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Regard critique · Justice sociale

Les initiatives solidaires : intégrer la réciprocité dans la pensée et dans les politiques

S’inscrivant dans une lignée de sociologues tels que Joseph Proudhon et Georges Gourvitch, mais aussi d’économistes éclairés – c’est-à-dire reconnaissantles limites épistémologiques de leur discipline – comme Karl Polanyi, Laurent Gardin propose dans Les initiatives solidaires, une tentative de théorisation desinitiatives solidaires, sans faire l’économie des tensions qu’elles génèrent à l’égard de l’État et du marché1.

03-11-2006 Alter Échos n° 218

S’inscrivant dans une lignée de sociologues tels que Joseph Proudhon et Georges Gourvitch, mais aussi d’économistes éclairés – c’est-à-dire reconnaissantles limites épistémologiques de leur discipline – comme Karl Polanyi, Laurent Gardin propose dans Les initiatives solidaires, une tentative de théorisation desinitiatives solidaires, sans faire l’économie des tensions qu’elles génèrent à l’égard de l’État et du marché1.

Maître de conférences en sociologie à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, chercheur au Réseau 21 et au Laboratoire interdisciplinairepour la sociologie économique (Lise), Laurent Gardin place au cœur de son livre un constat a priori paradoxal : l’extension de la sphère marchande et de la mondialisation, avec entoile de fond l’intérêt individuel présentée comme clé de compréhension unique des comportements humains, se poursuivent de manière aussiobstinée que le foisonnement d’initiatives solidaires – commerce équitable, services de proximité, économie sociale, finances solidaires – qui supposent unetout autre compréhension des ressorts de l’action humaine – individuelle et collective.

La réciprocité? Les réciprocités!

Pour résoudre cette tension, l’auteur va au-delà d’une approche uniquement marchande de l’économie, sans pour autant se cantonner à la seule intervention des pouvoirspublics. Au passage, on lui saura gré de problématiser des concepts dont l’usage est trop fréquemment abusif et « sloganesque » dans la littératuresocio-économique visant à assurer les fondations théoriques de l’économie solidaire. Il en va ainsi de la « réciprocité » dont Laurent Gardins’attache à dresser une typologie convaincante : la réciprocité inégalitaire (ou don sans retour) caractérise ainsi les initiatives de groupes «hétéro-organisés » qui associent donc un groupe distinct de celui à qui est destiné le service fourni : parmi les exemples de structures réalisantcette réciprocité inégalitaire, Laurent Gardin cite les entreprises d’insertion. Au contraire, la réciprocité entre pairs est réalisée dans le cadrede groupes homogènes et auto-organisés, qui associent des pairs, par exemple les travailleurs d’une coopérative, ou les usagers et producteurs – la distinction n’a plus desens dans ce cas-ci – d’un système d’échange local (Sel) ou d’une crèche parentale. Enfin, la réciprocité multilatérale se fonde sur des groupeshétérogènes tout en permettant la participation des acteurs. Bien que différents, ces derniers se placent dans des situations symétriques. Une définition quicorrespond, selon l’auteur à la situation des Régies de quartier. Il est évidemment entendu que les catégories ne sont pas figées et que les évolutions etpassages sont envisageables puisque, par exemple, « des initiatives fondées sur la réciprocité inégalitaire peuvent être amenées à rechercher desmoyens appropriés de mobilisation des bénéficiaires dans un second temps ».

Une fois le concept un peu mieux installé, Laurent Gardin entreprend d’en montrer l’utilité conceptuelle : il plaide donc en faveur de son intégration dans la sociologieéconomique, mais aussi dans les initiatives politiques. Il est en effet évident que le principe de réciprocité propre à l’économie solidaire doit composeravec le marché, mais également avec le principe de redistribution propre aux politiques étatiques. À cet égard, l’auteur essaye de définir de futuresrelations entre réciprocité et redistribution, qui éviteraient un double écueil. D’une part, en effet, « les pouvoirs publics peuvent adopter des modes derégulation relevant de logiques de marché en ne considérant les initiatives que comme des prestataires de service (régulation quasi marchande) dans une perspectivenéolibérale). » Mais, d’autre part il s’agit également d’éviter la « perspective social-étatiste » et sa régulation tutélaire« plaçant les initiatives en situation de dépendance et d’infériorité ». Un bel exercice d’équilibrisme… ou de créativité.

1. Laurent Gardin, Les initiatives solidaires. La réciprocité face au marché et à l’État, Éditions Érès, coll. Sociétésen changement, 2006. Préface de Guy Roustang.

Edgar Szoc

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