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Le relogement : une rencontre, des choix, une nouvelle vie

Spécifique au logement social, le relogement de personnes constitue une opération des plus délicates. Elle s’inscrit dans un contexte de « rénovation » quiimplique une destruction du bâti, d’un quartier, de liens sociaux… Les personnes chargées de reloger les habitants ont fort à faire. C’est ce que démontre l’ouvrageHistoires de relogement. Paroles d’habitants, regards de professionnels1. L’action se situe en région Rhône-Alpes, mais les situations ne sont pas sans rappeler cellesvécues en Belgique.

19-11-2007 Alter Échos n° 240

Spécifique au logement social, le relogement de personnes constitue une opération des plus délicates. Elle s’inscrit dans un contexte de « rénovation » quiimplique une destruction du bâti, d’un quartier, de liens sociaux… Les personnes chargées de reloger les habitants ont fort à faire. C’est ce que démontre l’ouvrageHistoires de relogement. Paroles d’habitants, regards de professionnels1. L’action se situe en région Rhône-Alpes, mais les situations ne sont pas sans rappeler cellesvécues en Belgique.

Réalisé à l’initiative de l’Association régionale des organismes d’HLM de Rhône-Alpes, Histoires de relogement témoigne des pratiquesd’accompagnement social pour reloger des personnes lorsque sont envisagées des démolitions d’immeubles. « Depuis l’adoption de la Loi d’orientation et de programmation pour laville et la rénovation urbaine du 1er août 2003, les opérations de renouvellement urbain se sont multipliées en Rhône-Alpes, et toutes comportent unprogramme de démolitions et de relogements de plus ou moins grande ampleur, introduit Georges Bullion, président de l’Association régionale des organismes d’HLM deRhône-Alpes. Les organismes d’HLM, contrairement aux autres partenaires qui se mobilisent dans le cadre du relogement, agissent dans un cadre réglementaire très précis. Untrès grand professionnalisme s’est ainsi développé au sein des équipes chargées de mener à bien ces relogements. » C’est l’action de ces chargésde relogement que cet ouvrage nous décrit. Il constitue une photographie des mémoires des professionnels et des habitants à un moment donné. Plus ! L’ouvrage vise àfavoriser l’échange d’expériences entre les différents acteurs impliqués dans le cadre du relogement : élus, habitants, travailleurs sociaux, chargés derelogement, etc.

L’ouvrage se divise en deux chapitres principaux : l’un consacré aux pratiques professionnelles, l’autre aux parcours d’habitants. On y retrouve les témoignages d’une douzaine dechargé(e)s de relogement, ainsi que de plusieurs habitants. Par respect de la vie privée, les noms de personnes et de lieux ont parfois été changés.

Récit d’une journée

D’entrée de jeu, les auteurs nous plongent au cœur du sujet en nous décrivant par le menu la journée d’un chargé de relogement. À 7 heures du matin, unechargée de relogement parcourt à pied les 15 étages d’un immeuble. Il lui faut s’assurer que le bâtiment est vide. Son implosion est prévue aujourd’hui. Lajournée se poursuit par des visites à domicile pour discuter avec les locataires de leur relogement, pour faire visiter des appartements à d’autres. En fin de matinée,« l’équipe se retrouve pour échanger sur les situations les plus complexes, les plus délicates, celles qui rendent les solutions de relogement particulièrementdifficiles. » Comme le résume Ryma Prost-Romand, « trouver un logement, ce n’est pas seulement mettre à disposition des murs, c’est identifier un lieu à habiter, pourvivre ; un lieu qui accueille une âme, une histoire passée et future ».
Il y a aussi la permanence avec le « stress » de la rencontre : cela peut très bien se passer, comme cela peut tourner à « l’affrontement. « On sait aussi qu’ily aura toujours un ‘excité’ pour venir nous menacer un jour ou l’autre. » Tout dépend de l’attitude des familles, mais quelle qu’elle soit, elle reflète le plussouvent une grande souffrance.

Dans l’après quatre heures, les chargés de relogement font visiter aux familles leur « potentiel » nouveau logement. Il faut parfois faire preuve d’unepatience infinie. Si certains sont satisfaits du premier logement qu’on leur propose, d’autres refusent jusqu’à huit propositions. Il faut également s’assurerque les déménagements se déroulent sans accroc : « Pour certains locataires, les meubles cassés ou en mauvais état sont leur seul bien. » En toute finde journée, les chargés de relogement effectuent des « visites de courtoisie » auprès des personnes déjà relogées, afin de s’assurer quetout va bien. Et parfois, ils découvrent avec consternation que ces personnes ne sont pas heureuses : l’étage ne convient pas, la configuration de l’appartement lesdéboussolent. « Il est de notre responsabilité de leur proposer une nouvelle solution de relogement, pour qu’elle soit réussie cette fois-ci. »
Puis vient le soir, avec le débriefing de l’équipe, juste avant d’aller à une réunion publique, à 20h30, où le projet de renouvellement urbainsera exposé aux habitants. C’est la tête lourde de préoccupations que les chargés de relogement vont se coucher.

