S’aider entre pairs pour reprendre le contrôle de sa vie

S’aider entre pairs pour reprendre le contrôle de sa vie

Santé

S’aider entre pairs pour reprendre le contrôle de sa vie

La paire-aidance a le vent en poupe en Belgique francophone. Les formations se multiplient pour ancrer dans les institutions cette pratique qui met l’expérience de la souffrance et du rétablissement au cœur du travail social. Mais les pairs-aidants cherchent aussi du soutien. Un coup de pouce sous la forme d’un statut serait le bienvenu.

Martine Vandemeulebroucke Images : Fanny Monier 08-04-2021
S'aider entre pairs pour reprendre le contrôle de sa vie

Vendredi, 12 h 45. La réunion du groupe «la voix des usagers» du club psychosocial «La Charabiole» va bientôt commencer. À l’entrée de cet ancien cinéma de Saint-Servais, Stéphane Waha, pair-aidant, accueille les participants par un sourire, quelques mots. Les poignées de main ou la tape sur l’épaule, ce sera pour plus tard, et, en cette période de Covid, on ne peut pas trop prendre le temps de bavarder ensemble dans le couloir. Il faut rejoindre la grande salle où attendent déjà le coordinateur de la Charabiole, Eric Faveaux, et le psychologue Denis Collet. Tous les participants sont des résidents de l’IHP (Initiative d’habitations protégées) L’Espoir, une structure d’aide au retour à l’autonomie pour les personnes qui vivent la maladie mentale, créée par l’hôpital psychiatrique Le Beau Vallon à Namur. Stéphane est pair-aidant. Il fait partie de l’équipe de «La Charabiole» mais avec une expérience et un savoir particuliers, puisqu’il a vécu, comme certains résidents, des troubles bipolaires.

Comme chaque vendredi, on discute dans ce groupe de toutes les petites et grandes questions de la vie quotidienne des résidents des habitations protégées: la vaccination comme le retrait du Coca Light du distributeur de boissons et son remplacement par de l’eau gazeuse. Ce jour-là, le groupe parle aussi de lui-même et plus précisément de sa participation en tant que conseil des usagers au «Reintegration Award» organisé par le CRéSaM (Centre de référence en santé mentale) qui récompense les initiatives de réintégration des personnes souffrant de maladies mentales. Jean (prénom d’emprunt, comme pour tous les autres usagers dans cet article) anime la réunion presque à lui tout seul. Il veut écrire un article sur la page Facebook de la Charabiole et interpelle Stéphane pour qu’il explique son rôle en tant que pair-aidant. Ici, les usagers connaissent bien cette pratique. Même si Stéphane n’est arrivé que depuis le mois d’août au club psychosocial, ils ont déjà pu bénéficier auparavant de l’apport d’un ex-usager en santé mentale devenu pair-aidant.

Eric Faveaux, qui est aussi coordinateur de l’IHP, est en effet un convaincu de la première heure. Pour lui, le partage d’expérience entre «pairs» qui ont vécu une grande souffrance liée à des problèmes de santé mentale ou d’addictions est un «plus» pour des personnes qui se débattent encore dans ces difficultés. À la «Charabiole», explique Eric Faveaux, certains usagers souffrent de dépression, de bipolarité, de troubles schizophréniques, mais tous «cherchent à reprendre le pouvoir sur leur maladie, à vivre avec elle en vivant de la manière la plus autonome possible».

L’autonomie, il en est question dans le deuxième groupe de parole du vendredi. Presque les mêmes participants mais une autre approche. Ici, chacun arrive avec ses difficultés, ses aspirations, ses demandes d’aide. Une fois encore, le Covid et ses contraintes sanitaires s’invitent dans la discussion. Les activités du club (chant, guitare, jeux de société…) ont été réduites. Il n’est plus question de rester dans les locaux après celles-ci, de boire un café ensemble, d’y passer l’après-midi. Certains en souffrent et n’hésitent pas à le dire. «Quand ça ne va pas, ça fait du bien d’être avec d’autres personnes que soi», dit Laurent. Une jeune femme évoque, comme une plaisanterie, sa dépendance au chocolat, au sucre de manière générale, mais on sent bien que ce n’est pas vraiment drôle pour elle. Et voilà la gestion des médicaments, de l’alcool qui déboule dans les échanges. Stéphane intervient en évoquant la dépendance à l’alcool chez les personnes souffrant de bipolarité, l’alcool, cet ami-ennemi qui désinhibe ou console dans les épisodes dépressifs. «C’est difficile de s’en libérer», conclut-il. Plusieurs approuvent de la tête.

