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Regard critique · Justice sociale

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La valse sociale des étiquettes

(Dés)informer le consommateur au moment où il fait ses achats, (dé)former ses choix et son régime… La manière d’expliciter le contenu des emballages – y compris le contenu social – est un véritable champ de bataille ! Avec les labels en particulier, l’étiquetage joue carrément au croisement du marketing et du changement social.

14-09-2012 Alter Échos n° 344

(Dés)informer le consommateur au moment où il fait ses achats, (dé)former ses choix et son régime… La manière d’expliciter le contenu des emballages – y compris le contenu social – est un véritable champ de bataille ! Avec les labels en particulier, l’étiquetage joue carrément au croisement du marketing et du changement social.

En novembre 2010, la Coordination latino-américaine et des Caraïbes des petits producteurs de commerce équitable (CLAC) lançait son label le « Symbole des Petits Producteurs »1. « Il s’agissait d’une réaction des petits producteurs par rapport à l’ouverture du label Fairtrade Max Havelaar aux grandes plantations, qui estimaient que Max Havelaar s’éloignait de sa mission originelle : offrir un accès au marché pour les petits agriculteurs », explique Samuel Poos, coordinateur de Befair à l’administration fédérale2.

Cet événement révèle à la fois la dynamique et la problématique des labels. De façon très schématique, les « grands labels » sont tentés par le développement à grande échelle, pour obtenir des impacts économiques, sociaux et environnementaux de grande ampleur. Ils s’adaptent aux standards de l’agro-industrie pour tenter de les faire évoluer. Les petits labels, eux, sont plus engagés mais n’arrivent à s’imposer que sur des marchés de niche…

Deux effets pervers à cette dynamique. D’une part, les grands labels ont tendance à niveler les cahiers de charges par le bas : centrage sur les aspects environnementaux, rabotage des aspects sociaux, etc. (par ex. pas de prix minimum garanti pour les producteurs locaux sur les bananes et le cacao labellisés Rainforest Alliance, l’un des plus visibles). D’autre part, à l’autre bout de la chaîne, le consommateur y perd son latin : il se dit qu’il est dans le bon si les étiquettes de ses achats figurent une grenouille, une fleur ou une feuille…

Complémentarité ou opposition ?

Le plus répandu des labels, le bio, est aujourd’hui complètement écartelé dans cette logique. En 2009, l’Union européenne a revu et uniformisé les prescriptions du label bio. Trop « minimalistes » ont jugé nombre de professionnels, en particulier en France. Par rapport à leur cahier de charges national, il y avait un nivellement vers le bas. Regroupés au sein d’Alternative bio, ils créent alors « Biocohérence »3. Pour pouvoir apposer ce label, les producteurs et transformateurs doivent au préalable être certifiés sur la base du règlement bio européen. Mais en plus, ils doivent prendre un certain nombre d’engagements plus volontaristes comme de refuser catégoriquement les contaminations OGM. Certains de ces engagements présentent une dimension sociale ou sanitaire : mention de l’origine des produits pour favoriser les circuits locaux, pratiquement aucune exception sur les additifs alimentaires ou les produits phytosanitaires, etc. L’association prône une agriculture biologique qu’elle ne juge pas plus contraignante, mais plus cohérente, c’est-à-dire plus respectueuse de l’homme et de son environnement, plus pérenne aussi.

Chez nous, Nature & Progrès, association d’éducation permanente qui milite pour le bio et l’écologie4, parle de complémentarité des approches. Pour Marc Fischers, son secrétaire général, « dépenser de l’énergie à combattre Nestlé ou tout autre géant de l’agroalimentaire, c’est de l’énergie en moins pour développer le bio. Ce qu’il faut, c’est maintenir le cahier des charges européen, le renforcer, afin d’y soumettre la grande industrie agroalimentaire. Il faut se servir de l’agroalimentaire comme d’un marche-pied pour aller vers le grand public. » Il est intéressant selon lui d’avoir des normes minimales au niveau européen. « A partir de là, on peut aller plus loin. » Pour lui, un label bio est social quand il s’inscrit dans un mouvement social, qu’il n’est pas porté uniquement par des acteurs commerciaux. Autrement dit, quand son projet n’est pas de se partager un marché, mais de moderniser la société. Et pour y arriver, Marc Fischers mise sur la « contagion culturelle », entre autres à travers des événements où consommateurs et producteurs font chacun un pas vers l’autre.