Une rencontre et un choix

Afin de mieux cerner l’action des chargés de relogement, les auteurs ont organisé des groupes de parole. D’entrée de jeu, elles soulignent l’importance de lapremière rencontre, « moment décisif, où il faut faire « table rase » du passé, de ce que les collègues ont pu dire, de la « réputation » de telle ou tellefamille. « Nous personnalisons toujours la relation avec le locataire dès la première rencontre. Nous devons créer du lien, comprendre les difficultés », souligne l’undes participants. » C’est à travers la rencontre que peut s’établir la relation de confiance nécessaire au relogement. Au fur et à mesure, les habitantsexprimeront leurs souhaits concernant leur futur logement. Sur la base de cela, le chargé de relogement imaginera le logement idéal… Et essuiera parfois des refus.

Comme l’écrit Catherine Payen, « le choix du futur appartement comporte de nombreux enjeux, plus ou moins « avouables ». Le professionnel est alors confronté au non-dit quiva bloquer la décision sans qu’il puisse en comprendre la raison profonde. » Il y a aussi l’accueil réservé dans le nouveau quartier : une famille qui quitte labanlieue peut se retrouver stigmatisée par ses nouveaux voisins, rejetée par l’école « qui n’hésite pas à arguer du manque de places pour refuserd’inscrire les enfants ».

Gérer « l’après »

La question de « l’après-relogement » reste donc des plus problématiques. Le suivi n’est censé durer que six mois, « mais le chargé derelogement a construit une relation avec les habitants. Conséquence : dès que le locataire a un problème, il fait d’abord appel à lui. » Le chargé derelogement doit pouvoir renvoyer vers d’autres professionnels. Les adolescents sont sans doute ceux qui vivent le plus difficilement le relogement (perte d’un territoire,éclatement du groupe). Ils peuvent se montrer menaçants. Témoignage d’un chargé de relogement : « On accepte l’agression physi
que comme uneéventualité. Elle fait partie de notre profession. C’est un risque, quelque chose de possible, de latent (…). Pour les rendez-vous pris le soir, on fait attention de savoiroù va le chargé de relogement et à quelle heure il revient. On prend certains rendez-vous à deux. Ce n’est pas un hasard si certains ont une prime de risque dansleur salaire. »

De manière générale, les gens ne veulent pas être relogés, parce qu’ils s’y sont attachés, ils s’y sont créés leursréseaux, leurs habitudes… « Il ne faut pas perdre de vue que nombre d’habitants ont longtemps été captifs de ces quartiers, expliquent les chargés derelogement. Ils ont souhaité partir, mais n’ont pu le faire. Ils se sont alors construit un mode de fonctionnement qui leur est propre. Ils manifestent un fort attachement auxréseaux constitués sur place. Des habitants qui, depuis longtemps, ont eu envie de s’en aller ne le veulent plus en raison de la présence du médecin, de la voisine,de l’enseignant, du pédopsychiatre ou encore de la ligne de bus… »

Il y a aussi un « après » pour le chargé de relogement. « Pour s’occuper d’une nouvelle famille, il faut pouvoir tourner la page, oublier celle qui amaintenant retrouvé un toit qui lui convient. » À travers la rencontre, des liens se sont tissés. Parfois, certains gardent le contact, comme ce chargé de relogementqui passe parfois prendre l’apéro chez deux dames âgées qu’il a relogées. « Quand on est resté longtemps sur un quartier, on a du mal à lequitter. Les gens très présents nous manquent quand on ne les voit plus », déclare un autre chargé de relogement.

Bien plus qu’un témoignage

On le voit, Histoires de relogement est bien plus qu’un témoignage. Il est aussi une invitation à l’échange de pratiques entre acteurs d’un mêmesecteur, entre acteurs d’un même projet agissant sur un territoire donné. L’ouvrage insiste sur la nécessité de resituer l’humain au cœur de projetsfaits de briques. Dans le cadre des projets de renouvellement urbain, il est capital de dispenser une information claire et accessible à tous. Malheureusement, la technicité des projetsne le permet guère. Et puis, dans ce contexte, le locataire se soucie peu du renouvellement urbain. Sa principale préoccupation reste son relogement. La tâche est immense pour lechargé de relogement. Chaque famille est spécifique et elle est son propre porte-parole. Nul doute que cet ouvrage fera écho aux professionnels du logement social en Belgiquechargés d’accompagner les locataires dans le cadre des opérations de rénovation de logements. Peut-être incitera-t-il certains à recueillir destémoignages en vue d’échanger également des pratiques ?