Nicole aborde Denis Collet, le psychologue-animateur, avec un problème bien précis. Elle veut quitter son habitation protégée, vivre en autonomie mais craint le refus du médecin psychiatre. Elle n’ose pas lui en parler. Dans le groupe, certains ont franchi ce cap et lui donnent des conseils tout en évoquant le côté face de l’autonomie tant désirée: la solitude. «Trouver l’énergie de se faire à manger rien que pour soi, ce n’est pas évident.» «Si tu cherches un appartement, ne dis surtout jamais que tu viens d’une IHP, s’exclame Amandine, car c’est comme une étiquette sur le front, celle d’un fou.» «Tu n’as pas peur que les voix reviennent?», s’inquiète Jean. Non, dit Nicole, «j’ai des médicaments et je me sens bien». La réunion se termine. Stéphane distribue des petits papiers en demandant aux participants d’écrire en un mot ce qu’est pour eux un pair-aidant. «J’ai cru longtemps que l’on parlait de ‘père aidant’», dit Jean. Cela fait rire tout le monde.

Pas de financement, pas de contrat?

Stéphane travaille en tant que bénévole à la Charabiole, ou plutôt «il est à l’essai». Ce centre de santé mentale a en effet déjà engagé un pair-aidant comme salarié à mi-temps en 2017. À ce titre, la Charabiole est un peu une exception dans le paysage wallon. Housing First Namur a bien fait appel à un pair-aidant mais comme bénévole. Il n’est pas resté, dépité par son absence de statut reconnu au sein de l’équipe. Malgré un intérêt croissant pour la paire-aidance, peu d’institutions osent en effet se lancer dans l’engagement d’un salarié. «Parce qu’il n’y a pas de financement prévu pour ce genre de travailleur, notamment dans le secteur psychiatrique, explique Eric Faveaux. Ce n’est ni un travailleur social ni un éducateur ou un psychologue, il faut l’engager sur fonds propres. Pourtant, remettre au travail des personnes qui vivent des allocations de la mutuelle en valorisant leurs compétences, leur expérience en tant qu’usagers est une plus-value pour le secteur de la santé mentale.»

«Les institutions sont réticentes à accorder un statut reconnu à un pair-aidant qui ne soit pas celui d’un bénévole ou d’un prestataire exceptionnel.», Catherine Gérard, SMES

Mais l’absence de financement n’est sans doute pas la seule explication. «Les institutions sont réticentes à accorder un statut reconnu à un pair-aidant qui ne soit pas celui d’un bénévole ou d’un prestataire exceptionnel», explique Catherine Gérard, coordinatrice PAT (Peer and Team Support) pour le SMES. Le SMES, qui rassemble les acteurs professionnels, essentiellement bruxellois, du secteur de la santé mentale et du social, s’est engagé, avec l’asbl En Route, dans la formation et l’information sur la paire-aidance. Son projet Housing First à Bruxelles est un des premiers à avoir montré la voie. Une évidence pour Catherine Gérard: «La paire-aidance, dit-elle, fait partie intégrante du modèle Housing First.»

Muriel Allart, formatrice-coordinatrice de l’équipe Housing First-SMES à Bruxelles, ne dit pas autre chose. L’association de relogement des sans-abri travaille avec un pair-aidant salarié depuis 2013, «dès que le financement l’a rendu possible. Nous l’avons engagé au détriment d’autres fonctions. On aurait pu avoir un infirmier supplémentaire, nous voulions un pair-aidant».

«Il faut du temps, un long cheminement pour s’en sortir»

Pourquoi? «Avant de rejoindre Housing First, j’ai travaillé pendant neuf ans en réduction des risques en toxicomanie, explique Muriel Allart. Et j’ai pu mesurer à quel point des personnes qui avaient expérimenté des usages, des comportements, des lieux de soins possédaient une expertise qui était à la fois complémentaire et indispensable aux professionnels. Pour ceux qui sont dans la rue, dans des consommations d’alcool, de drogues, ça peut aider d’en parler à ceux qui ont connu la même chose. Le pair-aidant matérialise la possibilité du rétablissement, l’espoir d’en sortir. Nous constatons qu’au niveau de notre public, la paire-aidante arrive à nouer parfois des relations plus fortes, à mobiliser les bénéficiaires sur des questions sur lesquelles un autre travailleur aurait plus de difficultés. Notre paire-aidante a eu une expérience de vie très difficile dans toutes les problématiques que connaît notre public et en même temps, elle s’est très bien rétablie.»

