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Regard critique · Justice sociale

Handicap

Le bateau Farilu, un équipage hors du commun

Chez Farilu, c’est par le pain que passe l’inclusion des jeunes adultes en situation de déficience intellectuelle. Cette boulangerie de Boitsfort accueille depuis huit ans une quinzaine de jeunes qui participent à la confection de pains et pâtisseries.

Pauline Perniaux

Chez Farilu, c’est par le pain que passe l’inclusion des jeunes adultes en situation de déficience intellectuelle. Cette boulangerie de Boitsfort accueille depuis huit ans une quinzaine de jeunes qui participent à la confection de pains et pâtisseries.

Il est 8 h 30, un calme olympien règne dans la rue des Garennes à Boitsfort. Au numéro 71, le volet de la boulangerie Farilu est encore baissé. Pourtant, derrière la porte, le bruit des poêlons qui s’entrechoquent, la soufflerie des immenses fours à pain et les fouets qui s’agitent se mêlent à l’agitation matinale de l’équipe. Derrière la porte vitrée qui sépare la boutique des ateliers, Mariane et Raymonde, les deux fondatrices de la maison, coordonnent et briefent tout le monde. Chacun s’exécute, chacun sait ce qu’il a à faire. Répartis entre l’atelier boulangerie et l’atelier chocolaterie, ils sont plus d’une quinzaine à venir tous les jours chez Farilu. En plus des six employés, 13 jeunes en situation de déficience intellectuelle modérée font aussi partie de la brigade. «Et encore, aujourd’hui ils sont moins nombreux en atelier, la moitié est en activité à l’étage», précise Mariane Mormont, cofondatrice de la boulangerie.

“Nous, nous sommes les farilusiens, on doit faire avancer tous ensemble le bateau”, Michaël

Cette ancienne kinésithérapeute a l’habitude de gérer de grands groupes. Et de fait, avant l’ouverture de la boulangerie en 2011, Mariane et Raymonde s’étaient déjà lancé un premier défi: JEST (Jamais eux sans toi), une asbl créée il y a 20 ans. À l’époque, Mariane occupe toujours son poste de kinésithérapeute et soigne le jeune Michael, un enfant porteur de trisomie 21. Elle fait la connaissance de sa maman, Raymonde, et très vite, l’idée naît de créer le premier centre de loisirs sportifs et culturels pour enfants et adolescents en situation de déficience intellectuelle modérée. Déterminées, elles décident de se lancer dans l’aventure. «On a organisé un tas d’activités avec JEST pendant toutes ces années, puis nos jeunes sont arrivés à l’âge de 18-21 ans, et ils se sont demandé ce qu’ils allaient faire. Les parents étaient angoissés car il n’y avait pas assez de places en centres d’activités de jour et un gros manque de diversité», explique Mariane. Après avoir suivi leurs jeunes pendant toutes ces années, la situation était inconcevable pour Mariane et Raymonde. Elles en voulaient plus. Elles voulaient les accompagner dans leurs vies d’adultes. De là germe l’idée de créer une structure innovante pour l’inclusion de ces jeunes adultes au sein de la société. «C’est vraiment de ce constat qu’est né Farilu. On nous demande souvent pourquoi une boulangerie? C’est tout simplement parce que du pain on en mange tous les jours, ça se partage et puis c’est convivial!», sourit Raymonde.

L’inclusion avant tout

Pour les 13 jeunes adultes de la maison Farilu, avoir un horaire fixe, des tâches, des copains et, surtout, voir le fruit de leur travail vendu, est une vraie fierté. «Quand je fais quelque chose ou que j’apprends de nouvelles recettes ici chez Farilu, je me sens comme un personnage dans un jeu vidéo qui prend de l’expérience», explique Sami, jeune passionné de jeux vidéo et dernier arrivant de la maison. «Ici, on bosse du lundi au vendredi, expliquent les jeunes, mais on a quand même plusieurs temps de pause, après le repas par exemple, on écoute de la musique et surtout on joue au UNO!», s’exclame Lisa.

“Il n’y avait pas assez de places en centres d’activités de jour et un gros manque de diversité”, Mariane Mormont

L’après-midi, dans l’atelier boulangerie, c’est l’heure de la confection des pains. Lisa, Sami et les autres sont rigoureux et attentifs aux explications des encadrants. Lisa, pas peu fière, a même le droit d’aller en boutique pour s’occuper de la vente. Mais comme toujours chez Farilu, Lisa n’est pas seule, une bénévole l’aide au comptoir. Ce sont ces petites nuances qui situent la boulangerie quelque part entre les entreprises de travail adapté et les centres d’activités de jour, «les entreprises de travail adapté engagent des personnes en situation de déficience intellectuelle légère. Mais ils doivent suivre un rythme assez soutenu, il faut de la rentabilité. Nos participants, eux, ils ne sont pas capables de ça. Ici, on met l’inclusion au premier plan», affirme Mariane.

Longue vie à Farilu

La philosophie de Farilu est l’une des raisons pour lesquelles Mariane et Raymonde sont toujours là en tant que bénévoles. Avec la vente des pains et pâtisseries, impossible de faire du bénéfice. Cela leur permet juste d’acheter les matières premières et d’entretenir le bâtiment. Mais pour pouvoir encadrer 13 jeunes et vendre des produits frais tous les jours, il faut plus de moyens. «La COCOF (Commission communautaire francophone) nous soutient depuis le début, notamment grâce aux subsides octroyés dans le cadre des projets particuliers, mais cela n’a pas toujours été facile de tenir. Depuis janvier, on a davantage de personnes salariées: une boulangère pâtissière chocolatière et cinq encadrants accompagnants. Mais la direction et le secrétariat sont toujours pris en charge par Raymonde et moi, bénévolement», confie Mariane.

Pourtant, aux yeux des jeunes, Mariane et Raymonde sont les chefs de Farilu. Ce sont elles qui font tourner la boulangerie. Ce sont «les deux capitaines du bateau Farilu», comme l’explique Michael. «Nous, nous sommes les farilusiens, on doit faire avancer tous ensemble le bateau Farilu et notre devise c’est: on avance tous ensemble, tous ensemble, ouais ouais!», glisse fièrement le jeune garçon.

Ce bateau, ça n’a pas toujours été facile de le faire avancer. Même si la COCOF les soutient depuis le début, les moyens financiers octroyés se font toujours timides. Depuis quelques semaines, Mariane et Raymonde espèrent être récompensées de toutes ces années de dévouement. Et ce grâce à l’octroi de subsides pour projet particulier agréé, qui se profile à l’horizon de la fin du mois de mars. Quand elle évoque cette possibilité, le regard de Mariane s’illumine: «Ça nous permettrait d’avoir une certaine reconnaissance, des subsides récurrents qui correspondraient à nos besoins en personnel pour continuer à faire vivre Farilu encore pour de longues années.»

 

Volontariat et activités collectives

Si Farilu se situe à mi-chemin entre les entreprises de travail adapté (ETA) et les centres d’activités de jour, il porte quand même un nom: «projet de volontariat et activités collectives». C’est donc un contrat de volontariat que Farilu propose aux jeunes dès leur arrivée dans la boulangerie, et non un contrat de travail. À Bruxelles, il existe trois autres établissements de ce type: Pony-City, Cheval et Forêt et Push. Il s’agit de proposer aux adultes en situation de handicap de participer à des activités de non-travail, non rémunérées, mais qui vont au-delà des loisirs de par leur utilité au sein de la collectivité.

Pauline Perniaux

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