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Le rapport Kok renforce l'orientation libérale de Lisbonne

Le dernier sommet des chefs d’État européens qui s’est tenu à Bruxelles les 4 et 5 novembre dernier a été l’occasion pour les dirigeants des 25de se pencher sur le rapport du Groupe de haut niveau présidé par Wim Kok (ancien premier ministre social-démocrate des Pays-Bas)1. C’est notamment sur la basede ce document que la stratégie de Lisbonne (2000) sera révisée à mi-parcours au Conseil du printemps 2005. La stratégie qui doit faire émerger dansl’Union, « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » d’ici 2010, ne remplira pas, selon divers rapports (et notamment celui sur «Éducation et formation 2010 »2), les objectifs qu’elle s’est fixés. Face à l’échec qui se profile, le rapport Kok entend recentrer lesobjectifs de Lisbonne sur la compétitivité et esquisse quelques moyens pour contraindre les États récalcitrants aux vues de la Commission. Il n’évoque quefort peu les questions d’éducation et de formation ; alors que les groupes de travail d’experts poursuivent leur réflexion. Celle-ci alimentera les discussions du sommet deMaastricht en décembre notamment pour ce qui concerne l’enseignement et la formation professionnels. Sur ce plan, une instance telle qu’Eunec (le réseau européen desConseils de l’éducation)3 tente de se poser en interlocuteur critique et représentatif, en produisant des recommandations qui introduisent des dimensions plus socialesque le seul souci de la compétitivité des entreprises. Le 27 octobre dernier, Eunec a ainsi travaillé à Bruxelles sur la « transparence des qualifications ».Explication des enjeux.

17-11-2004 Alter Échos n° 175

Le dernier sommet des chefs d’État européens qui s’est tenu à Bruxelles les 4 et 5 novembre dernier a été l’occasion pour les dirigeants des 25de se pencher sur le rapport du Groupe de haut niveau présidé par Wim Kok (ancien premier ministre social-démocrate des Pays-Bas)1. C’est notamment sur la basede ce document que la stratégie de Lisbonne (2000) sera révisée à mi-parcours au Conseil du printemps 2005. La stratégie qui doit faire émerger dansl’Union, « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » d’ici 2010, ne remplira pas, selon divers rapports (et notamment celui sur «Éducation et formation 2010 »2), les objectifs qu’elle s’est fixés. Face à l’échec qui se profile, le rapport Kok entend recentrer lesobjectifs de Lisbonne sur la compétitivité et esquisse quelques moyens pour contraindre les États récalcitrants aux vues de la Commission. Il n’évoque quefort peu les questions d’éducation et de formation ; alors que les groupes de travail d’experts poursuivent leur réflexion. Celle-ci alimentera les discussions du sommet deMaastricht en décembre notamment pour ce qui concerne l’enseignement et la formation professionnels. Sur ce plan, une instance telle qu’Eunec (le réseau européen desConseils de l’éducation)3 tente de se poser en interlocuteur critique et représentatif, en produisant des recommandations qui introduisent des dimensions plus socialesque le seul souci de la compétitivité des entreprises. Le 27 octobre dernier, Eunec a ainsi travaillé à Bruxelles sur la « transparence des qualifications ».Explication des enjeux.

Le rapport Kok

Wim Kok, avait été désigné au Conseil de printemps 2004 pour présider un groupe d’experts de haut niveau, chargé de produire une série derecommandations sur la révision de la stratégie de Lisbonne. Composé de 12 membres, autres que son président, ce groupe a travaillé de mai à octobre 2004pour sortir un document d’une soixantaine de pages qui commence par reprendre le constat partagé par de nombreux observateurs du processus de Lisbonne : en 5 ans, les résultatsengrangés sont largement en deçà de la moitié du chemin que l’on espère avoir parcouru d’ici 2010. À cela, le rapport voit plusieurs raisons :« un agenda surchargé », « une coordination médiocre », « des priorités inconciliables », les événements mondiaux depuis2000… ; mais le « problème majeur » serait celui de « l’absence d’action politique résolue » dans le chef des États membres.

