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Emploi/formation

Les titres-services, une histoire de gros sous

Bruxelles va diminuer la déductibilité fiscale des titres-services. En Wallonie, une évaluation du dispositif pointe quelques chiffres interpellants.

cc Images Money/Flickr

Bruxelles va diminuer la déductibilité fiscale des titres-services. En Wallonie, une évaluation du dispositif pointe quelques chiffres interpellants.

Article publié le 25 novembre, Alter Échos, n°413.

À chaque jour suffit sa peine. Dans le cas des titres-services, l’expression a valeur de règle d’or. Voilà plus d’un an que le dispositif est régionalisé. Et depuis ce fameux 1er juillet 2014, on avance à petits pas, tant en Wallonie qu’à Bruxelles. C’est que le dossier est épineux. Et surtout coûteux. Rien qu’en Wallonie, les titres-services pesaient entre 420 et 516 millions d’euros – coût net pour la Région – en 2014. Un sacré montant. Qui impose une sacrée prudence. Et qui explique qu’à Bruxelles et, dans une moindre mesure, en Wallonie, il a fallu un certain temps pour prendre certaines décisions.

Car, dès le début, la question de la soutenabilité financière du système s’est posée pour des Régions quelque peu désargentées. Pour pouvoir maintenir le dispositif, il allait falloir faire des choix. Tout en tentant de protéger l’emploi. Et de ne pas faire s’effondrer les «TS» en appuyant un peu trop sur l’un ou l’autre bouton pour tenter de dégager des moyens. Ces boutons, c’est notamment ce qu’on appelle la «valeur faciale» des titres-services et la déductibilité fiscale. La valeur faciale est le prix payé par l’utilisateur du titre. Ce montant est de neuf euros aujourd’hui dans le sud du pays et dans la capitale. Or, beaucoup de monde s’accorde pour dire qu’il constitue une limite psychologique difficilement franchissable pour les utilisateurs. Si on devait augmenter le prix par titre, le nombre de «TS» vendus pourrait commencer à baisser. Pour finir par faire plonger le système. Difficile donc pour les Régions de dégager des moyens de ce côté-là.

« Nous sommes rassurés par ce que Mme Tillieux nous a dit. » Nathalie Garcia-Hamtiaux, directrice d’Unitis

Après avoir longuement pesé le pour et le contre, Didier Gosuin (FDF), ministre bruxellois de l’Emploi, annonçait dès lors le 18 octobre dernier que le gouvernement bruxellois garantissait le prix du titre-service à neuf euros jusqu’à la fin de la législature, c.-à-d. en 2020. Et qu’il avait décidé d’appuyer sur le second bouton, celui de la déductibilité fiscale. Elle devrait passer de 30% à 15% au 1er janvier 2016. Une décision qui semble convenir aux opérateurs. «Une augmentation du prix des titres-services aurait eu des conséquences plus négatives, explique Fabienne Diez, de la Plateforme bruxelloise des ALE titres-services. Une bonne partie de notre public est composée de personnes âgées et ce qui compte, c’est ce qu’elles déboursent. Choisir d’agir sur la déductibilité fiscale est donc un signal encourageant, même si ne toucher à rien aurait été encore mieux. Mais bon, nous ne sommes pas au pays des Bisounours, la réalité économique est ce qu’elle est. Nous nous en sortons bien et le fait de ne pas toucher au prix des titres jusqu’en 2020 est une garantie de stabilité.»