Témoignages d’habitants

« Ca nous a fait un choc quand on a su qu’on devait partir, laisser les voisins, les cousins, les parents… On a tous grandi ensemble et maintenant on va êtredispersés. » (Mehmet, père de cinq enfants)

« Cela faisait vingt ans que nous demandions à déménager hors du quartier, que nous déposions des dossiers mais en vain. Nous voulions quitter le quartier, maisnous étions prisonniers (…) La première chose qui nous frappe ici, c’est le calme qui règne ici jour et nuit (…) Les jeunes aussi sont très contents.Ils revivent. Ce ne sont plus des « lézards qui tiennent les murs. » (Samia, 40 ans)

« Avant l’allée était très dégradée, très sale, mais quand j’étais chez moi, tout allait bien. Ici, c’est aussi trèssale et même chez moi, je ne suis pas tranquille. En dessous, il y a un chien qui aboie tout le temps et juste au-dessus deux voisines dépressives qui hurlent par moments. Je ne supporteplus. » (Maria, mariée et un enfant de 16 mois)

« Il faudrait répondre un peu plus aux attentes des gens et ne pas stigmatiser les plus pauvres. Mon mari et moi travaillons, nous avons de la chance et on nous a laisséentendre que, grâce à cela, nous serions bien relogés. Mais, nous avions des voisins « érémistes » qui ont eu moins de chance. » (Virginie, trois enfants)

« J’ai pu faire le choix de mon nouveau lieu de vie et de ce logement très agréable (…) J’aime bien ce quartier. Il est calme et bourgeois. Maisj’avais un a priori sur les HLM. On entend tellement de choses… J’avais une amie sur le quartier qui est décédée trois mois avant que j’arrive. Elle medéconseillait de venir. Mais une autre amie habite dans le même groupe d’immeubles, et quand je venais la voir, son appartement me faisait rêver. C’est ça que jevoulais et je me disais si un jour, tu peux avoir un appartement comme celui-là… » (Simone, 81 ans)

L’accompagnement social à travers le PEI

En Belgique aussi, le relogement fait de plus en plus partie des préoccupations des bailleurs sociaux. C’est par exemple le cas en Région wallonne à travers le Planexceptionnel d’investissements visant à la mise à niveau du parc locatif social régional (le PEI), dans le cadre duquel le gouvernement wallon vient encore dedébloquer un budget de 1 250 000 euros pour assurer l’accompagnement social des locataires.

Au lancement du PEI, aucun accompagnement social des locataires n’était prévu dans le cadre des « déconstructions » d’immeubles. Or, il fallait bien assurerle relogement des personnes dans les meilleures conditions possibles. Des bailleurs s’en sont rendus compte assez rapidement. Ainsi, dans l’Alter Échos n°186,Jean-Pierre Digneffe du Logis social (Liège) nous expliquait déjà que « le déménagement représente une charge émotionnelle importante pour lespersonnes âgées. C’est un véritable déracinement. On les aide pour le déménagement tant physiquement que financièrement. Cela comprendl’emballage et le déballage des caisses, rangement compris. L’investissement est important, mais les gens sont heureux de pouvoir se retrouver rapidement dans leurs meubles. Le capdu déménagement passe plus vite. » Dans l’Alter Échos n°193, on pouvait lire que ce type de préoccupations étaient au centre du projet derequalification de la cité du Petit Courtrai, à Mouscron : « L’accompagnement social ne se limite bien sûr pas au relogement, une démarche de cohésion socialeest également assurée. Il s’agit de permettre une bonne intégration des personnes déménagées et des nouveaux arrivants dans les logementsrénovés. »
Et on retrouve aussi cette même attention auprès des locataires au Logis châtelettain, où, tout récemment, Laurence di Nunzio, chef du service social du Logischâtelettain
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, insistait sur le fait que lors du déménagement de personnes âgées, il fallait procéder à un déménagementdéfinitif. Déloger puis reloger serait trop pour ces locataires. De même, avec des personnes handicapées, il faut entendre leurs demandes en termes d’accessibilité.Autant d’exemples qui montrent que la rénovation et le relogement sont des projets qui ne se limitent pas qu’aux briques.

1. Catherine Payen et Ryma Prost-Romand (sous la dir. de Pierre Gras), Histoires de relogement. Paroles d’habitants, regards de professionnels, Questions contemporaines, L’Harmattan, 2007,14,50 euros.

2. Logis châtelettain :
– adresse : rue de la Loi 40 à 6200 Châtelet
– tél. : 071 24 31 40
– site : www.lelogischatelettain.be

Baudouin Massart

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