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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Régularisation, premier bilan

L’opération de régularisation des sans-papiers a largement mobilisé les acteurs de terrain. Trois mois plus tard, quel premier bilan peut-on tirer ?

29-03-2010 Alter Échos n° 292

L’opération de régularisation des sans-papiers a largement mobilisé les acteurs de terrain. Trois mois plus tard, quel premier bilan peut-on tirer ?

Du 15 septembre au 15 décembre 2009, des milliers de sans-papiers étaient attendus dans les services étrangers des communes pour introduire une demande de titre deséjour. En 2000, quelque 42 000 personnes avaient pu être régularisées lors d’une opération qui n’avait duré que trois semaines. Combien ont-ilsété cette fois-ci ? « On n’a pas encore de chiffres à communiquer. Je ne peux même pas vous donner un ordre de grandeur. Vous comprenez, c’est une questionsensible. Il y en aura toujours pour dire que c’est trop et d’autres, pas assez. On ne communiquera rien tant qu’on ne connaît pas le chiffre exact », explique Benoît Pitance,porte-parole du secrétaire d’État à la politique de Migration et d’Asile, Melchior Wathelet (CDH)1.

C’est que la procédure a pris un retard important. Beaucoup de dossiers traînent dans les administrations communales et doivent encore parvenir à l’Office desétrangers2. À Anvers, par exemple, un millier de dossiers seraient toujours en attente. « Mais cette opération ne sera pas anecdotique »,pressentait Frédérique Mawet, directrice du Ciré3, qui s’exprimait lors d’un déjeuner sur le bilan de la régularisation organisé par le Centrerégional d’intégration de Charleroi (Cric)4.

Au Ciré, on estime que de façon globale, l’opération s’est bien déroulée. « L’information est bien passée auprès des sans-papiers,notamment grâce à la mobilisation de l’associatif. La communication avec l’Office des étrangers et le cabinet Wathelet est bonne. Les dossiers problématiques parviennentà remonter », explique Coralie Hublau, juriste au Ciré. Pour rappel, un comité de suivi composé, entre autres, de représentants du Ciré, del’Office des étrangers et du cabinet Wathelet, a été désigné pour assurer le suivi des dossiers problématiques. Et nul doute qu’il y aura de lamatière. On pointe déjà des irrégularités dans les enquêtes de quartier…

Histoire d’une instruction boiteuse

Après des années de contestation menée par la société civile, des dizaines d’occupations d’églises et des mois de blocage politique, le 18 juillet 2009,le gouvernement Van Rompuy parvenait enfin à un accord sur la régularisation des sans-papiers. Du 15 septembre au 15 décembre 2009, ils ont pu demander un titre de séjourà condition de répondre à l’un de trois critères suivants : vivre une situation d’urgence humanitaire, avoir subi une procédure d’asile trop longue ou prouver unancrage local durable dans notre pays. « Parmi les points positifs, on peut dire qu’on est satisfait de voir l’ancrage local durable pris en compte. Pour les personnes qui ne sont pasprésentes en Belgique depuis cinq ans, on peut aussi se réjouir qu’une ouverture existe à travers la régularisation par le travail, même si cette porte restetrès étroite. On regrette toutefois que ces deux critères soient temporaires, explique Coraline Hublau. Reste aussi le problème de l’insécuritéjuridique. »

Trop frileux pour couler sa décision dans une loi, le gouvernement, en effet, s’est contenté d’une simple instruction. La douche froide ne s’est pas fait attendre. Quelques joursà peine après son adoption, le Vlaams Belang introduisait un recours contre l’instruction devant le Conseil d’État qui lui a donné raison, le 9 décembre 2009.Le secrétaire d’État Melchior Wathelet a réagi en affirmant qu’il assurera la sécurité juridique de toutes les personnes ayant demandé un titre deséjour dans le cadre de l’instruction.

Mobilisation des acteurs

L’information constituait l’un des enjeux de cette régularisation. Il s’agissait, bien entendu, d’informer les demandeurs d’asile des démarches à entreprendre, mais aussi lestravailleurs sociaux qui rencontrent ce public lors de leur travail quotidien. Les critères de régularisation étaient explicités dans un vade-mecumtéléchargeable sur le site www.lesfamilles.be. Néanmoins, on peut regretter que le gouvernement n’ait pasorganisé une campagne d’information à large échelle. À défaut, c’est le secteur associatif qui s’est mobilisé pour faire passer le message. Avec les moyensdu bord, différentes associations ont édité leurs propres outils de communication, ouvert des permanences téléphoniques, organisé des séancesd’information…

