Contradictions se penche sur l’insertion professionnelle et les insertions sociales 1. Trois auteurs ont retenu notre attention : Thérèse Levene, d’abord, qui analyse le lien entre«travailleurs sociaux et classes sociales»; Roger Lemineur, ensuite, qui s’arrête sur la «question de la motivation au travail : la grande affaire du salariat»; et PaulDemunter enfin, qui aborde le thème de «l’insertion professionnelle».
L’analyse de Thérèse Levène vise à déterminer la place des travailleurs sociaux dans les rapports de production, et surtout leur appartenance de classe, proche dela «petite bourgeoisie». Une classe sociale souvent alliée à la classe ouvrière contre le capital, mais qui lutte aussi pour elle-même. Une manière delire, entre autres, le rapport au pouvoir des travailleurs sociaux, et l’évolution des budgets consacrés aux matières sociales.
Roger Lemineur trace un état des lieux de l’organisation du travail, en soulignant l’émergence de plus en plus forte du «management participatif». A savoir plus de placelaissée par le patronat aux travailleurs dans le processus de production. Ces derniers ne sont plus considérés comme «prolétaires analphabètes»,«simples-appendices-de-la-machine», mais comme des «diplômés propriétaires». L’entreprise apparaît comme «la nouvelle structure de base del’ossature sociale» L’emploi qu’elle procure serait «la condition d’accès non seulement à la citoyenneté, mais à l’universalité, pas moins !»
Cette reconnaissance du travailleur-sujet et ce «réenchantement» de l’entreprise sont-ils une réelle avancée démocratique, s’interroge Lemineur ? Soyonssérieux, affirme-t-il avec force, avant de démonter tout le mécanisme de ce discours et tous les risques d’aliénation nouvelle qu’il sous-tend, ainsi que d’individualisme,de narcissisme poussé à son paroxysme par et pour l’entreprise. Avec l’obligation psychique de s’épanouir. On ne peut rêver meilleur système de contrôle et desoumission… Et tant pis pour les autres formes de citoyenneté et donc de solidarité et de participation à la vie sociale, aurait-on envie d’ajouter !
Paul Demunter, quant à lui, s’intéresse plus particulièrement au dispositif d’insertion des femmes, à travers l’expérience du Centre d’information droit des femmes(CIDF) en France. Objectifs du projet : les rendre autonomes socialement et insérer durablement dans l’emploi ; initier un partenariat avec des entreprises en vue de sensibiliser àcette démarche d’insertion et assurer le maintien de l’emploi des femmes ; favoriser la montée en qualification aux différentes étapes du parcours par la reconnaissance etla validation des acquis.
Ce projet a touché une centaine de femmes, majoritairement âgées entre 30 et 40 ans, vivant seules et/ou avec un enfant à charge. La plupart habitent Tourcoing ou Roubaixet sont d’origine française ou maghrébine. Leur niveau d’étude ne dépasse pas le secondaire. Leur expérience professionnelle dépasse les 3 ans et la plupartsont au chômage (de longue durée) ou perçoivent le RMI.
Les résultats de ce projet de réinsertion professionnelle sont assez positifs, mais ils doivent être nuancés. Le degré d’employabilité est souvent fonction del’implantation ou du départ d’une entreprise, du niveau d’étude minimum exigé à l’embauche… D’autre part, «Juger la formation continue en fonction du nombred’emplois retrouvés, c’est accréditer l’idée selon laquelle la cause du chômage réside dans l’inadéquation de la formation au marché de l’emploi oudans une quelconque absence de motivation et de dynamisme des chômeurs.» Il y a donc une forme de rejet des responsabilités sur des individus ou des programmes et non pas sur«la valorisation maximale du capital.» Il est donc plus judicieux, poursuit Paul Demunter, d’évaluer la formation sur base d’autres critères : la satisfaction des stagiaireset une qualification large : professionnelle, sociale, politique et culturelle. Qualification qui permet de développer sa citoyenneté au sein d’organisations politiques ou sociales oudans des mouvements des chômeurs.
La vision marxiste des auteurs pourrait en dérouter certains, en agacer d’autres. Elle apporte un point de vue différent (audacieux diront les uns, incontournable ajouteront les autres)qui affronte le discours néo-libéral d’un capitalisme fort. Elle en repère et en souligne les risques et les contradictions, tant pour l’homme, le travailleur, que pour leséchanges de biens et de services en eux-mêmes. Cette analyse offre un autre regard sur les rapports de force en vigueur dans le système de production actuel.
1 Contradictions n° 88 (1er trimestre 1999) «Insertion professionnelle et insertions sociales», 360 francs. Disponible en librairie ou auprès de Baudouin Piret, rue Warichet 6à 1457 Walhain, tél. : 010/65 70 85.
Archives
« Insertion socioprofessionnelle au bénéfice du travailleur ou du capital ? »
Alter Échos
06-09-1999
Alter Échos n° 58
Alter Échos
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