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"Lire et Écrire Wallonie s'attaque à l'illettrisme des travailleurs peu qualifiés"

02-07-2001 Alter Échos n° 101

En 1998, Lire et Écrire1 constatait que les travailleurs infrascolarisés ne représentaient que 7% des personnes demandeuses d’une aide. L’associationsuggérait dès lors au gouvernement wallon de prendre le problème à bras-le-corps et de développer une stratégie à l’attention des travailleurspeu qualifiés dans les entreprises wallonnes. Le message est passé dans la déclaration gouvernementale, et la ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle enRégion wallonne a mandaté Lire et Écrire pour mettre en œuvre le projet. L’association a opté pour une stratégie de concertation avec lesdélégations syndicales CSC et FGTB de certains secteurs qui comptent une importante proportion de travailleurs peu qualifiés. Les quatre secteurs visés en prioritésont la métallurgie, le nettoyage, l’alimentation et le textile. Une matinée de réflexion s’est tenue à Liège le 25 juin qui a permis àl’association de faire le point sur l’alphabétisation des travailleurs.
ýÀ l’instar de son référent français, le CUEPP (Centre université-économie d’éducation permanente à Lille), Lire etÉcrire privilégie l’expression volontaire des besoins des apprenants, étant entendu que la motivation est à la base de l’apprentissage et qu’il ne peutêtre question de former des travailleurs sous la contrainte de leur hiérarchie. » Didier Caille, de Lire et Écrire, constate que l’illettrisme n’est pas seulementimputable au décrochage scolaire et souligne qu’il existe un grave phénomène de ‘désalphabétisation par le travail’ lorsque celui-ci cantonne letravailleur dans des tâches d’exécution pure qui ne mettent pas en œuvre les acquis scolaires. On assiste de surcroît à l’introduction del’écrit, en lien avec les nouvelles technologies notamment, dans des situations qui en étaient auparavant dépourvues, et les emplois peu qualifiés disparaissentprogressivement. Deux types de situation sont rencontrés en entreprise : l’apprentissage de la langue française par des travailleurs d’origine étrangère peuscolarisés dans leur langue maternelle, et les travailleurs autochtones connaissant une faible littératie.
Projet pilote à Liège
C’est le secteur liégeois du nettoyage/désinfection dépendant de la commission paritaire 121 qui lance un projet d’alphabétisation àl’égard des travailleurs qui le souhaitent, et cela aux frais du fonds social de la CP, pendant les heures de boulot et sans perte de salaire. Dans le secteur, le tauxd’illettrisme très important a des conséquences évidentes sur le respect des droits sociaux des travailleurs, mais aussi sur leur santé et leursécurité au travail. À cause de leurs lacunes linguistiques, les travailleurs ne peuvent pas lire leur fiche de paie, fréquemment erronée, oùl’employeur « oublie » de payer les primes auxquelles ils ont droit. Les accidents de travail sont nombreux parce que le travailleur méconnaît les propriétés desproduits à haute dangerosité qu’il manipule. Les formations généralement proposées au travailleur tendent à améliorer ses compétencesprofessionnelles pour augmenter sa productivité, or le fonds social de la CP 121 est bien conscient que même ces formations-là sont difficiles à donner vul’illettrisme des travailleurs. C’est pourquoi le banc patronal s’est laissé convaincre de l’utilité de cette mise à niveau linguistique.
Il n’est toutefois pas facile pour un travailleur d’avouer les difficultés qu’il rencontre, et il faudra veiller à ce que les personnes qui se forment ne soient nistigmatisées par leur hiérarchie comme « incompétentes » ni par leurs collègues. Les bénévoles de Lire et Écrire qui sont intervenus en entreprisetémoignent de situations humainement difficiles où le travailleur, qui avoue ouvertement suivre un cours d’alphabétisation, est tellement mis sous pression par lescollègues jaloux du temps qu’il passe en formation qu’il abandonne les cours.
Les syndicats soulèvent aussi la question de l’accès à la formation des intérimaires, qui par la flexibilité de leur présence en entreprise ne peuventbénéficier comme les autres travailleurs du droit de se former. La déqualification par le travail trop peu qualifié est aussi un des effets pervers constatés dansles agences d’intérim.
Les délégués d’entreprise relaient par ailleurs les craintes des travailleurs à l’égard de leur employeur, qui n’a pas du toutintérêt à ce qu’ils soient « plus malins » et donc plus revendicatifs dans l’entreprise. Esmeralda Cue, déléguée métal FGTB, directe,commente : « Les patrons se fichent bien de savoir que leurs travailleurs sont capables de lire et écrire. Seule compte la productivité. Il est évident que c’est pour nous,délégués syndicaux, d’abord une nécessité en termes humains que les personnes puissent s’en sortir mieux. Je comprends que certains travailleurs aientpeur, et hésitent à se former. »
1 L&É Wallonie, Didier Caille, quai de Flandre 7 à 6000 Charleroi, tél. : 071 20 15 20.

Agence Alter

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