Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Qui suis-je pour ne pas être d’accord?
Je voyage dans le monde
Et dans les sept mers
Chacun cherche quelque chose(1)

Eh oui, en cette période étrange et pénétrante (2), notre inconscient s’exprime puissamment, en réaction aux kaléidoscopiques états émotionnels dans lesquels notre condition de confinés nous plonge. Sain travail de notre cerveau pour assimiler le réel et ses tourments. Partant du constat personnel que notre vie onirique semble plus intense que d’habitude, nous avons décidé de lancer un appel à songes de tous bords via nos réseaux de communication. Preuve s’il en fallait que ce thème rencontrait un bel écho, la récolte fut bonne. «Je rêve, donc je suis.» Extraits choisis.

Intuition souterraine (prémonition?)

Deux récits évoquent des rêves pré-Covid 19, interprétés avec le recul comme des messages annonciateurs… .

«Ce qui est ‘marrant’, c’est que la nuit du 22 au 23 janvier, alors que je ne croyais pas du tout à ce truc de virus, j’ai rêvé d’une épidémie étrange qui plongeait les gens dans le coma. Ce n’était pas dans l’air, c’était dans l’eau. Ç’avait été un rêve super angoissant et ça finissait avec beaucoup de violence. Un rêve comme jamais je n’en fais. Et puis, c’est arrivé.»

«Je traverse l’Atlantique au fond d’une cale de bateau, un peu comme au temps des esclaves, dans le pipi et la merde des autres que je comprends être nombreux autour de moi dans la pénombre. C’est humide, ça suinte de partout. Ça tangue et ça donne la nausée. Je me réveille en sueur. C’était la nuit précédant l’annonce du confinement!»

Liberté restreinte et fragilité sociale

Dans le continuum des rêves qui se succèdent et ne se ressemblent pas, voici venu le temps des pressions et des grincements de dents. Une sorte de venin insidieux qui pénètre petit à petit dans nos esprits… Les mots d’ordre, les annonces politiques, les contrôles policiers, les personnes proches plus sujettes à controverse dans la situation: ça mijote, ça titille…

«[…] Rêvé du traitement médiatique de la pandémie et du jugement d’autrui, de menaces de mort pour respecter le confinement.»

«[…] Au parc, les flics abondent. Les copains se mettent un peu à l’écart et observent. Je prends un taxi, le chauffeur est une femme. La voiture grimpe vers une villa au milieu du parc. Je suis sortie (tombée?) de la voiture et je ne les retrouve plus, ni la chauffeuse ni la voiture. Je me barre sans payer. Plus tard je suis à une table avec S, nous appelons I (ce sont deux amies d’enfance), elle et sa mère ont été embarquées, on va les mettre en centre de rétention et les renvoyer en France, je pleure de cette injustice. […]»

«Je descendais la rue et voyais une fille se faire harceler. Je courais donc pour aller l’aider et posais en chemin mes lunettes quelque part. Une fois le type chassé, je remontais la rue pour les chercher, mais une brocante s’était entre-temps installée. J’étais assez angoissée (je suis myope) et les fausses joies se succédaient parce qu’il y avait sur de nombreuses tables de vieilles paires de lunettes, au milieu de sculptures et d’égouttoirs à couverts. Je me rendais ensuite compte que j’avais oublié mon attestation de déplacement dérogatoire et le stress était à son comble.»

Voyage-évasion

Nul doute que dans ce contexte de paralysie, nos esprits fantasmeraient des échappées belles. L’assignation à résidence, c’est pesant tout de même. Et joie, c’est là que notre cerveau nous emmène gambader vers l’ailleurs. Un ailleurs plus en phase avec cette nature que les citoyens citadins foulent au pied et oublient sans doute, redécouvrant même avec étonnement le chant des oiseaux.

Nuit du 30 au 31 mars

Rêve de voyage, de sac à faire.

Nuit du 31 mars au 1er avril

Rêve de montagnes. Nous sommes deux dans un paysage en relief, de terre, assez désertique. Le projet est d’y construire. Y installer des bêtes?

Nuit du 5 au 6 avril

Rêve de forêt.

Ensuite, le voyage peut être d’ordre sentimental. Un retour aux sources sans doute consolateur par essence, mais qui prend une tournure périlleuse vu les circonstances.