Un recentrage sur la compétitivité

Au-delà de ces constats, bien connus, le document propose, sur le fond, un recentrage du processus sur des objectifs moins nombreux. Restait à savoir lesquels…L’inspiration de base du rapport réside dans cette phrase qui explique pourquoi il est indispensable de « rattraper le temps perdu » : « il est devenu d’autantplus urgent d’appliquer la stratégie de Lisbonne que l’écart de croissance s’est creusé par rapport à l’Amérique du Nord et àl’Asie, alors que l’Europe doit relever les défis conjugués d’une croissance démographique faible et du vieillissement de sa population ».

Ce groupe de haut niveau définit sur cette base « cinq priorités politiques » que chaque État doit intégrer dans son propre « plan d’action pourla croissance et l’emploi » :

• « Réaliser la société de la connaissance » ;

• « Procéder à l’achèvement du marché intérieur, au profit de la libre circulation des marchandises et des capitaux, et s’attelerd’urgence à la mise en place d’un marché unique des services » ;

• « Créer un environnement favorable aux entrepreneurs » ;

• « Établir un marché du travail inclusif pour renforcer la cohésion sociale » ;

• « Travailler à un avenir durable sur le plan environnemental ».

Dans une série de « recommandations clés », le rapport Kok préconise de réduire à quatorze, contre plus d’une centaine aujourd’hui, lenombre d’actions concrètes à mettre en œuvre. Dès 2005, il faudrait, par exemple, attirer concrètement les chercheurs de réputation mondiale en Europeet adopter la directive sur les services (dite « Bolkestein »).

Et l’éducation et la formation ?

Elle n’est abordée qu’au travers de quelques lignes traitant de l’objectif relatif à l’emploi, dans sa partie intitulée « un investissement plusefficace dans le capital humain ». Il s’agit d’améliorer « les systèmes d’éducation et de formation de façon à ce que l’Uniondispose d’un nombre suffisant de jeunes diplômés possédant les qualifications requises pour occuper des postes dans des secteurs dynamiques, des secteurs de haute valeur etdes niches sectorielles ». Dans la foulée, le rapport appelle à « des politiques ambitieuses pour relever les niveaux d’instruction, notamment en réduisant demoitié le nombre de jeunes en décrochage scolaire en Europe ». Mais on comprend très vite que l’essentiel de la visée de ces passages est de souligner lanécessité de faire participer les « travailleurs âgés » à des « plans nationaux d’éducation et de formation tout au long de la vie». « Si l’on veut que les personnes âgées puissent rester actives, il faut les doter de compétences adaptées aux exigences de la société dela connaissance », conclut le rapport en introduisant le concept de « vieillissement actif »…

Une nouvelle méthode ?

Pour atteindre ces objectifs, le document identifie donc un obstacle : le manque de volonté des États. Des idées de mécanisme de sanction ont circulé dans lescoulisses du « groupe de haut niveau ». Mais elles étaient difficilement compatibles avec une réalité juridique incontournable : sur la plupart des terrains investispar le processus de Lisbonne, on touche à des compétences exclusives des États membres. Le rapport s’est donc orienté vers un enrichissement de la «méthode ouverte de coordination » par une procédure de stigmatisation, sur la base des 14 indicateurs préconisés, des mauvais élèves de la classeeuropéenne : la Commission « doit être en mesure de nommer et de blâmer ceux qui échouent de même qu’à mettre en valeur ceux qui réussissent».

Le Pa
rlement européen devrait obliger la Commission à rendre compte de ses propres engagements sur cette base. Notons qu’il y a pourtant à peine un an et demi, en mai2005, le porte-parole de la commissaire à l’Éducation et à la Culture, Viviane Reding, rejetait explicitement dans nos colonnes tout classement stigmatisant desÉtats en retard sur les objectifs de Lisbonne. Par ailleurs, « les gouvernements nationaux devraient présenter un programme d’actions national avant la fin de 2005 »,des programmes qui « devraient faire l’objet d’un débat avec les Parlements nationaux et les partenaires sociaux ».

