Brasserie de la Lesse ou l’art de la sobriété heureuse

Brasserie de la Lesse ou l’art de la sobriété heureuse

Economie

Brasserie de la Lesse ou l’art de la sobriété heureuse

À Éprave, la Brasserie de la Lesse a décidé de miser sur le circuit court en matière tant d’approvisionnement que de distribution. Un parcours assez atypique dans le monde brassicole. Son statut de coopérative n’y est pas pour rien.

Pierre Jassogne Images : Marin Driguez 07-02-2022
La naissance du projet: une histoire de potes

«Il n’y a jamais eu autant de monde en même temps à la brasserie», lance Norbert Buysse, un des fondateurs et administrateur délégué du projet, comme pour s’excuser de tout ce brouhaha. C’est que chacun doit reprendre le travail laissé pendant les fêtes de fin d’année. Norbert, lui, règle la paperasse dans une des pièces de l’ancienne ferme qui sert de bureau, mais aussi de réfectoire où chacun vient se réchauffer autour du poêle à bois. À l’extérieur, un charpentier répare la terrasse qui a souffert des inondations de l’été dernier, et, dans la brasserie, Manu Collin, le maître-brasseur et directeur de production, ne veut absolument pas être dérangé. C’est dans son caractère, apprendra-t-on plus tard dès lors qu’on tentera de l’aborder pour quelques questions. Outre qu’il accueille un nouvel employé, dans quelques jours, l’homme achèvera une cuvée spéciale, celle qu’il a réalisée pour fêter les dix ans de la brasserie. L’enjeu est de taille. En attendant, avec des allures de général en chef, il fait le tour des cuves avec sa nouvelle recrue en lui transmettant tout son art, et pas question d’être dans son passage, car l’homme en impose… Dans sa savante tâche, il est aidé par Martin La Grange, l’ingénieur industriel et directeur technique, qui contrôle le fonctionnement de la brasserie dans le moindre détail. Dans un ballet incessant de casiers, Réginald, lui, s’occupe de trier et de ranger les bouteilles, en attendant une prochaine livraison. Il est un peu ici l’homme à tout faire, et il le fait avec plaisir. Reste Julien, le directeur de la propagande comme on l’appelle ici, ou plus prosaïquement responsable commercial, qui est allé chercher une nouvelle camionnette… Un air de rentrée en somme, même si on est en janvier. La journée sera chargée, d’autant que le lendemain sera consacré à la reprise de la production qui s’est arrêtée le temps des fêtes. Chacun veille alors à ce que tout soit nickel, même si la routine est rondement menée et la bonne ambiance, de mise.

Car l’aventure de la Brasserie de la Lesse est avant tout celle d’une bande de copains. «Le projet est né un peu par hasard», rappelle Norbert. «À la base, l’idée est venue d’une bande de jeunes qui se connaissaient du patro et qui ont décidé de créer une confrérie, la Confrérie du Busson, avec comme objet la dégustation de bière, mais aussi de s’amuser autour de celle-ci en en brassant des casseroles à la maison», raconte-t-il. On est alors au début des années 2000. Norbert n’a pas fait partie de cette première époque. Il rejoint la confrérie au début des années 2010. C’est à ce moment-là précisément que tout s’accélère. L’un des membres de la confrérie évoquera la situation d’un brasseur de la région, situé à Éprave, qui cherchait à remettre son matériel. En questionnant le brasseur, et en en discutant à quelques-uns, l’idée germe de brasser des bières dans une vraie brasserie.

«Les jours suivants, on est allé voir les anciennes installations, des installations qui étaient restées dix ans à l’abandon, et, de fil en aiguille, certains ayant l’envie d’entreprendre, d’autres comparses cherchant du boulot, il y avait une sauce qui pouvait prendre, tandis que je passais à gauche, à droite des coups de fil pour trouver de l’argent parce qu’on n’en avait pas du tout. Ayant une connaissance chez Credal, on a discuté du projet, en misant sur l’économie sociale car tant qu’à démarrer un projet, autant le faire en accord avec les enjeux du XXIe siècle. C’est comme cela que la brasserie est devenue une coopérative à finalité sociale.»

Il faudra six mois à la bande pour maîtriser l’outil avant d’aboutir à la première production. C’était en 2012, voilà dix ans. Depuis ces premières bières, l’équipe s’est professionnalisée, l’outil, perfectionné et la gamme, étoffée, tout comme le nombre de coopérateurs. Aujourd’hui, la brasserie compte environ 400 coopérateurs, mais, dès le départ, le soutien est massif. «Des coopérateurs qui viennent principalement du village d’Éprave et des environs de Rochefort. C’est pour nous une belle réussite, car on est reconnu sur notre territoire», se félicite Norbert. C’est aussi une belle reconnaissance pour des bières appréciées tant pour leur qualité que pour leur positionnement avec une production annuelle qui avoisine les 2.000 hectolitres, soit 600.000 bouteilles.

«Mais la particularité de la brasserie, au-delà de la coopérative, de la finalité sociale, ce sont surtout les valeurs que cela comporte derrière», ajoute Julien, le directeur de la propagande. Il est arrivé à la brasserie il y a trois ans, après un parcours de comédien. Il était par ailleurs coopérateur et soutenait le projet en spectateur avant son arrivée. «Ce qui m’intéressait vraiment, c’était la prise en compte des enjeux de notre temps: climatiques, sociaux, environnementaux, économiques… La brasserie s’est toujours positionnée comme un laboratoire, et cela sans prétention: on croit en des choses et on essaie de les mettre en application sans savoir si cela va forcément marcher, mais on y croit et on fait tout pour y arriver. C’est ce qui distingue notre brasserie des autres.»

Une stratégie, celle de la proximité

Quand la Brasserie de la Lesse a débuté, le phénomène des microbrasseries était alors en pleine expansion. «Il y avait un boulevard pour des brasseries alternatives comme la nôtre. On était là au bon moment», se souvient Norbert. Fidèle à ses convictions, la Brasserie a fait le choix alors de vendre exclusivement ses produits à de petits revendeurs locaux et dans l’Horeca. Plus de 50% de la production est d’ailleurs vendue dans la région. Rien ne part pour la grande distribution et l’exportation. Un choix logique en économie sociale, mais qui ne l’est pas forcément dans le secteur des microbrasseries dont le développement repose principalement sur l’exportation, en profitant du label bière belge à l’étranger.

Cette stratégie a été néanmoins payante. Outre que la brasserie garantit un prix de vente juste qui permet aux commerçants de réaliser une marge suffisante, elle a toujours pu maintenir cette volonté de rendre accessibles ses bières au plus grand nombre. «Nos bières se trouvent dans la fourchette basse des prix, souvent moins chères que les bières artisanales non bio. Cela a été une volonté dès le départ de faire une bière qui n’est pas pour des touristes, des gens aisés, mais la bière de Monsieur Tout-le-monde. On a pu avoir une politique de prix bas dès nos débuts en démarrant dans de vieilles installations achetées pas cher, mais qui étaient des installations de grande capacité. Avec le réseau qu’on s’était construit localement, on a tout de suite rencontré notre public», explique Norbert.

Et cela continue encore, de quoi passer les crises actuelles avec relativement de sérénité. Ce qui n’est pas le cas pour tout le secteur des microbrasseries, comme le relève Norbert. La Brasserie de la Lesse a pu conserver une croissance de 10 à 15% par an, depuis le début. «C’est une croissance relativement lente au regard d’autres acteurs du secteur des microbrasseries.»

Quant à la gamme, si elle est large, elle reste pour un puriste relativement «classique» en allant de la Pils à la triple. Un choix qui participe aussi à la stabilité de l’entreprise. «On n’est pas dans des effets de mode et cela permet de s’inscrire dans la durée», résume Julien Collard. Par contre, la brasserie a décidé de lancer une bière du brasseur pour fêter les dix ans de l’entreprise. «C’est une demande de Manu, notre brasseur. On peut le comprendre: cela peut être frustrant quand on a une gamme figée de ne pas pouvoir mettre en avant tout un savoir-faire et une énergie créatrice», explique Julien. Cette bière du brasseur sera éphémère et ne sera disponible qu’à la brasserie, dans le but aussi d’amener des gens sur place. «Une occasion pour voir une brasserie, boire une bière, mais aussi pour les amener sur un projet plus large. C’est une forme d’hameçonnage local, social et solidaire.»

Cette finalité locale et sociale, c’est ce qui plaît à Florence Lebailly, une «restauratrice sauvage», comme l’appelle Julien. Elle est à la tête de La Flobette, un restaurant de la région qui propose des plats végétariens composés de plantes sauvages. «Dès que j’ai ouvert mon restaurant qui se situe le long de la Lesse, j’avais décidé de n’utiliser que des produits locaux, éthiques, bio… Pas question de vendre du Coca-Cola ou de la Jupiler. Tout de suite, on m’a parlé de la brasserie de la Lesse et cela me paraissait évident que j’allais vendre leur bière.» Après une rencontre avec l’équipe de la brasserie en 2019, elle deviendra une de ses administratrices. «J’étais intéressée de découvrir la brasserie de l’intérieur et de soutenir des projets aux valeurs similaires aux miennes. Car on va au-delà de la bière. C’est aussi un projet de société qui se développe à plein d’échelons différents. C’est intéressant d’y réfléchir à plusieurs. C’est intéressant de voir comment on évolue en même temps que la société évolue, comment on reste fidèle à ce qu’on est, aux valeurs, au territoire sur lequel on se développe, en étant ancré là où on est, sans s’éparpiller, en restant dans du local.»

Travailler avec le vivant

Dès le départ, si la brasserie s’est laissé porter par l’aventure de l’économie sociale, la Brasserie de la Lesse a senti qu’il y avait une place sur le marché pour une bière 100% bio, certes, mais aussi et surtout produite localement avec une matière première dont l’équipe pouvait contrôler l’origine. «En créant les statuts, on a posé comme jalon essentiel la finalité sociale de la brasserie: relocalisation de l’économie, création d’activité en milieu rural et activité participative dans l’entreprise. Si la dimension environnementale ne se retrouve pas texto dans les statuts, c’est parce que cela allait de soi pour nous. D’emblée, on était tous sur la même longueur d’onde et on a démarré avec tout ce qu’on pouvait trouver en bio», rappelle Norbert Buysse.

La brasserie a commencé sans label, la volonté étant d’être accessible au plus grand nombre, sans être considéré comme un truc pour bobos. Ce n’est que cinq ans plus tard que la bière sera labellisée bio avec aussi une volonté affichée: le refus de la dérogation. «Légalement, on peut avoir une dérogation de 5%, ce qui se fait souvent en brasserie, notamment pour les houblons parce qu’il existe peu de variétés en bio. On a aussi adapté nos recettes à ce qu’on trouvait sur le marché pour faire du 100% bio, et pour toute la gamme.» Mais pour s’assurer une continuité, la brasserie commande à l’avance les matières premières pour se prémunir de mauvaises années de récolte. La brasserie dispose de réserves pour un an, un an et demi, stockées sous vide dans des congélateurs. C’est évidemment pour la structure un investissement important, mais cela permet de «sécuriser» la production bio et d’éviter dès lors ces dérogations.

Le houblon vient de Poperinge en Flandre, l’orge, de la Hesbaye, d’Hélécine plus précisément. La brasserie a la chance d’avoir créé avec ses producteurs une belle relation, en lien avec le projet social. «C’est grâce à une telle collaboration que mon travail a un sens», dit Fabian Daniel, producteur d’orge brassicole bio. L’origine de leur collaboration est une suite de hasards. La brasserie cherchait des producteurs d’orge bio et, de fil en aiguille, Fabian Daniel a été mis dans la boucle. «La collaboration avec la brasserie est totale. Je suis pessimiste sur l’agriculture, et certainement en bio. Et la Brasserie de la Lesse est la petite exception qui me fait aimer mon travail», continue-t-il. «On est rigoureusement dans le même bateau. Tout se vit ensemble, pour le meilleur et pour le pire. S’il y a un problème, tout cela est sur la table, et on s’adapte. Si je prends des risques, la brasserie en prend avec moi», poursuit-il.

Avec le producteur d’orge, une collaboration de quatre années s’est nouée. S’il y a eu des réussites, il y eut aussi quelques déconvenues. Surtout dans un secteur hyper-industrialisé comme le monde brassicole. Par exemple, cette année, les échantillons d’orge de Fabian Daniel n’ont pas été acceptés à la malterie. Celle-ci est externe à la brasserie et suit un process industriel. Ce n’est donc pas tant une question de qualité de l’orge produite, mais davantage en raison d’un processus formaté. En tout, deux années ont été bonnes, deux autres, non, parce que l’orge a été déclassée. La brasserie paie le malt, issu de l’orge du producteur, habituellement jusqu’à 30% plus cher que le malt bio acheté directement à la malterie parce que l’équipe veut qu’il soit rémunéré à un juste prix. Cette année, vu le déclassement du malt, le risque a été partagé entre la brasserie et l’agriculteur. «Cela n’aurait pas de sens de laisser tomber notre producteur, même si le produit final ne se retrouve pas dans la bière», indique Norbert. Quant à cette situation, Fabian Daniel se dit frustré de voir son orge bio se retrouver déclassée anormalement, tout simplement parce que les malteries industrielles ne veulent pas s’adapter. «Le problème est que le système industriel fonctionne comme un bloc. Et des acteurs, comme la Brasserie de la Lesse et moi, ont décidé de faire marche arrière par rapport à ce modèle-là. Sauf que les acteurs de moyenne et de petite taille ont disparu, et dès lors qu’on a une petite production, on doit passer par des acteurs industriels, mais qui ont hyper standardisé le produit, qui n’ont plus la capacité de faire de petites quantités ou de qualité différente. Avec le bio, on en sort très, très vite. C’est extrêmement frustrant, et si ce n’était pas avec la Brasserie de la Lesse, j’aurais jeté l’éponge depuis longtemps.»

L’artisanat à la pointe

Mais fabriquer une bière autrement passe malheureusement aussi par ces contraintes et n’empêche pas la Brasserie de la Lesse d’avancer. Au fil de son histoire, à côté de l’économie sociale ou de la production locale, elle a aussi misé sur l’artisanat. Mais on est loin de la bière fabriquée dans des casseroles comme au début de l’aventure. Néanmoins, l’équipe revendique fièrement cette étiquette. «On reconnaît que le terme artisanal est un peu galvaudé, utilisé à toutes les sauces, admet Norbert. Ce n’est pas parce qu’une brasserie est petite et emploie deux, trois personnes que ce sont des techniques de production qui sont forcément artisanales, tant les techniques utilisées en industrie sont disponibles également à petite échelle et fréquemment dans les microbrasseries. Chez nous, on prend vraiment soin de ne pas utiliser les techniques industrielles pour brasser. Raison pour laquelle on revendique ce terme.» La Brasserie de la Lesse se targue de laisser le temps au temps. «On met un mois et demi, deux mois pour faire une bière, tandis que, dans beaucoup de brasseries, on force le processus. En industrie, après la fermentation, la bière peut être mise en bouteille directement et pour la stabiliser, on utilise toute une série de produits. Ici, il n’y a aucun forçage du ‘process’, aucun additif ajouté à la bière.» Un respect du processus comme des produits utilisés qui demande beaucoup de technicité de la part de Manu, le brasseur, qui a pourtant un parcours d’autodidacte. «On adapte en effet le processus de fabrication, de production à la qualité des matières premières disponibles, et non pas l’inverse, comme cela est le cas dans l’industrie où on essaie d’avoir une matière première la plus standardisée possible en cherchant à ne pas devoir modifier le processus. Cela nécessite vraiment de la part du brasseur des connaissances fines parce que son savoir-faire est nécessaire à chaque étape du processus, explique Julien. On travaille avec du vivant: pas seulement avec des humains, mais aussi avec des matières organiques. Et donc on doit s’adapter. Cela nous permet nous-mêmes de rester vigilants à toute la dynamique du projet.»

Si la brasserie se veut artisanale, cela ne l’empêche pas de disposer d’un outil de pointe. En 2017, l’équipe quitte les anciennes installations et une autre étape est franchie, avec la création d’une brasserie plus moderne et plus grande, correspondant aux besoins du projet. «À l’époque, on avait même failli un moment jeter l’éponge tant les contraintes techniques étaient pesantes dans nos anciennes installations avec leur vieux matos. On a pris des claques, c’est vrai, mais c’est comme cela qu’on a appris notre métier. Il fallait remplacer le matériel parce qu’il ne suivait tout simplement plus. On a trouvé un emplacement dans la même rue et on a investi dix fois le premier investissement, en passant de 120.000 euros à 1,3 million», précise Norbert. Un changement de taille qui a permis à la brasserie de s’attaquer à d’autres aspects de sa finalité sociale, en inscrivant ces nouvelles installations dans l’écoconstruction et l’économie d’énergie. Le bâtiment est par exemple complètement isolé en ballots de paille, de la paille pour la petite histoire qui provient de chez Fabian Daniel, le producteur d’orge brassicole. La brasserie est chauffée en partie par une chaudière au bois. «En construisant cette nouvelle brasserie, on voulait un outil 100% vert. Pour réaliser cet outil, une étude a été réalisée avec Coopeos pour créer de nouvelles centrales de chauffe. Il fallait aussi rester dans un budget imparti. On a travaillé sur notre bilan carbone, en cherchant, partout où cela était possible, à diminuer notre consommation d’énergie.» Au final, la brasserie n’arrive pas à du 100% vert, «mais 60 à 70% d’énergie de chauffe provient du bois, ce qui permet de préchauffer l’eau de brassage à 80°, mais aussi l’eau du bâtiment, tout comme d’alimenter le réseau de chaleur. La brasserie dispose aussi d’une chaudière au gaz pour rester dans des budgets acceptables, mais aussi pour maintenir le processus de brassage le plus opérationnel possible», indique Norbert.

