Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Migrations

« Tu veux savoir si j'ai assez souffert pour rester dans ton pays ? »

Le film « Illégal » plonge le spectateur dans l’univers angoissant des centres fermés. Alter Échos a tendu son micro au réalisateur, OlivierMasset-Depasse.

17-10-2010 Alter Échos n° 303

Sélectionné pour représenter la Belgique aux Oscars, le film Illégal plonge le spectateur dans l’univers angoissant des centres fermés. Pourréaliser cette fiction, Olivier Masset-Depasse a mené une enquête de terrain bien documentée.

Pourquoi un film sur les centres fermés ?

Tout a commencé en regardant un reportage à la télé. J’ai entendu des mots comme « innocents en prison », « enfants derrière les barreaux»… Et soudain, ces phrases n’ont plus cessé de tourner dans ma tête. J’ai voulu savoir ce qu’il se passait derrière les grilles.

Avec Hugues Dorzée, journaliste au Soir, et Pierre-Arnaud Perrouty, conseiller juridique à la Ligue des droits de l’homme, on a mené une enquête sur le terrain. On aété à la rencontre des sans-papiers, mais aussi des gardiens, des policiers. C’était important pour que le film ne soit pas manichéen. Je ne voulais pas d’un filmbêtement gauchiste, mais d’un film qui sonne juste.

J’ai fait ce film pour que les gens ne puissent plus dire « je ne savais pas ». Ce n’est pas un film engagé, je ne suis pas un militant. Mais c’est un filmd’indignation ! On paie les centres fermés, qui ne fonctionnent pas, avec nos impôts. En étant passif, on est actif.

– Le 127 bis vous a ouvert ses portes. Quel a été votre sentiment en pénétrant dans les centres fermés ?

J’ai été frappé par l’angoisse qui se dégage de ces lieux où on ne sait rien de ce que l’on va devenir, de ce que sera la vie après. C’est cette angoisseque j’ai voulu recréer dans le « centre » qu’on a construit comme décor pour le film.

– Vous dénoncez, entre autres, les violences policières lors des expulsions.

Je ne dis pas que ce qui arrive dans le film se passe tous les jours. Mais tout ce qu’on voit dans le film est arrivé au moins une fois dans la réalité. Lestémoignages sont nombreux, trop nombreux. C’est un système qui pousse à la dérive. Des textes de loi disent explicitement que ces gens ne doivent pas avoir envie derevenir.

– Avez-vous rencontré des difficultés pour tourner ?

On n’a pas pu tourner les scènes d’expulsion dans l’aéroport de Zaventem. Heureusement, on est tombé sur le directeur technique de l’aéroport de Bierzet… qui est unancien sans-papiers ! On a donc pu tourner là-bas. C’est la magie du cinéma.

– Pourquoi ce titre Illégal au masculin alors que votre personnage principal est féminin ?

Ce n’est pas Tania qui est illégale, mais le système. On enferme derrière les barreaux des gens qui n’ont commis aucun crime.

– Dans votre film, Tania, jeune mère russe, partage sa chambre avec une Chilienne de huit ans. Depuis décembre 2009, il n’y a pourtant plus de mineurs dans les centresfermés.

C’est vrai, le film décrit la réalité de 2008. Dieu merci, les enfants ne sont plus retenus dans des centres fermés. Mais il a quand même fallu que la Belgiquesoit condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour cela. Et puis, cette décision n’est pas coulée dans le marbre. Rien ne nousgarantit que demain on n’aura pas une politique plus dure. Surtout dans le contexte actuel.

– On ne connaît rien de l’histoire de Tania, votre personnage principal. Pourquoi ?

Je ne voulais pas jouer le rôle de l’État en l’obligeant à se justifier. Même si, personnellement, je connais son histoire.
 
– D’où cette réplique de Tania : « Tu veux savoir si j’ai assez souffert pour rester dans ton pays ? »

Oui. Je ne voulais pas rentrer dans le jeu malsain de mesurer l’échelle de la douleur.

– Dans votre film, les citoyens ont l’air solidaires, mais aussi impuissants…

J’ai voulu montrer qu’il y a de l’espoir, des gens qui réagissent. En même temps, ça devient de plus en plus difficile de se rebeller contre les expulsions. Les compagniesaériennes, par exemple, peuvent se retourner contre les militants.

– Quel sujet de société voudriez-vous aborder dans un prochain film ?

Des pratiques mafieuses qui exploitent les sans-papiers. Je pense que l’on ferait mieux de dépenser notre argent pour lutter contre ces mafias que pour financer des centresfermés.

A la suite du film, plusieurs personnalités du monde artistique, médiatique et associatif se sont associées pour publier une lettre ouverte dans Le Soir quisera remise au ministre de l’Intérieur et au secrétaire d’État à la Politique de migration en novembre : www.illegal-act.be

Pour le Ciré également, la sortie du film est une aubaine pour sensibiliser le grand public. Le Ciré lance une pétition et un dossier pédagogique : www.ouvronslesyeux.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)