Tensions au sein de l’Union

Cette vision des choses a aggravé les turbulences sérieuses traversées par la construction européenne (critiques et incertitudes sur la « Constitution » del’Union, rejet de la composition de la nouvelle Commission…). Le président français, Jacques Chirac, a pris la tête des critiques « sociales »(l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grèce) en multipliant les objections relatives au « déséquilibre » entre les trois composantes initiales duprocessus de Lisbonne : « économique, sociale et environnementale », ainsi qu’à l’orientation « trop libérale » de la nouvelle directionpréconisée par le rapport Kok. Jacques Chirac et plusieurs chefs d’État sociaux-démocrates, Gerhard Schroder, José Luis Rodriguez Zapatero et Goran Persson,ont même diffusé, deux jours avant le sommet, un appel public à faire de la jeunesse « une priorité » de l’Union européenne dans le cadre de lastratégie de Lisbonne.

Ces dirigeants souhaitent que l’Union européenne élabore, d’ici le conseil européen du printemps 2005, un « pacte européen pour la jeunesse ».« L’Europe ne doit pas se résigner à la fatalité du vieillissement et du scepticisme », écrivent-ils dans une lettre ouverte qui tranche nettement avecl’insistance du rapport Kok sur la nécessité d’une « vieillesse active ». Ce pacte devrait selon eux donner aux jeunes Européens « les moyens de laréussite, en répondant plus efficacement au chômage des jeunes et à leurs difficultés d’insertion sociale et professionnelle. C’est sur le dynamismequ’apporterait à nos sociétés l’afflux de jeunes mieux éduqués et formés que reposent nos objectifs de croissance et decompétitivité », conclut le document dont les autres chefs
d’État ont froidement « pris acte ».

Mise en perspective

Alain Bultot, chargé de mission au Conseil de l’éducation et de la formation, est une des chevilles ouvrières, avec Simone Barthel (chargée de missionégalement) et le président de la chambre de formation du CEF Marc Thommès, de la dernière conférence d’Eunec qui s’est tenue du 25 au 27 octobreà Bruxelles sur la transparence des qualifications. En marge de cette réunion du réseau européen des Conseils de l’éducation, A. Bultot a mis en perspectivele rapport Kok en tant qu’observateur des évolutions de l’Union en matière d’éducation et de formation.

A. Bultot se dit un peu surpris par le constat de base du rapport : « il semble dire “la stratégie de Lisbonne ne marche pas”, ce qui est juste, “maiscontinuons”. Ce que le rapport préconise, ce serait plus de méthode ouverte de coordination, en prévoyant toute une machinerie basée sur la comparaison des bons etdes mauvais élèves par la Commission et par le Parlement européen. À l’instar de nombreux documents européens, le rapport cherche à réduire lamarge de manœuvre des États et les contraindre plus. Mais le problème est-il réellement là ? Les États doivent être cohérents et s’ilsdécident d’avancer, qu’ils le fassent réellement. Mais il semble qu’ils ne mesurent pas réellement à quoi ils s’engagent en acceptant toute unesérie d’initiatives. C’est au moment de la décision que doit avoir lieu un débat approfondi et prendre place un processus démocratique de consultation ainsique de vote par les parlements. Et s’il y a des raisons légitimes de bloquer, c’est comme cela qu’elles apparaîtront le mieux ». Un autre élémentinterpelle le chargé de mission : « la comparaison permanente avec les États-Unis dont le modèle n’assure pas la couverture sociale de 40 % de la population. Prend-once fait-là en compte dans les mesures de compétitivité ? Le prix à payer pour atteindre les objectifs de Lisbonne est-il de ressembler au modèle américain ?».