« Comment se fait-il qu’un secteur comme le bio, qui était plus cher, plus confiné, soit parvenu à se diffuser ? Parce qu’il y a cette volonté de contagion culturelle. De plus en plus d’agriculteurs (ndlr de petits producteurs) passent au bio. Un millier aujourd’hui en Wallonie. Mais il y a aussi une montée en puissance des agriculteurs qui cherchent simplement leur indépendance. Quand les agriculteurs dépendants de l’industrie agroalimentaire épandaient leur lait dans les champs, les fermiers bio continuaient à vivre normalement en vendant leur fromage bio à 16 euros le kilo. » Et d’observer que le plus souvent dans les fermes bio, il n’y a pas un, mais désormais deux repreneurs potentiels, car beaucoup ont développé des unités de production et de transformation.

La guerre des étiquettes
En 2010, le lobby agroalimentaire a fait des pieds et des mains pour défendre ses intérêts par rapport au système d’étiquetage alimentaire dit « feux de signalisation ». Avec ses codes couleur, celui-ci était en effet clair pour le consommateur, pédagogique, efficace pour guider les pratiques d’achat… et du coup inacceptable pour les industriels et les grands distributeurs, tant leurs marges dépendent de produits trop gras, trop salés ou trop sucrés (snacks, sodas, pizzas, etc.).
Au prix de dépenses de lobbying d’un milliard d’euros (!), l’Union européenne a envoyé ce projet aux oubliettes5. Et nous nous retrouvons aujourd’hui avec des emballages ornés de guirlandes de petites pastilles mentionnant des doses journalières conseillées, pratiquement incompréhensibles…
Parallèlement, le Beuc6 (Bureau européen des unions de consommateurs) a dénoncé à plusieurs reprises les pratiques marketing de l’industrie alimentaire reposant sur des slogans axés sur la santé ou la nutrition : « Bon pour votre cœur », « Réduit le taux de cholestérol »,
« X % en moins », « Riche en fibres », etc. Autant de slogans ne reposant sur aucune base scientifique. Depuis 2006, ces « allégations » sont encadrées par une législation européenne. Et le Parlement européen a entrepris, depuis trois ans, un grand chantier pour renforcer ce cadre. Mais de nouveau, les lobbies sont sur les dents et aucune décision en vue… Or, ces allégations ont un impact réel sur les comportements d’achat, sans doute plus aigu pour une partie des consommateurs les moins favorisés. Ils en viennent à fausser les perceptions d’un régime équilibré, voire à y introduire de nouveaux déséquilibres, à l’instar des fameux yaourts enrichis en probiotiques suspectés depuis 2009 de favoriser certaines formes d’obésité.

1. http://www.tusimbolo.org
2. CTB, Coopération technique belge :
– adresse : rue Haute, 147 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 505 37 74
– courriel : samuel.poos@btcctb.org
– site : http://www.befair.be
3. Le curieux peut comparer les exigences des deux labels : http://www.biocoherence.fr/La_marque/Le_cahier_des_charges
4. Nature & Progrès :
– adresse :  rue de Dave, 520 à 5100 Jambes
– tél. : 081 32 30 52
– courriel : natpro.marcfichers@skynet.be
– site : http://www.natpro.be
5. Voir cet article du journal en ligne Rue89 : http://tinyurl.com/9fvg8ll
6. Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC) :
– adresse : rue d’Arlon, 80, bte 1 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 743 15 90
– courriel : consumers@beuc.eu
– site : http://www.beuc.org

Baudouin Massart

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