«Je suis sur le bateau de mon frère, avec lui, et on se retrouve coincés dans le goulet du Havre de Rotheneuf (bourgade près de Saint-Malo où j’ai passé tous les étés de mon enfance). On s’apprêtait à prendre le large, mais on est surpris par la marée basse qui nous ramène dangereusement sur les rochers qui affleurent désormais sous l’eau. On doit attendre la remontée et on passe la nuit sur le pont, avant de comprendre au petit jour qu’il y avait une cabine et des couchettes et qu’on aurait pu faire des quarts pour dormir chacun son tour un peu. Je me réveille épuisée.»

Après, on peut aussi s’évader de manière aléatoire, mais toujours dans le chaos le plus total.

«Je suis bloquée dans une gare (même si je n’y suis jamais allée, elle ressemble à celle de New York) et je suis perdue. Pas moyen de trouver le train qu’il faut, ni par où aller (mais est-ce que je sais où aller d’ailleurs?). Je cours partout en tous sens en vain. Je vois un ami qui habite aujourd’hui en Nouvelle-Zélande, Carlos, passer au loin, mais il disparaît aussi vite. Je me réveille le cœur qui bat fort.»

Et pour revenir à la routine, il y a la STIB, alias le voyage à court terme…

«Je suis dans une station de métro, j’ai du mal à valider mon ticket. Quand j’arrive sur le quai, le métro part, il y a une autre rame, mais il faut traverser la voie pour l’atteindre, c’est assez acrobatique de rentrer dans un wagon par la fenêtre. Je m’assois et jette mon ticket, je m’aperçois que le sol est jonché de tickets. Un contrôleur arrive accompagné d’un policier, ils ne contrôlent pas tous les passagers, ils cherchent probablement quelqu’un en particulier.

Je suis dans un long et large couloir d’une station de métro, il y a beaucoup de monde, je me rends compte que je ne porte pas de masque, les autres usagers non plus, c’est de la folie!»

 

© Lucie Castel

Angoisse de mort et pulsion de vie (comment va la famille?)

«Rêvé que je rendais visite à Annick (ma grand-mère, décédée un an plus tôt). Elle et sa sœur ne se souviennent plus si elles ont reçu leur vaccin contre le Covid-19.»

«Je montais dans un ascenseur avec deux amis. Juste avant que les portes ne se referment, deux autres personnes arrivaient. On n’osait pas leur dire non ni évoquer la distanciation sociale à respecter, mais elles s’en rendaient compte et se tournaient face aux portes. Le problème était qu’elles se mettaient à grandir, grossir, et que leur dos immense finissait par nous étouffer.»

«En ce moment très particulier, je rêve de maladie et de mort, bien sûr! Je rêve de mes grands-parents, qui sont morts depuis si longtemps. Je revois leur maison, remplie et puis vide; mon enfance. Je rêve aussi des examens. Comme si cette situation inédite nous mettait à l’épreuve et nous forçait à nous adapter, à évoluer, à faire avec ou à nous incliner (pour ne pas dire ‘à y rester’…). Et lorsque je me réveille, je rêve que cette crise va faire évoluer la société, va être le début d’un autre vivre-ensemble plus respectueux de chacun et de l’environnement. Est-ce possible de réorienter nos sociétés vers cela? J’en rêve en tout cas…»

«Je rêvais que mon frère avait été diagnostiqué d’une malformation étrange aux veines. Il n’y avait aucun remède et il allait mourir. Il devait se donner la mort lui-même, devant nous, en se donnant lui-même trois piqûres […] Peu de temps après, on se rendait compte que les six membres de la famille étaient atteints de la même malformation. Et qu’on devait nous aussi se donner la mort. Je me refusais à ça. Au-delà d’être encore atterrée du deuil de mon frère, je commençais à avoir des questionnements métaphysiques: ‘Y a-t-il une vie après la mort?’ Mes sœurs et ma maman l’acceptaient et se donnaient la mort devant moi. J’ai cette vision terrible de leurs corps sans vie sur un carrelage de salle de bain où je voyais les derniers souffles qui les quittaient. La première piqûre les empêchait de parler puis elles se recroquevillaient sur le sol jusqu’à mourir. Je me vois hurler, crier, marcher dans la rue, regarder les gens insouciants devant moi avec jalousie, avec la perspective de devoir moi aussi m’infliger ces piqûres.»

Dans la rue toujours, peuplée de zombies et de hors-la-loi non cadrés par le confinement, le danger nous guette à chaque pas. La méfiance est de circonstance, il faut rester sur le qui-vive.