«Le pair-aidant fait le même travail que le médecin ou l’assistant social mais avec d’autres outils, un autre regard.» Muriel Allart, Housing First-SMES à Bruxelles

Mais ce rétablissement réussi n’est-il pas parfois trop écrasant pour ceux qui se sentent encore bien éloignés d’une réinsertion? «L’intérêt justement, c’est qu’elle peut travailler sur l’entièreté de son parcours. Elle a mis quinze ans pour s’en sortir, tout ne s’est pas fait en un déclic. Elle a l’expérience des échecs, du sentiment de honte, d’auto-exclusion. Il est vrai, poursuit Muriel Allart, que certains bénéficiaires ressentent de la pression face à son parcours mais alors ils travaillent avec d’autres membres de l’équipe. On suit leurs envies, leurs besoins.»

Pierre Faignoy est chargé de communication pour l’association «En Route», qui fédère les pairs-aidants en Belgique francophone. Il a derrière lui un long passé de toxicomane. Les rechutes, les doutes, il connaît mais il se souvient bien aussi de sa première expérience, très récente, comme pair-aidant avec une jeune toxicomane. «Ce qui est important, c’est d’être conscient qu’on n’est pas un exemple. Je ne suis pas là pour dire ce que la personne doit faire. Dans mon parcours, j’ai été aidé par des gens très bien, mais leurs messages étaient ceux de personnes qui n’ont pas vécu le problème de la toxicomanie. Beaucoup pensent qu’il ‘suffit d’arrêter’, ce n’est évidemment pas aussi simple que ça. Il faut un cheminement, prendre le temps, savoir qu’il y aura des rechutes. Le monde extérieur accepte mal ces rechutes, pourtant, elles font partie du processus de rétablissement.»

L’asbl «En Route» se bat pour que les pairs-aidants aient un vrai statut dans l’équipe de professionnels. Chez Housing First, les choses sont claires: «Nous travaillons en transdisciplinarité, explique Muriel Allart. Chacun, dans l’équipe, a une formation et une expertise différentes. Le pair-aidant fait le même travail que le médecin ou l’assistant social mais avec d’autres outils, un autre regard. Il a autant de poids que le médecin de l’équipe. L’horizontalité complète ne pose aucun problème.»

Un accueil parfois frileux

Cette transdisciplinarité n’a rien d’évident au départ. Muriel Allart est l’auteure avec Sébastien Lo Sardo d’un guide méthodologique sur la paire-aidance en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a identifié plusieurs freins à l’engagement de pairs-aidants dans les institutions. Le premier, c’est le contact avec les professionnels et la question des diplômes. «Leur raisonnement? Si quelqu’un peut faire le même travail que moi sur sa seule expérience de vie, alors à quoi sert mon diplôme? Il y a aussi la crainte, chez ces travailleurs, que les institutions engagent des pairs-aidants parce que ça coûterait moins cher qu’un psychologue ou un infirmier. C’est absurde bien sûr, car ce raisonnement vaut pour toute fonction moins bien payée. Ce n’est pas parce qu’on engage un éducateur que l’on risque de ne plus engager de médecin.»

L’autre frein, très présent mais un peu tabou, c’est la crainte de la rechute du pair-aidant. Il faut au moins cinq années de rétablissement confirmé pour engager un pair-aidant, explique Muriel Allart. «Cela dit, c’est le même problème que pour une personne qui a fait un burn-out. Elle est aussi en risque de rechute comme tout autre professionnel qui a connu des problèmes de dépression ou d’addiction. On focalise un peu sur la fragilité du pair-aidant alors qu’il s’agit d’une question de santé mentale pour tout travailleur. La seule différence, c’est que, pour le pair-aidant, on est au courant de ce qui s’est passé. Pour éviter la rechute, il faut assurer le bien-être au travail, il faut que le pair-aidant ait une place dans l’équipe, qu’il soit soutenu, formé dans un cadre encourageant. Comme pour tout travailleur.» Et avec un salaire suffisant, ajoute Muriel Allart.