A. Bultot constate que le rapport « ne met pas l’éclairage sur Éducation et formation 2010 : on en parle finalement très peu sauf dans le cadre des objectifsd’emploi ». Est-ce un coup de frein ou un accélérateur ? « Il est encore trop tôt pour trancher entre les deux hypothèses, répond A. Bultot. Maisce qui est certain, c’est que ce rapport préconise une orientation particulière aux objectifs de Lisbonne en matière d’éducation et de formation : les utiliserau service d’objectifs de croissance et de compétitivité et même se cibler sur ce qui est le plus directement rentable. Cela pourrait donc tout à fait constituer uncoup d’accélérateur dans une certaine direction. On s’aperçoit en effet que les quelques bouts de phrase sur les publics les plus défavorisés quiavaient été introduits lors du dernier rapport sur l’état d’avancement de “Education et formation 2010” ont disparu ».

Transparence des qualifications

Comme on le lira dans l’encadré « agenda », les prochains mois pourraient voir de nombreuses étapes franchies en matière d’harmonisation dessystèmes d’enseignement et de formation professionnels en Europe. La conférence de Maastricht en décembre sera l’occasion de lancer l’Europass : un portfolioreprenant le modèle de CV européen mais également toute une série de suppléments au diplôme (toutes les expériences d’un étudiant enmatière de travaux spécifiques, de stages, d’expériences d’études à l’étranger… qui ne se retrouvent pas nécessairement surle diplôme officiel), le portfolio européen des langues, le mobilipass qui objective les expériences de mobilité professionnelle et de formation, etc. « Toute laquestion sera de savoir si cet outil sera “ouvert” à des certifications émanant directement du privé, comme l’ECDL, le permis de conduire informatiqueeuropéen », souligne A. Bultot.

Mais ce type de question va se multiplier avec la mise en place d’autres outils favorisant la « transparence des qualifications au niveau europ&ea
cute;en ». D’ici 2006,verra le jour un système de reconnaissance et de transfert des « compétences et/ou des qualifications » sur la base de principes de certifications communs.Déjà ce « cadre européen commun en matière des qualifications » a été esquissé, dans des groupes de travail du processus de Copenhague, autravers de l’harmonisation de l’ensemble des systèmes d’éducation et de formation des pays membres au travers de 8 niveaux de référence. C’est ledossier du système de transfert de crédits en matière d’enseignement et de formation professionnels (European Credit Transfer for Vocational Education and Training ouECVET) qui semble au centre de tous les travaux actuels. Il constitue le pendant des crédits universitaires (les ECTS) dans le processus de Bologne. Mais il ne s’appuiera pas comme lesECTS sur la reconnaissance entre institutions universitaires du nombre d’heures de cours des étudiants. Il demandera donc la constitution de référentiels decompétence communs au niveau européen, la modularisation des filières d’enseignement qualifiant et des dispositifs de formation professionnelle, la mise en place deprocédures de contrôle de la qualité…

Recommandations d’Eunec

La conférence d’Eunec s’est penchée sur les implications de ces processus au travers de tables rondes les 25 et 26 octobre, pour ensuite construire une position communele mercredi 27. En synthèse, Eunec définit la transparence des qualifications comme devant être au service de « la promotion sociale de tous les citoyens européens» et particulièrement de celle des « groupes sociaux les plus défavorisés ». La perspective dans laquelle cette transparence doit être mise en œuvreest celle de la « professionnalisation durable ou de l’employabilité sur le long terme » et donc de la mobilité (sociale et géographique) : il ne peuts’agir de permettre l’instrumentalisation des apprenants par des besoins de court terme du marché du travail, trop vite périssables. Eunec insiste aussi beaucoup, en termesde méthode sur la nécessité de dialoguer avec l’ensemble des partenaires (y compris les représentants des enseignants et des formateurs et la sociétécivile) pour développer et mettre en œuvre les instruments de cette transparence, en particulier les ECVET. Le réseau demande ainsi de coordonner la déclaration deCopenhague et le processus de Bologne.

Enfin, les recommandations insistent sur la nécessaire simplicité des systèmes à mettre en œuvre et sur leur caractère compréhensible par tout unchacun : de nombreux concepts techniques (masquant des options politiques) doivent être notamment clarifiés.