«Il y a des cambriolages dans le quartier où je vis. C’est une femme brune qui les commet et qui tue à la lame les occupants des lieux s’ils sont là. Je veux rentrer chez moi, mais la porte est déjà ouverte et la femme est là de dos. Elle s’approche de moi pour sortir et me frôle. Je me rends compte qu’elle est en train de passer sur mon bas ventre une lame d’un long sabre tellement aiguisé qu’il transperce mes vêtements et ouvre une partie de mon ventre sans que je ne le sente. Avant qu’elle termine, je la repousse et plaque ma main sur la blessure béante. Elle me regarde dans les yeux et dit:

_ ‘C’est trop tard! Tu ne peux plus revenir en arrière! Tu vas mourir lentement en perdant tout ton sang très lentement. Tu souffriras toujours et tu ne peux rien y changer!’

_ ‘Non! Tu n’as pas tout ouvert! Je résisterai!’

Sur ces paroles, je sors de l’immeuble pour trouver de l’aide en me tenant le ventre qui saigne. Personne ne m’aide, personne ne me remarque, ni ne me répond, il n’y a pas d’hôpitaux. Un homme apparaît dont je ne vois pas le visage, mais je sais que, dans mon rêve, c’est mon copain. Il me soutient, on arrive à trouver une pharmacie dans un sous-sol où des vieux font la file avec distanciation sociale qui empêche de capter l’attention du pharmacien. Ils n’ont pas l’air malades, mais ne veulent pas nous laisser passer […]

Et je me suis réveillée d’une drôle d’humeur.»

Qui suis-je, où vais-je?

Nous sommes tous sans doute en questionnement existentiel par rapport à nos activités professionnelles habituelles transformées. Certaines activités sont purement et simplement à l’arrêt. D’où ces pistes oniriques pour l’une de nos contributrices…

«Je dois travailler pour l’Église de la Scientologie (les bureaux sont dans un car); après deux jours à l’essai, je refuse de signer les papiers.

J’ouvre un magasin de vêtements de seconde main; je décide de l’appeler Pierre Papier Ciseaux.

Je deviens flic.

On me propose une collaboration avec les Deschiens. Plus exactement avec l’une des comédiennes; je me dis que c’est vraiment dommage que ce ne soit pas Yolande Moreau; j’accepte quand même le job vu le contexte; finalement, il s’agit plutôt d’un travail administratif…

On me fait comprendre que je n’ai plus qu’une solution pour faire rentrer de l’argent: participer à un jeu de télé-réalité; il ressemble à une sorte d’Interville pour moi toute seule. Le parcours est fait d’obstacles colorés, dont certains sont en hauteur, dans une pièce fermée.

Je vis l’épisode II du jeu de télé-réalité. La pièce est la même. En plus des obstacles, je dois combattre un chien qui a l’air plutôt enragé, ainsi que plusieurs varans.»

Le rêve comme fantasme de l’après

Clôturons ce panorama du songe sur une touche de tendresse et de sensualité. Ce rêve éveillé nous a été transmis par une source, avec comme intro deux citations de son choix.

«Le monde appartient à celui qui connaît la nature des cinq sens: la saveur, la lumière, l’attouchement, le son et l’odeur.»
Proverbe tamoul; Le Koural – VIe siècle.

«Les seules femmes heureuses sur cette terre sont celles à qui nulle caresse ne manque. Elles vivent, celles-là, sans souci, sans pensées torturantes, sans autre désir que celui du baiser prochain qui sera délicieux.»

Les Caresses (1883) de Guy de Maupassant

«Je ne suis pas de celles-là… Cela fait plus d’un mois que je n’ai pas embrassé une joue, serré une main, senti des bras réconfortants autour de moi… Je ne le vis pas mal, ce confinement, ce ralentissement forcé, c’est un peu le cours de la vie qui se met à mon rythme…

Mais s’il y une seule chose à laquelle je devrais choisir de retrouver en renonçant à tout le reste, tout ce qui nous a été privé durant ce confinement, ce serait d’effleurer une main, caresser une joue, embrasser une bouche, enlacer un ami, lécher, empoigner, tripoter, pétrir, malaxer…

Il fera beau demain, demain, j’enlacerai les gens, demain, je franchirai la distance qui nous sépare, tactile sera mon maître mot! L’affection que je porte aux gens, je veux la transmettre.»

 

 

 

 

(1) Titre emprunté au groupe Eurythmics «Sweet dreams (are made of this)». Adaptation libre en français du premier couplet de la chanson précitée.

(2) «Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant…» : premières lignes du magnifique poème de Paul Verlaine «Mon rêve familier».

Marie-Eve Merckx

Marie-Eve Merckx

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