«Le vendredi, je sais pourquoi je me lève»

Retour à la Charabiole. Eric Faveaux, le coordinateur, le reconnaît: il a fallu un peu batailler pour convaincre le conseil d’administration de l’IHP de financer l’engagement d’un pair-aidant à mi-temps. «Nous avions fait un travail préparatoire avec l’équipe et les usagers avant d’intégrer le pair-aidant.» Tout se passait bien mais, pourtant, l’expérience a tourné court et le pair-aidant a démissionné après un an et demi, «en partie par ma faute», ajoute Eric Faveaux. En raison d’un problème de sous-effectifs au sein du personnel, le pair-aidant a pratiquement pris le rôle d’un membre de l’équipe soignante. Mais en santé mentale, celui-ci peut aussi avoir un rôle contraignant, avoir une fonction de «recadrage» pour certains usagers. «Il avait certes les compétences pour le faire mais il n’était plus un pair pour les usagers. Il était désormais perçu comme appartenant à la hiérarchie, explique Eric Faveaux. Cela ne s’est pas bien passé ni pour lui, ni pour les usagers, ni pour l’équipe. Nous ne voulons plus reproduire cela. Nous avons réfléchi avec l’équipe et nous allons d’abord engager Stéphane comme pair-aidant bénévole avec un contrat de travail ciblé sur les activités de la Charabiole.»

«La bipolarité était un handicap. Ici, elle devient un outil plus que quelque chose contre lequel je dois me battre.» Stéphane, pair-aidant à La Charabiole

Le centre de santé mentale renoue donc «en douceur» avec la paire-aidance. Stéphane, de son côté, part d’une situation rendue plus difficile encore en raison de l’épidémie et de l’arrêt de plusieurs activités du club psychosocial. Les possibilités d’interactions avec les usagers sont plus rares, plus contraignantes et se limitent à des promenades ou autres activités à l’extérieur. «La situation actuelle est handicapante», reconnaît-il. Contrairement à ce qui se passe dans le projet Housing First bruxellois, Stéphane n’a pas «déballé sa vie» devant les usagers. «J’ai expliqué que j’avais vécu des problèmes de santé mentale et que je vis encore avec la bipolarité. Je n’en dis pas plus. C’est dans les échanges, au fil de certaines situations que j’explique comment ça s’est passé pour moi et qu’il est possible d’aller mieux.»

Stéphane, qui travaillait autrefois dans des programmes de recherche européens, a commencé à se sentir «dysfonctionner» en 2010 et a été diagnostiqué bipolaire en 2012. Il a commencé à reprendre des activités en 2015 en devenant bénévole à l’association «Le Funambule» où il anime à présent des groupes de parole pour les personnes bipolaires et leurs proches. «Cela a mis du temps pour récupérer du pouvoir sur ma vie, résume-t-il. Au Funambule, je me suis demandé si je pouvais aller plus loin.» C’est ainsi qu’est venue progressivement l’idée de se former comme pair-aidant. Stéphane a d’abord travaillé au centre neuropsychiatrique Saint-Martin à Dave, il est actif au sein de l’association «En Route». «Quand on va mal, l’autostigmatisation est très forte. Se rétablir, c’est renouer notamment avec l’estime de soi. Pour moi, récupérer un rôle social avec la paire-aidance était très, très important. Le vendredi, je sais désormais pourquoi je me lève.La bipolarité était un handicap. Ici, elle devient un outil plus que quelque chose contre lequel je dois me battre.»

Petite pause. Puis Stéphane ajoute: «Quand j’ai été diagnostiqué bipolaire, j’allais vraiment très mal. Si j’avais pu rencontrer quelqu’un qui m’avait dit: ça va prendre du temps mais tu peux t’en sortir, cela m’aurait épargné beaucoup de périodes de désespoir.»

«Il m’a fallu du temps pour aimer aujourd’hui la Geneviève que je suis»

«J’ai toujours manqué d’estime de soi. J’ai eu du mal à me construire», résume Geneviève quand on lui demande de nous expliquer son parcours personnel. Geneviève achève actuellement son stage au sein du Collectif des femmes à Louvain-la-Neuve, après une année de formation à la paire-aidance à l’Université de Mons. Elle va bien. Cela n’a pas toujours été le cas.«J’ai subi un viol quand j’avais 18 ans, explique-t-elle. Pendant les trente années qui ont suivi cet événement traumatique, je me suis noyée dans l’alcool. Mais ce n’est pas l’alcoolisme qui est la raison de mon entrée dans la paire-aidance. L’alcool est plutôt la conséquence du viol et des violences familiales que je subissais.»

«Je me suis aussi rétablie grâce au contact avec les autres. Cela me renforce dans mon estime de soi.»

En février 2016, Geneviève quitte le domicile conjugal et est hébergée par le Collectif contre les violences familiales et conjugales de Liège. Une rencontre avec une étudiante en criminologie qui préparait son mémoire va tout bouleverser. «Cette étudiante va me recontacter deux ans plus tard pour la préparation de sa thèse de doctorat. Je lui ai dit: ‘Je suis aujourd’hui la Geneviève qui m’a tant manquée quand ça n’allait pas.’ C’est elle qui m’a alors parlé de paire-aidance et de la formation à l’Université de Mons. J’y suis allée, bien décidée à me former pour aider mes semblables.»