Une marge de manœuvre limitée

En Wallonie, le gouvernement avait décidé il y a plusieurs mois de suivre la même voie. La déductibilité fiscale passera de 30% à 10% en 2016. Malgré cela, certaines interrogations subsistent quant à la viabilité du secteur au sud du pays. Pourquoi? Jusqu’il y a peu, le mécanisme de remboursement des titres-services aux opérateurs (voir encadré) était quelque peu caduc. Seuls 72% de la valeur remboursée étaient indexés par rapport à l’inflation. Une situation qui mettait les opérateurs titres-services dans une situation financière compliquée. Aujourd’hui de 22,04 euros, le remboursement par titre-service «devrait être d’au moins 25 euros si elle avait suivi l’indexation des salaires de nos travailleurs», nous expliquait Nathalie Garcia-Hamtiaux, directrice d’Unitis, le 14 juillet 2014. Pour résoudre ce problème, Éliane Tillieux (PS), ministre wallonne de l’Emploi, a donc décidé d’indexer totalement la valeur de remboursement. Une bonne nouvelle pour les opérateurs. Mais un sacré coût pour la Région.

Vous avez dit «remboursement»?

Comment fonctionne le système des titres-services? Le client remet au travailleur un titre-service par heure de travail accomplie. Le travailleur transmet ce titre à son employeur, une entreprise agréée. L’entreprise agréée remet ensuite ce titre à la société émettrice des titres. Celle-ci verse ensuite la valeur du titre-service (neuf euros) augmentée d’une intervention régionale à l’entreprise agréée. La somme de ces deux montants compose ce qu’on appelle la valeur de remboursement pour l’entreprise agréée. Si l’on parle de valeur de remboursement à 22,04 euros, ce montant est donc composé de deux parties. Les neuf euros payés par le client et 13,04 euros payés par la Région.

« Il y a une volonté de ne plus permettre au secteur de faire n’importe quoi. » Denis Morrier, président d’AtoutEI

Notons qu’à l’époque du fédéral, c’est Sodexho qui officiait comme émetteur des titres. À la suite de la régionalisation, il a fallu que chacune des Régions lance un marché public afin de désigner une nouvelle société émettrice. Et comme à l’époque du fédéral, c’est Sodexho qui a remporté la timbale dans les trois entités. «D’un côté, ce n’est pas mal parce que les titres ne vont pas changer. D’un autre point de vue, en termes de coûts, chaque Région a demandé quelque chose de son côté, pour un marché plus petit, explique Nathalie Garcia-Hamtiaux. Cela va donc coûter plus cher globalement que si on avait tout regroupé.» Les joies de la régionalisation…

Une étude de PricewaterhouseCoopers, présentée devant le parlement wallon le 29 septembre dernier, n’a d’ailleurs pas fait dans la dentelle à ce propos. Pour elle, la diminution de la déductibilité fiscale devrait permettre d’économiser 883 millions sur la période 2015-2030. Mais l’indexation de la valeur de remboursement devrait coûter 1,2 milliard d’euros… Ultime coup de Jarnac: les éventuels retours monétaires «positifs» du système – recettes générées par les cotisations sociales ou par l’impôt des personnes physiques lié à la mise à l’emploi des travailleurs par le biais des titres-services –  continuent quant à eux à tomber dans les poches du fédéral. Ce constat chiffré cruel a suscité de nombreuses questions dans les rangs de l’opposition wallonne. D’autant plus que la marge de manœuvre du gouvernement semble limitée. La seule manière de sortir de cette quadrature du cercle budgétaire serait d’augmenter la valeur faciale du titre-service. Une piste qui semble exclue, on l’a dit.

 

La règle des 60%

Jusqu’à aujourd’hui, 60% des travailleurs titres-services devaient être des chômeurs complets indemnisés et/ou des bénéficiaires d’un revenu d’intégration. Le calcul se faisait par trimestre. Cette règle «des 60%» était parfois remise en cause: certains opérateurs auraient eu du mal à la respecter. À Bruxelles comme en Wallonie, cela va donc changer. Le calcul se fera sur la base d’une année, et non plus d’un trimestre. Enfin, les fameux 60% pourront également comprendre de «simples» demandeurs d’emploi en Wallonie. À Bruxelles, il s’agira des chômeurs à temps partiel et des personnes exclues du droit aux allocations.