Au-delà des actions mises en place par les acteurs de première ligne, des projets concertés entre secteur associatif et pouvoir communal ont parfois vu le jour. Sans dresserune liste exhaustive, on signalera les initiatives impulsées à Liège et à Charleroi. Dans la cité ardente, une plate-forme a été mise en place avecl’associatif, à travers le Centre régional pour l’intégration des personnes étrangères à Liège (Cripel)5, et la Ville. « LaVille a dégagé des moyens uniques pour organiser la régularisation. Elle a mis à disposition dix travailleurs supplémentaires pour traiter les dossiers. Toutétait centralisé à la brasserie Haecht. La Ville a aussi dégagé des agents de quartier spécialement pour effectuer les enquêtes de résidence, cequi a permis d’éviter les retards qu’on connaît parfois ailleurs », se félicite Jean-Michel Heuskin, directeur du Cripel.

À Charleroi, un guichet unique avait été ouvert dans la maison communale de Marcinelle, grâce à la mobilisation des syndicats, du Cric, du secteur associatif etde l’échevine de l’État civil, Françoise Daspremont (PS). En plus des personnes orientées directement au bureau d’accueil, 132 personnes ont étéreçues aux séances d’information et 410 lors d’entretiens individuels. Une ligne téléphonique avait même été ouverte pour répondre aux questionsdes demandeurs d’asile dans plusieurs langues. « Mais on a constaté que les personnes préféraient avoir un contact direct. Durant ces trois mois, nous n’avonscessé de devoir adapter le plus rapidement possible le dispositif prévu en fonction des demandes réelles », explique Angelica Ferullo, chargée de mission auCric et responsable de ce projet.

Des agents trop zélés

Selon la procédure, après avoir introduit un dossier au service des étrangers de sa commune, le demandeur d’asile recevait la visite de l’agent de quartier, censévérifier son lieu de résid
ence effective. À Charleroi, sur 913 demandes, 132 ont été refusées à la suite d’un avis négatif. « Il y aeu un grave problème avec la police. D’après les acteurs sociaux qui sont en contact direct avec le public, les avis de passage n’étaient pas toujours déposés dansles boîtes aux lettres, ou alors, des avis de passage négatifs étaient directement laissés sans qu’il y ait eu le moindre avertissement auparavant. En décembre, on ainterpellé la police lors d’une table ronde. Le commissaire a répondu que la police n’avait fait que son boulot. Que pouvons nous faire dans cette situation ? »,s’interroge Angelica Ferullo. « Mais ce n’est pas arrivé qu’à Charleroi », rappelle au passage l’échevine de l’État civil, FrançoiseDaspremont.

Sans jeter la pierre à l’une ou l’autre commune en particulier, d’autres cas d’agents de quartier outrepassant leur fonction ont été signalés. « Il y a eudes confusions entre les enquêtes de domiciliation et les enquêtes d’espace suffisant qui sont menées lors des regroupements familiaux. Dans ce cas, l’agent de quartier doiteffectivement vérifier si le logement est salubre, le nombre de chambres suffisant… Mais pour la régularisation, cela ne se justifie pas. Ça devait rester une simpledémarche administrative », explique Coralie Hublau. De là à crier à l’abus de pouvoir ? « On ne peut pas dresser un procès d’intention.Tout ce qu’on sait, c’est ce qui nous a été rapporté par les travailleurs sociaux. Néanmoins, on peut se poser la question. L’enquête de domicile est le seul petitpouvoir, la seule marge de manœuvre, dont dispose les communes dans le processus de décision. En effet, si l’enquête est négative, le dossier n’est même pas transmisà l’Office des étrangers. »

Au cabinet de Melchior Wathelet on ne nie pas le problème. « Dire qu’il n’y aurait pas eu de problèmes avec les enquêtes de quartier, ce serait un mensonge. Mais ilfaut rappeler qu’il y a un système de suivi au niveau du cabinet. Le comité de suivi a un service communes qui rappelle les administrations communales quand un problème estconstaté dans un dossier. Le problème, c’est qu’on n’a pas d’autorité sur les maisons communales. On peut juste renvoyer le dossier et espérer qu’il sera correctementtraité », signale Benoît Pitance, l’attaché de presse de Melchior Wathelet.

La course aux contrats de travail

La régularisation par le travail apparaît comme un autre écueil de cette opération. Avant même le lancement de l’opération de régularisation,plusieurs critiques avaient déjà été émises à propos de cette mesure, que ce soit pour dénoncer l’idéologie de l’immigration choisie qui lasous-tend, ou sa complexité absurde. Pour rappel, le demandeur d’asile concerné doit introduire un dossier comprenant un contrat de travail conclu sous réserve derégularisation. Une fois que l’Office des étrangers a vérifié que tout est en ordre, l’employeur potentiel peut alors introduire une demande de permis de travailauprès de l’autorité régionale. En imaginant que cet employeur ait eu la patience d’attendre, plusieurs mois sans doute… Les faits semblent confirmer le caractèremarginal de cette mesure. Lors du déjeuner du Cric début mars, Frédérique Mawet avait évoqué 95 demandes ! Au cabinet Wathelet, une fois de plus, on soulignequ’il est trop tôt pour parler chiffres. « La régularisation par le travail semble marginale effectivement. Mais attention, beaucoup de gens ont essayé d’obtenir uncontrat de travail jusqu’à la dernière minute, le 14 décembre. On s’attend à ce qu’il y ait encore quelques dossiers qui rentrent », souligne BenoîtPitance.

Obtenir son contrat de travail jusqu’à la dernière minute… Oui, mais à quel prix ? Comme si les avocats véreux et les marchands de sommeil ne suffisaient pas,des employeurs sans scrupule n’ont pas manqué d’en profiter pour exploiter encore un peu plus les demandeurs d’asile. « Des employeurs véreux n’ont pas hésitéà faire des contrats fictifs contre rémunération. On essaie de dire aux gens de ne pas céder à ces pratiques, mais ce n’est pas si facile. Il faut se mettreà leur place », déplore le directeur du Cripel, à Liège.

La régul’ et après ?

Si le 15 décembre marquait la date limite pour rentrer des dossiers, ce n’est qu’une première phase de l’opération régularisation qui s’achève. À la suitede l’expérience du guichet unique, Charleroi s’est doté d’un Comité après régularisation pour suivre les dossiers litigieux et interpeller les autorités lecas échéant. À long terme, ces réunions entre associatif et pouvoirs communaux devraient même aboutir à la création d’un guichet unique pour l’accueildes primo-arrivants. « Avec l’expérience de la régularisation, on s’est rendu compte des avantages de ce partenariat pour le public et on a voulu continuer. La régul’et après ? Il faut s’organiser pour la suite, non seulement pour suivre les dossiers qui peuvent poser problème, mais aussi pour ceux dont le dossier a été accepté,afin de répondre à toutes leurs questions, que ce soit concernant l’école, le logement, etc. », explique Angelica Ferullo.

Même son de cloche dans la cité ardente. « Auparavant, il y avait une méfiance de l’associatif vis-à-vis de la Ville. Mais la Ville a fait un effort uniquepour cette opération de régularisation et une confiance s’est instaurée. À terme, cela devrait aboutir à la création d’un guichet unique pour lesprimo-arrivants. Cette idée avait déjà été évoquée, mais n’aurait sans doute pas été possible avant cetteexpérience », s’enthousiasme Jean-Michel Heuskin.

Il est trop tôt, on l’a assez dit, pour estimer le nombre de personnes qui seront régularisées au bout de l’opération lancée en 2009. Mais quel que soit leurnombre, on peut d’ores et déjà s’attendre à ce qu’il faille renforcer l’accompagnement. Ces demandeurs d’asile ont fait preuve de dynamisme et de créativité pourarriver jusqu’en Belgique et s’y débrouiller vaille que vaille, mais ils sont souvent fatigués par des années de combats, de situations bancales. « On ne peut pasvraiment parler de primo-arrivants à leur propos, puisque ces personnes sont parfois présentes depuis des années sur le territoire. Mais certaines ont pu se retrouver esclavesdans des ambassades ou vivre repliées dans une communauté… Il faudra avoir un vaste débat sur la politique d’accueil », souligne Frédérique Mawet.

1. Cellule Migration et Asile du cabinet Wathelet :
– adresse : rue de la Loi,
51 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 790 57 11
– courriel : asile@wathelet.fed.be
– site: www.melchiorwathelet.be
2. Office des étrangers :
– adresse : World Trade Center II , chée d’Anvers, 59B à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 793 80 00
– courriel : helpdesk.dvzoe@dofi.fgov.be
– site : www.dofi.fgov.be
3. Ciré :
– adresse : rue du Vivier, 80/82 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 629 77 10
– courriel : cire@cire.irisnet.be
– site : www.cire.irisnet.be
4. CRI :
– adresse : rue Hanoteau, 23 à 6060 Gilly
– tél. : 071 20 98 60
– courriel : info@cricharleroi.be
– site : www.crichareleroi.be
5. Cripel :
– adresse : place Xavier Neujean, 19 B à 4000 Liège
– tél. : 04 220 01 20
– courriel : secretariat@cripel.be
– site : www.cripel.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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