Ce qu’elle a appris pendant cette formation? «L’importance du récit de vie. Il y avait autant de lignes de vie différentes, autant de rétablissements que de participants à cette formation. La formation m’a conduite à passer de mon savoir expérientiel à cette capacité d’accompagner, au sein du Collectif, les femmes en détresse. La femme que j’étais autrefois.» Geneviève parle d’un parcours «gagnant-gagnant»: «Je me suis aussi rétablie grâce au contact avec les autres. Cela me renforce dans mon estime de soi.»

Geneviève reconnaît qu’il n’est pas simple, la première fois, de se présenter aux autres en tant que paire-aidante. «Vous arrivez dans une équipe de professionnels de la santé qui ont un autre bagage, celui de leur formation académique.» Heureusement, dit-elle, au sein du Collectif, l’équipe travaille de manière «horizontale», en complémentarité. Ce n’est pas le cas partout, ajoute-t-elle. «Dans le secteur de la santé mentale, c’est plus complexe. Le médecin, le psychiatre se placent presque naturellement au-dessus des autres. C’est une condition de travail qui n’est pas optimale pour le pair-aidant.»

Geneviève aime sa relation avec les femmes aidées. «Chaque entretien est un enrichissement. Il y a une vraie relation d’égale à égale. Ce que ces femmes ont vécu dans leur corps, je l’ai ressenti aussi tout comme la perte d’estime de soi.» Et que dire face à celles qui sont découragées? «Je leur dis qu’il faut du temps, qu’il m’a fallu cinq années pour aimer aujourd’hui la Geneviève que je suis. C’est un chemin qu’elles ne vont pas faire toutes seules. Beaucoup d’entre elles n’ont pas été crues par la police, la justice. Ici, elles savent que je les écoute et que je les crois.»

Geneviève termine son stage à la fin de ce mois de mars. Et après? Pas de contrat en vue mais la paire-aidante l’annonce: elle va se battre pour obtenir un statut. «La paire-aidance, c’est une profession à part entière, qui demande de la considération.»

Un statut encore à définir

En soi, le concept de paire-aidance n’a rien de neuf. Cela fait une bonne trentaine d’années que les initiatives participatives se développent dans le secteur de l’aide sociale et du soin. On pense aux «experts du vécu», en matière de pauvreté soutenus par le SPP Intégration sociale ou à la présence des ex-usagers de drogue dans les initiatives de réduction des risques, comme les opérations Boules-de-neige lancées dès la fin des années 80. La paire-aidance s’inscrit donc dans cette valorisation de l’expertise des personnes qui ont été confrontées aux addictions, à la maladie mentale ou à la précarité. Ce qui est neuf peut-être, c’est un certain engouement pour cette pratique en Belgique francophone. Depuis 2016, une formation à la paire-aidance est organisée par le service des sciences de la famille de l’Université de Mons et, en septembre 2020, le SMES et l’association En Route ont lancé une équipe PAT (Peer and Team Support) pour soutenir toutes les institutions intéressées par des formations, un accompagnement, des intervisions de pairs-aidants. Politiquement, la paire-aidance s’est introduite aussi dans les accords de majorité du gouvernement bruxellois. Du côté wallon, la ministre de la Santé Christie Morreale subsidie à la fois la formation dispensée par l’Université de Mons et l’association En Route Wallonie, qui fédère les pairs-aidants. Des contacts ont été pris avec la Région wallonne pour aller plus loin et prévoir un vrai statut du pair-aidant dans les structures sociales et de soins. C’est sans doute là que réside le véritable enjeu pour l’avenir. Si les formations en paire-aidance se multiplient, si les associations et les institutions dans le secteur social et de soins montrent un intérêt évident pour cette pratique, rares sont les pairs-aidants qui bénéficient d’un contrat de travail. Le projet Housing First du SMES emploie un(e) pair-aidant(e) depuis 2015, la clinique Sans-Souci à Bruxelles a un pair-aidant à mi-temps et l’IHP L’Espoir à Namur avait un salarié jusqu’à il y a peu. «Mais cela bouge, assure Pierre Faignoy pour En Route Wallonie. Des contacts existent avec le CPAS de Namur et le Relais social de Mons.» Les pairs-aidants ne pourront pas rester éternellement des bénévoles. Sur ce point, il semble qu’il y ait consensus au niveau des décideurs politiques régionaux.

 

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke