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Regard critique · Justice sociale

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Prostitution estudiantine : un « salaire d’appoint » ?

Absentes des trottoirs et des statistiques officielles, les étudiantes sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers les relations tarifées, surtout pour augmenter leur pouvoir d’achat.

02-03-2012 Alter Échos n° 333

Absentes des trottoirs et des statistiques officielles, les étudiantes sont pourtant de plus en plus nombreuses à se tourner vers les relations tarifées. Symptôme d’une société de plus en plus consumériste ou signe, malgré les témoignages décomplexés, de la paupérisation des étudiants ? Une étude menée en Flandre1 par Lindsay Momerency livre des conclusions interpellantes.

Débattu en France et outre-Manche, l’impact du coût croissant des études supérieures sur la prostitution suscite, avec un brin de fatalisme, des questions en Belgique. L’interpellation du ministre flamand de l’Enseignement et de la jeunesse, Pascal Smet (sp.a), par Cindy Franssen n’était guère passée inaperçue à l’automne 2010 : la parlementaire CD&V s’indignait que « pas moins de 200 étudiantes se prostituent à Gand, contre 400 à Anvers »2. Sans contester l’existence du phénomène, le ministre avait argué de « l’absence de données scientifiques », tout en mettant en doute « la faisabilité d’une étude pratique, s’agissant de prostitution cachée ». Un point de vue qui rejoint celui des services sociaux des universités : non seulement « aucune plainte liée à la prostitution » ne leur est jamais parvenue, mais « les possibilités de garder les études abordables ne manquent pas, tout comme leurs sources de financement », souligne-t-on du côté de l’UGent, l’ULg et de la KU Leuven. Si l’obligation parentale devait faire défaut, des revenus de remplacement peuvent être octroyés par le CPAS. Bourses d’études, prêts sans intérêt et autres réductions de minerval et de frais de kot sont prévus par les Communautés et les universités. Sans compter les incontournables jobs d’été ou de week-end. Dans ce contexte, se tourner vers la prostitution en dehors des heures de cours pour s’assurer un parcours académique relativement serein paraît un choix extrême.

Des attentes décalées

Loin des néons des vitrines, bars et autres maisons closes, l’immense majorité des étudiantes concernées optent pour les petites annonces ou les agences d’escorte de luxe. Elles le font à la limite de la légalité, mais les tarifs vertigineux, les horaires flexibles, l’absence de proxénète et la clientèle au niveau socioprofessionnel élevé leur donnent le sentiment de garder le contrôle de la situation. Quelques heures prestées par mois ou par semaine « ne font pas d’elles des prostituées » et « encore moins des victimes », minimisent-elles. « Si le sexe est monnayable alors pourquoi ne pas en profiter et s’offrir des extra comme un voyage à l’étranger ou des vêtements de marque, plutôt que de se priver pendant les études ? » Alors que les demandes à bénéficier du revenu vital par les étudiants ont quadruplé en moins de dix ans, les services d’aide publique s’effraient de constater que « beaucoup de jeunes, si pas la plupart, n’ont aucune notion de revenus et de dépenses. A vrai dire, ils n’ont aucune conscience du coût de la vie, comme le note une collaboratrice du CPAS d’Anvers. C’est un signal que quelque chose va mal avec la société. »

Selon les calculs de Lindsay Momerency, une année académique coûte en moyenne à un étudiant belge non boursier 12 296 euros. En guise de comparaison, deux heures d’escorte sont tarifées 600 euros…

« Majeures et consentantes »…

Entre la société de (sur)consommation qui juge normal de céder à la moindre de ses envies, l’évolution des mœurs à l’heure d’Internet et la banalisation de la sexualité, les repères deviennent facilement flous. Si le choix de louer son corps est longuement réfléchi et toutes les précautions prises pour ne pas être reconnues, ces étudiantes n’hésitent pas à prendre des risques menaçant leur bien-être physique, émotionnel et mental : les relations ne sont pas systématiquement protégées avec leurs clients, lesquels décident toujours du tournant que les prestations peuvent prendre, quitte à imposer des pratiques déviantes. Les associations d’aide aux prostitué(e)s comme Gh@apro (Anvers) et Pasop (Gand et Hasselt) supposent en avoir croisé lors de leur travail sur le terrain – sans pouvoir avancer de chiffres. Les cellules prostitution de la police sont elles aussi rarement amenées à identifier le profil des travailleuses du sexe rencontrées au cours de leurs tournées de prévention. Par manque de moyens, l’attention des autorités va prioritairement aux formes de prostitution les plus problématiques. Les étudiantes interrogées par Lindsay Momerency assurent toutes vouloir tourner la page une fois le diplôme en poche… et pour autant que leur emploi futur soit « suffisamment intéressant et bien rémunéré ». Si ce n’était pas le cas, certaines concèdent qu’elles pourraient continuer à offrir leurs services, « en attendant ».

1. Momerency, Lindsay, Studente ontvangt : Bijverdienste in de prostitutie, Damme, Zorro Uitgeverij, novembre 2011, 192 p.

2. « 600 Vlaamse studenten prostitueren zich door hoge kosten studie », De Morgen, 12/10/2010. Les chiffres avancés ne reposent sur aucune source citée.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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