas de « griefs défendables » de violation des droits de l’homme, accomplis par lesdiplomates en dehors de l’exercice de leurs fonctions.
Parmi les autres mesures proposées figurent également l’élaboration d’une charte du travail domestique, la création d’un fonds national d’indemnisation pour les victimes,la coopération internationale au niveau de la justice ainsi que la prévention par l’information et l’aide au développement dans les pays d’origine.
Parmi les pays où, selon le rapport, des cas d’esclavage domestique ont été dénoncés figurent l’Autriche, la Belgique (avec une majorité de victimesphilippines), l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni.
Et chez nous ?
Parmi les centaines de cas dénoncés, plusieurs se situent en Belgique. Notamment dans des ambassades de pays européens. Derrière ces respectables façadesd’ambassades, du personnel employé parfois dans des conditions précaires. Ainsi, ce coursier malade, licencié sans préavis, ni indemnités par l’ambassade d’Arabiesaoudite de Bruxelles. Pas de carte de séjour, pas de sécurité sociale, toute sa famille se trouve démunie. Il raconte2: « Sans l’aide d’une assistance sociale, nousserions à la rue. On n’a pas d’argent pour rentrer, pas d’argent pour me soigner. On dépend pour le moment du CPAS. »
Autre victime, une Polonaise, femme de ménage chez un ambassadeur italien auprès de l’Otan à Bruxelles. Elle s’occupait de ses enfants jour et nuit mais pensait êtreprotégée par un contrat en bonne et due forme. Un simple accident de travail, elle se retrouve à la porte, sans rien. Elle témoigne2 : « Quand je les ai quittés, ilsont utilisé ma carte d’identité, ils m’ont envoyé les gendarmes, ils ont cherché à m’accuser de vol domestique. »
Des témoignages qui montrent que, sous le couvert de l’immunité diplomatique, les ambassades bafouent les lois du pays d’accueil, en l’occurrence la Belgique. Des avocats commeGeorges-Henri Beauthier ont entamé des procédures en justice. À Bruxelles, il travaille avec l’association Pagasa. Objectif : détecter les victimes d’esclavage et lesdéfendre.
Anne Vauthier, responsable de Pagasa, explique : « L’esclavage domestique pose problème dans le milieu diplomatique, étant donné qu’on ne peut pas poursuivre ces trafiquants avecla convention de Vienne sur l’immunité. Il n’y a pas moyen de faire quelque chose au niveau d’une procédure judiciaire même si elle peut être ouverte ici, elle ne peut pasaboutir la plupart du temps. »
Pagasa, comme le Conseil de l’Europe, dénonce l’absence de garanties pour les personnes engagées. Pas de contrôles suffisants, pas de contrats de travail ni d’application dusystème du permis de séjour. Parmi les faits relevés dans le rapport de l’Assemblée parlementaire, certains constats laissent pantois :
> La victime de l’esclavage domestique se voit systématiquement confisquer son passeport dès son arrivée dans le pays de destination, ce qui la place dans une situation devulnérabilité et de dépendance vis-à-vis de son employeur.
> Son travail n’est pas rémunéré ou, s’il y a rémunération, elle est sans commune mesure avec le service fourni.
> Elle est soumise à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine, travaille entre 15 et 18 heures par jour, ne bénéficiepas de jours de congé, ne dispose pas d’une chambre individuelle et ne se nourrit bien souvent que des restes des plats laissés par les employeurs.
> Certains domestiques sont également séquestrés. Pour les autres, on peut parler d’autoséquestration. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas le droit de sortir etqu’ils sont constamment enfermés au domicile de leur employeur, mais ils n’ont le droit de sortir que pour un temps déterminé et pour accomplir une tâche bienprécise. Et même lorsque leurs employeurs ne limitent pas expressément leur liberté d’aller et venir, celle-ci est quand même restreinte, puisque le domestique saitqu’il est en situation irrégulière et donc susceptible d’être arrêté et expulsé.
> Les liens entre le domestique et sa famille ou ses proches sont rompus. L’employeur lui interdit de correspondre avec eux et de recevoir ou de passer des appels téléphoniques.
> Le domestique est isolé culturellement. Il se retrouve dans un pays dont il ne parle et ne comprend pas souvent la langue. Il ne connaît pas ses droits et ne sait pas vers qui setourner pour obtenir de l’aide.
1 Assemblée parlementaire, Conseil de l’Europe, F-67075 Strasbourg Cedex, France, tél. : +33 3 88 41 20 00, fax : +33 3 88 41 27 76, e-mail : pace@coe.int, http://stars.coe.fr Un rapport (rapporteur : John Connor, Irlande, PPE/DC) sera débattu en session plénière à l’Assemblée parlementaire enjuin 2001.
2 Interview diffusée au JT de la RTBF du lundi 22 janvier 2001.

catherinem

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