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Pas de manche le dimanche à Charleroi

Plan de revitalisation du centre-ville de Charleroi. Opération revalidation ou dérive sécuritaire ?

La ville de Charleroi a lancé un vaste plan de sécurisation et de revitalisation de son centre-ville qui met en œuvre, entre autres, une réglementation plus stricte de la mendicité. Opération revalidation ou dérive sécuritaire ?

Si Paul Magnette (PS) avait voulu monter une opération de communication pour marquer avec force le changement à la tête de Charleroi, il ne s’y serait pas pris autrement. À grand renfort de communiqués de presse, le nouveau bourgmestre a lancé un vaste plan de sécurisation et de revitalisation du centre-ville. Il faut dire que le quartier de la ville haute en a plutôt besoin. Entre les dépôts illégaux d’immondices, les squats, le mobilier urbain régulièrement dégradé et les petits larcins, le sentiment d’insécurité s’est installé et les classes moyennes ont déserté le coin. Pour combattre les incivilités, le Général Magnette a donc lancé le plan Vauban, baptisé en référence aux fortifications militaires édifiées par l’architecte éponyme, sur lesquelles la ville a été fondée.

Le coup d’envoi des festivités a été donné en mars, par des contrôles policiers menés en collaboration avec l’Office des étrangers. L’opération a été renouvelée en mai. Bilan, se félicite la ville : vingt-huit personnes ont été privées de liberté, dont quinze pour séjour illégal, un mineur étranger non accompagné, quatre pour détention de stupéfiants, un pour état d’ivresse sur la voie publique et quatorze personnes recherchées par la justice.

La première phase de « réaffirmation de la règle » est une étape jugée nécessaire pour rendre au quartier sa convivialité d’antan, communique-t-on à la Ville, où l’on se défend de toute velléité sécuritaire (lire interview ci-contre).

A côté de la répression des incivilités, le plan Vauban a créé une task force pour lutter contre les marchands de sommeil. Une cellule contrôle composée d’un agent du service urbanisme, d’un agent du service logement, d’un éducateur de rue, d’un agent de la police locale ainsi que d’un agent de la police administrative est notamment mise en place.

Allez mendier ailleurs

La mesure la plus polémique du plan Vauban concerne la nouvelle réglementation que la ville vient d’adopter « pour éviter la sédentarisation de la mendicité dans un même quartier ». A partir du 15 septembre, faire la manche sera autorisé de 8 à 18 heures, le lundi à Charleroi, le mardi à Gilly et Marcinelle, le mercredi à Marchienne-au-Pont et Monceau-sur-Sambre, le jeudi à Montignies-sur-Sambre et Mont-sur-Marchienne… et interdit le dimanche !

A la commune, l’opposition Ecolo et PTB se sont indignés de cette mesure. Du côté du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP)1 aussi, la réaction se fait plutôt virulente. « Les sans-abri ont créé des règles pour vivre en rue, pour se répartir le territoire, les heures… Quoique l’on puisse en penser, il y a une forme d’équilibre, de débrouillardise intelligente. Avec ses nouveaux règlements pour embellir le centre, la ville vient briser ce peu que les sans-abri ont trouvé pour survivre », analyse Christine Mahy. Pour la présidente du RWLP, la ville se trompe de cible : « La mendicité n’est qu’une conséquence du délitement des liens sociaux, du délitement des mailles de la sécurité sociale… Rendre la mendicité invisible ne résoudra pas le problème. Il y a quelque chose de très violent dans ces règles qui criminalisent la pauvreté. La commune ferait mieux d’investir son énergie, comme elle le fait paradoxalement déjà, pour soutenir des projets innovants comme il y en a plein à Charleroi. »

Paul Magnette répond à nos questions.

A.E. : Le plan Vauban n’apporte-t-il pas une réponse sécuritaire à des problématiques sociales ?

P.M. : L’opération Vauban est une opération de revitalisation urbaine. C’est-à-dire que l’objectif est que chacun puisse retrouver un cadre de vie agréable, que chacun se sente bien dans son quartier. Les habitants doivent se réapproprier leur quartier. L’opération Vauban est donc bien une opération menée pour les habitants et avec les habitants. Les actions d’animation et de participation citoyenne qui sont prévues dans l’opération sont inutiles si le respect des règles et de l’ordre public n’a pas d’abord été garanti. Le conseil de participation va d’ailleurs déjà se mettre en place fin juin. Il regroupera les forces vives du quartier : habitants, commerçants, écoles… et il aura pour mission de donner les grandes orientations de développement de ce quartier. Quant à l’animation du quartier, elle va commencer dès cet été, en collaboration avec les acteurs de terrain.

A.E. : Quelles mesures sont-elles prévues sur le volet préventif et social ?

P.M. : La ville de Charleroi n’a pas attendu l’opération Vauban pour mener un travail social de fond. Les services sociaux sont nombreux. Le relais social, les éducateurs de rue, tout le réseau associatif et le CPAS sont très présents sur le terrain pour aider les plus démunis.

A.E. : On ne peut que se réjouir de voir la commune mettre en place une task force pour lutter contre les logements insalubres. Existe-t-il parallèlement un plan pour reloger les personnes dont les logements seront fermés ?

P.M. : Plusieurs opérations ont déjà été menées au sein de bâtiments gérés par des marchands de sommeil. Une cellule a été mise en place pour, justement, veiller à ce que ces personnes, qui sont victimes des marchands de sommeil, retrouvent un autre logement. Et toutes les opérations menées se passent dans ces conditions. Chaque locataire est installé dans un autre logement.

A.E. : Concernant le renforcement des réglementations sur la mendicité et la prostitution, n’y a-t-il pas un risque d’effet pervers qui serait de déplacer le problème ou de pénaliser encore davantage des personnes qui sont déjà dans une situation précaire ?

P.M. : L’objectif n’est pas de pénaliser, ni même d’interdire. Mais d’améliorer la coexistence de toutes les personnes qui vivent et travaillent à Charleroi. Il apparaît depuis quelques années que la mendicité se sédentarise dans certains quartiers, générant des difficultés sociales croissantes avec les personnes habitant ou travaillant dans le voisinage. Le pari de cette nouvelle organisation, élaborée après une concertation avec les organisations sociales de terrain, est d’encourager les personnes qui font la manche à faire appel de manière équilibrée à la solidarité des Carolos dans les différents quartiers, et pas uniquement dans la partie très paupérisée de la ville haute. Le Collège a prévu, au cours des trois prochains mois, de maintenir un étroit dialogue avec les personnes qui font la manche à Charleroi ainsi qu’avec les organisations sociales qui les accompagnent au quotidien, et ce, afin d’examiner les modalités de mise en place de ce règlement.

 

1. Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté :
– adresse : rue Marie-Henriette, 12 à 5000 Namur
– tél. : 081 31 21 17
– courriel : bureau@rwlp.be
– site : http://www.rwlp.be

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Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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