Reconnaissance d’Eunec

Ces recommandations ont été transmises à la présidence néerlandaise pour être intégrées dans les travaux de la Conférence deMaastricht à laquelle cinq représentants d’Eunec sont invités. Cette présence d’Eunec à Maastricht, ainsi que dans deux des groupes de travail «Education et formation 2010 », mais aussi le financement de la conférence par le programme Léonardo montrent que le réseau commence à être reconnu commeinterlocuteur par les instances européennes. Jacques Perquy, le secrétaire général d’Eunec et du Vlor (le Vlaamse onderwijsraad), explique d’ailleurs que lescinq Conseils fondateurs ont maintenant reçu le renfort de neuf autres Conseils, dont « certains nouveaux membres de l’Union qui n’ont cependant pas les moyens de participerfinancièrement au réseau ». Mais seront-ils réellement écoutés dans le processus de Lisbonne ?

La conférence, où le ministre Frank Vandenbroucke et la ministre Marie Arena ont pris la parole, a en tous cas montré que les instances nationales prennent de plus en plus encompte la dimension européenne. Marie Arena a ainsi présenté la méthode de travail de son gouvernement : la définition d’un contrat stratégique autravers d’une concertation incluant les partenaires sociaux. « C’est une chose dont on a moins l’habitude dans le monde de l’éducation mais nous avonsdécidé d’ouvrir les portes tout en les maîtrisant », un des garde-fous étant que ce sont les services publics d’éducation qui gardent la main surla certification. Elle a manifestement fait mouche auprès des participants de la conférence : ils ont vu dans la présentation du Contrat stratégique une ouvertureéquilibrée à l’ensemble des partenaires, y compris de terrain, qu’on ne retrouve que trop peu dans bien des processus de décision européens. Derniersexemples en date : le fait que la Confédération européenne des syndicats ait approuvé le rapport Kok à la grande fureur de la FGTB et de la CSC ; ou le fait que ladirective libéralisant drastiquement les « services » va commencer à être examinée par le Parlement européen le 11 novembre au travers d’unesérie d’auditions de personnes représentant une majorité des lobbies patronaux…

Agenda des prochaines étapes

• Fin janvier 2005 : la Commission Barroso doit « présenter les propositions nécessaires pour procéder à la révision à mi-parcours » duprocessus de Lisbonne, des propositions qui devront « tenir compte » du rapport Kok. À la suite de quoi, le Conseil des ministres est invité à « examiner cespropositions ».

• Fin mars : le sommet de printemps arrêtera les mesures précises de révision de la stratégie de Lisbonne.

Pour ce qui est de la partie « éducation et formation » de Lisbonne :

• 13-16 décembre 2004 : « grande conférence sur l’enseignement et la formation professionnels » à Maastricht sous la présidencenéerlandaise. À cette occasion, l’Europass sera lancé officiellement, la déclaration de Copenhague (2002) sera évaluée et une nouvelledéclaration sera adoptée.

• Courant 2005 : un premier test du système de crédits dans l’enseignement et la formation professionnels sera effectué.

• Courant 2006 : ce système de crédits sera d’application et s’appuiera sur un « cadre européen des qualifications », assurant la reconnaissancemutuelle des systèmes des différents États.

Le point de vue de Philippe Pochet, directeur de l’Observatoire social européen1

« Dans l’ensemble, le rapport Kok accentue la lecture libérale des objectifs de Lisbonne. Notamment par le soutien massif qu’il apporte à la directive sur lalibéralisation des services. Avec une nuance de taille, toutefois. Là où l’OCDE considère la protection sociale comme une charge, la Commission eur
opéennepersiste à le voir comme un facteur productif. Mais le rapport se concentre moins sur le contenu. Il considère que son principal message, sur l’emploi notamment adéjà été délivré dans la version précédente des objectifs de Lisbonne ».

Un rôle d’implémentation aux États membres

Les changements proposés par le rapport sont de deux ordres. « Il considère tout d’abord que les réformes (ie dans le sens d’une libéralisation) sontinévitables. Tout retard dans leur mise en œuvre menace la compétitivité des États membres et donc la prospérité de l’Europe dans son ensemble.Il faut donc les réaliser. Il n’y a plus de discussions à avoir sur le fond. Par exemple en matière de pension, ou de modération salariale, de flexibilité del’emploi (bien que le rapport continue à mentionner la notion de sécurité en parallèle). Ou bien elles sont mises en œuvre, ou bien on abandonne les objectifs». C’est un changement assez marquant.

L’autre aspect réside dans la proposition qui est faite d’associer partenaires sociaux et parlements nationaux dans ces réformes inéluctables. « C’estassez logique. Il n’y a pas beaucoup de sens à se mettre d’accord au plan européen si le national ne suit pas. Le rapport insiste sur la nécessité de renforcerla cohérence entre les deux, et de laisser le suivi de l’agenda à la Commission. Mais là où le rapport amène véritablement du neuf, c’estqu’il propose de ne leur laisser qu’un rôle d’implémentation, plutôt que de délibération. La marge de manœuvre est donc trèsréduite ». Ce qui risque de faire grincer des dents, notamment du côté syndical, où voici peu, la Confédération européenne des syndicats seplaignait de la marge de manœuvre réduite laissée à ses membres pour négocier de véritables avancées sociales, plutôt que d’êtreréduits à accorder sans fin des concessions.

Une logique de tout ou rien

Beaucoup d’États membres non plus n’ont pas bien accueilli le rapport Kok. « Pour preuve, les conclusions du Conseil qui a “pris connaissance” du rapport, cequi en langage diplomatique revient à une critique. Mais attention, ce n’est pas tellement sur le fond qu’ils grognent, mais plutôt sur la peur de perdre leur marge demanœuvre. Bon nombre d’entre eux sont très contents d’entendre l’UE réaffirmer la nécessité de réformer les pensions ». Ce qui estdonc visé par le rapport, c’est un défaut pointé par certains de la méthode ouverte de coordination : l’application opportuniste, « à la carte» des objectifs de Lisbonne. « Voici quelque temps, une autre approche avait été suggérée, notamment par le gouvernement allemand : puisque les objectifsétaient trop ambitieux il aurait fallu de les revoir à la baisse. Or c’est le point de vue contraire qui a été adopté. Les objectifs même inatteignablespour l’instant sont importants. En outre, ceux-ci ne se trouvent pas bornés dans le temps. La réforme est désormais vue comme un processus permanent, sans date finale, etqui ne reconnaît pas ce qui a déjà été accompli ».

Un moment difficile pour les progressistes

Comme le note Philippe Pochet, « c’est un moment difficile pour les progressistes. Les rapports de force actuels (ie le nombre de gouvernements de centre droite actuellement aupouvoir) sont tels qu’il leur est difficile de faire valoir leur point de vue. D’un côté, le rapport insiste sur une plus grande efficacité de la décisioneuropéenne, ce qu’ils ne peuvent qu’applaudir. De l’autre, celle-ci va servir des objectifs néolibéraux. Comment sortir de cette contradiction ? Il faudraitfonder les politiques sociales sur la Charte des droits fondamentaux : s’en servir comme outil pour poser la question de leur mise en œuvre, en ce compris les droits sociaux. Ce serait laseule solution pour sortir d’un agenda insatisfaisant ».

1. Observatoire social européen, rue Paul-Émile Janson, 13 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 537 19 71 –
courriel : info@ose.be – site : http://www.ose.be

1. « Relever le défi. La stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi », http://europa.eu.int/comm/lisbon_strategy/index_fr.html
2. http://europa.eu.int/comm/education/policies/2010/et_2010_fr.html
3. http://www.eunec.org

4. Voir le programme sur http://europa.eu.int/comm/education/programmes/leonardo/new/leonardo2/valorisation/bulletin1_fr.pdf

Donat Carlier

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