À la tête de cette machinerie, Martin, le responsable de la maintenance technique de la brasserie. Il est arrivé à ce poste il y a un peu plus d’un an. C’est sa première expérience dans une brasserie. «À la base, je suis ingénieur industriel en électromécanique, et j’ai travaillé comme prof, dans la climatisation, à la RTBF ou encore à Infrabel.» À l’instar de Martin, dans l’équipe, tout le monde a eu une vie professionnelle avant de se retrouver à la brasserie et d’être confronté à l’économie sociale: Manu, le brasseur, était banquier, Julien, comédien ou Réginald, soudeur. «C’est par les aléas de la vie, en quittant Bruxelles, puis en m’installant dans la région que j’ai débarqué à la brasserie. Il faut dire que je connaissais Norbert depuis notre adolescence qui lors d’une discussion m’a parlé de la maintenance de la brasserie», raconte Martin. Ce qu’il apprécie surtout, c’est l’aspect social du travail. «Il y a d’autres objectifs qui ne sont pas uniquement la rentabilité à tout prix. Cela m’a tout de suite intéressé, car ici, on ne fait pas que de la bière. On fait vivre un village, on redynamise un peu la campagne en y créant de l’emploi.»

À côté de la brasserie, un tout nouvel entrepôt vient de sortir de terre. Le bâtiment permet d’accueillir le stock de bières en bas et, à l’étage, le grain. C’est ici le domaine de Réginald, qui veille à la bonne gestion du site. Une mission assez large qui va du transfert de vidanges, triage des casiers à la gestion des livraisons. Cet ancien soudeur est arrivé il y a six mois et lui aussi a connu une vie professionnelle assez intense. Il voulait travailler moins, pour vivre mieux et s’occuper de sa petite fille, après avoir vécu le rythme effréné des heures supplémentaires. «J’avais besoin d’un boulot où j’allais pouvoir respirer. C’est le cas ici en étant ouvrier de production polyvalent. Je n’ai pas de responsabilité vraiment définie, même si on attend de moi que je prenne mon job à cœur. Ici, le confort de chacun au travail est important et on le ressent. Je vois vraiment la différence par rapport à mes autres expériences professionnelles. Il y a un respect du travailleur et des attentes de chacun. Cela ne se valorise peut-être pas financièrement, mais humainement cela n’a pas de prix», résume-t-il.

Et l'avenir ?

On l’aura compris, l’avenir de la Brasserie de la Lesse n’est pas dans une course effrénée à l’hectolitre. «On continue de croître, de tendre davantage vers les valeurs qui sont les nôtres. On veut se développer, sans viser forcément la croissance pour la croissance», affirme Norbert. «Tôt ou tard, il y aura une stabilisation dans la croissance en termes de volume produit. On n’a pas encore fixé cette limite, mais, techniquement parlant, on sait que notre production se limite à 2.500 hectolitres. On n’y est pas encore, mais, quand on atteindra ce volume, la question se posera de savoir si on le dépasse ou pas», poursuit Julien. «Mais dans tous les cas, on ne cherche pas à capitaliser tant qu’on s’y retrouve au niveau de notre trésorerie. Ce qu’on prône, c’est plutôt une forme de sobriété heureuse. Dans une brasserie, travailler en sobriété, c’est même assez drôle…», continue l’ancien comédien. La volonté est de croître horizontalement, en travaillant notamment sur une filière locale de production d’orge bio et pourquoi pas à la mise en place d’une micro-malterie. Mais la brasserie ne pourra pas y arriver seule. «C’est un outil qui doit être coopératif, qui doit être l’outil autant de brasseurs que d’agriculteurs. Car on n’y échappera pas!», ajoute Norbert. L’autre finalité, c’est le développement d’activités culturelles sur place, en valorisant la bière sans que ce soit une fin en soi, mais en faisant de la brasserie un lieu vivant d’activités, en transformant l’ancienne ferme en espace de spectacles, et même en bureaux partagés pour les indépendants du coin. «On a plein d’idées pour faire vivre le lieu», résume Norbert. «On aime déjà accueillir tous ceux qui s’intéressent à notre projet, à son fonctionnement: des amis brasseurs sont venus récemment voir comment fonctionnait la chaudière à bois. On est là aussi pour attirer tous ceux qui veulent se lancer dans un projet comme le nôtre en économie sociale, en pouvant faire part de notre expertise, souligne Julien. L’idée est de faire vivre la ruralité dans tous ses aspects, en rassemblant les citoyens en un endroit et autour d’un projet fédérateur.»

 

Brasserie de la Lesse
rue du Treux, 4
5580 Éprave
tél.: 084/45.75.25
info@labrasseriedelalesse.be
www.brasseriedelalesse.be

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)