Notons qu’à Bruxelles la diminution de la déductibilité fiscale devrait permettre d’équilibrer les comptes, d’après le cabinet de Didier Gosuin. Mieux, un surpl
us devrait être dégagé et permettra d’indexer à 100% le remboursement des entreprises «jouant le jeu», toujours d’après le cabinet. Par jouer le jeu, on pense aux entreprises respectant la fameuse règle des 60% (voir encadré) ou bien qui favoriseront l’usage des titres-services électroniques.

Le secteur se positionne

Le moment semble donc important. Que va faire le cabinet Tillieux de cette évaluation? Du côté du secteur, on ne s’y est pas trompé. Le 19 octobre, celui-ci s’est présenté en groupe – Federgon, Unitis, ALE, entreprises d’insertion… – au cabinet de la ministre. But de l’opération: faire le point et présenter une série de propositions à Éliane Tillieux. «Nous sommes rassurés par ce que Mme Tillieux nous a dit, à savoir qu’il ne devrait pas y avoir de modification du système dans les quatre ans. Mais la route n’est pas dégagée pour autant. Quatre ans, cela va vite et le budget du système est très serré», explique Nathalie Garcia-Hamtiaux. Tout en soulignant que le système serait actuellement dans une phase de «belle stabilisation». Du côté d’AtoutEI, on détaille les propositions faites à la ministre. «Il s’agit d’avoir une meilleure inspection, plus rapide, des sanctions graduelles, explique Denis Morrier, président. Il y a une volonté de ne plus permettre au secteur de faire n’importe quoi.» Présenté comme une mine d’or à ses débuts, le dispositif des titres-services a parfois attiré des opérateurs peu vertueux…

Mais le secteur semble vouloir aller plus loin en termes de propositions à la ministre. Notamment en modifiant les conditions d’agrément afin de favoriser «le qualitatif» au sein des opérateurs. «On pourrait ainsi demander une qualification minimale pour les chefs d’entreprise, favoriser la formation des travailleurs», continue Denis Morrier. Avant de plaider également pour un «remboursement différencié» tenant compte notamment de l’ancienneté des travailleurs, l’autre «problème» des opérateurs en compagnie de l’indexation. Et qui n’est pas pris en compte actuellement dans la valeur de remboursement. Notons que l’étude de PwC déconseillait de tenir compte de l’ancienneté en raison du caractère «insoutenable» financièrement de cette option pour la Région. Ce qui fait réagir Denis Morrier. «On pourrait partir d’une valeur de remboursement plus basse que 22,04 euros et qui augmenterait avec l’ancienneté des travailleurs. Et ça, PwC n’y a pas pensé», explique le président d’AtoutEI. Avant de conclure. «Nous n’avons jamais demandé d’augmenter le budget des titres-services. Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas mettre en place de nouvelles règles. Il serait dommage de discuter uniquement sur la base du document de PwC, qui a été réalisé dans un laps de temps assez court et de manière non exhaustive… Il est purement comptable et pas très inventif.»

1.000 aides ménagères sociales?

Cela figurait dans un communiqué de presse daté du 29 octobre dernier. Les cabinets d’Éliane Tillieux (PS) – ministre wallonne de l’Emploi – et de Maxime Prévot (CDH) – ministre wallon de l’Action sociale – ont approuvé le même jour une note d’orientation intitulée «Titres-services – Services d’aides aux familles». On y apprend que les aides ménagères titres-services pourront s’investir, de manière volontaire, dans une formation pour devenir soit aides ménagères sociales, soit aides familiales. Cette mesure concernerait 1.000 aides ménagères, soit 646 équivalents temps pleins. Sera-ce grâce au fonds de formation titres-services, sous-utilisé d’après l’étude de PwC – on parle d’une utilisation à 37%? Le cabinet d’Éliane Tillieux n’a pas été en mesure de répondre à nos questions.

Alter Échos n°398: «Titres-services: l’heure des choix», Julien Winkel, 1er mars 2015.

 

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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