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Regard critique · Justice sociale

Social Bistrot

Convivialité et vie trépidante des objets

Espace populaire qui mélange les publics, crée du lien et des échanges codés et non codés autour d’une pratique ancestrale? Bon sang, mais c’est bien sûr, pour étoffer notre inventaire, il nous fallait, pour la rentrée, mettre les pieds dans cet endroit de brassage: la brocante de quartier.

© Garance Clavère-Fournier

Longtemps suspendue pour raisons sanitaires, c’est avec une joie presque enfantine que nous nous replongeons dans ce décor coloré en ce samedi après-midi mi-figue mi-raisin.

Soigneusement ordonnés par des marquages au sol, les étals des brocanteurs s’articulent en rectangles dans des carrés concentriques, un peu à la manière d’un jeu de l’oie, face à l’imposante maison communale qui domine la place. Côté droit, les stands s’étirent également sur l’artère qui longe la place.

Première constatation: c’est pas la folie à London malgré une météo relativement clémente, au début de notre expédition tout du moins, compte tenu de cet étrange été.

A priori, une tentative d’explication s’ébauche:

«Bonjour, ça va?»

«On vient de découvrir qu’il y avait une brocante dis, si on avait su, on avait mille choses à virer.»

Deuxième constatation. Tout y est, comme en quarante: fripes, gadgets, bric-à-brac, disques, outils et accessoires, objets d’artisanat, mobilier, bijoux, disques de maquillage, parfums, briquets… et autres curiosités décalées comme les collections de pin’s, toujours dans la course, ou un stand entièrement consacré à la vente de pots de fleurs et cache-pots.

Claude Semal est là incognito sur sa chaise de camping, encadré par deux tringles de vêtements à vendre.

Présents également: le glacier qui vend aussi des gaufres chaudes pour pouvoir taper juste quelle que soit la météo, le vendeur de ballons géants bariolés et les incontournables pains saucisses.

«Non, j’ai dit non! Ou je l’attache à ton poignet ou je le prends.»

Négociation sensible entre une mère et son fils de 2 ans autour des fameux ballons gonflés à l’hélium. Manifestement peu réceptif à l’injonction, le bonhomme reste obstinément assis par terre à brailler son mécontentement.

À l’air libre, les masques se sont quasiment évaporés, étonnante sensation de voir tous ces visages à découvert fleurir dans l’espace. À l’instar des badauds, nous circulons gentiment avec mon acolyte illustratrice Garance, en repérage. En termes visuels, c’est bariolé et plein d’informations, en termes d’écriture, nous peinons à trouver des mots.

Météo bingo

Et c’est là que les éléments ont tout précipité. Classique déroulement: le temps vire au gris. Le vent se lève. De fines gouttes tombent. La ronde des visiteurs tourne, tourne. Les vendeurs retiennent leur souffle. Bref interlude collision de genres au milieu de la place: une sono détonne, à plein volume: entrée en scène d’une vieille dame rousse qui débute une démonstration de majorette sur fond de techno latino, moulée dans son jean bleu marine, au milieu de la place. Un cortège de trentenaires tirés à quatre épingles, bronzés à la même enseigne, traverse la place au même moment, en procession, en sortant d’une cérémonie de mariage à la maison communale.

Les gouttes deviennent de plus en plus rapprochées. Lourdes. Et c’est l’orage. La dispersion. Le sauve-qui-peut. Nous décidons alors d’aller à la source, armée de notre micro, pour capter au plus près l’atmosphère et l’essence de ces brocanteurs de tous crins.

Notre première interlocutrice est là depuis les aurores. Elle vend des couvertures (sic) pour smartphones et tablettes alors qu’elle n’en a pas.

«Je n’ai rien de tout ça, je n’y connais rien. J’ai eu l’opportunité d’avoir ce lot pour rien.»

Est-ce que ça marche bien?

«Je me rends compte que les gens qui ont des tablettes et des choses comme ça ne connaissent pas les dimensions de leur appareil. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Vous ne savez pas ce que vous voulez et vous me demandez à moi qui vend ça à deux euros? Les gens se rendent compte que ce n’est pas cher, ils ont une notion du prix. Mais je devrais être comme un vendeur en magasin, tout savoir, tout connaître.»

C’est une amatrice de brocante, des deux côtés du stand. «J’aime bien le lien que tu crées, qui est éphémère, puis les tensions que ça génère dans les marchandages. C’est un rapport humain, qui a du bon et du moins bon. Deux brocantes d’affilée comme ça par rapport à ce qu’on a eu, c’est-à-dire rien du tout depuis un an et demi, ça fait du bien. Avec les aléas de la météo comme maintenant. Le rapport humain que tu as dans une brocante, je trouve ça très vrai.»

Le monsieur d’à-côté, un grand efflanqué en costume, liquide l’héritage de sa mère. Il ne vend que des antiquités, legs de la famille. Définition pour vendre: «Tout ce que moi je veux acheter, je le vends. Ça veut dire qu’il y a plein d’amour, les gens viennent me demander, je réponds avec du cœur, ils aiment bien le dialogue.» Il a fait une fortune avec des pierres polies et des œufs qui viennent de Namibie. Il en a vendu 500. Il a découvert que «les gens sont intéressés par la valeur médicinale, les propriétés des pierres».

Son voisin est un sosie de Frédéric Jannin, avec casquette plate et lunettes rondes à grosses montures. Il me raconte fièrement qu’il écoule les doubles de sa collection de figurines et autres objets liés aux Schtroumpfs. Par contre, les DVD, ça marche «plus ou moins non».

Un bruit de casserole métallique résonne en cascade dans le lointain.

Je tombe sur un stand épatant avec des objets hétéroclites sortis de la nuit des temps: des poinçons, des sextants, des outils, des niveaux à plomb, des aiguilles pour les gramophones, des pièces d’horlogerie. Le monsieur buriné qui le tient me garantit ne pas s’adresser qu’aux experts, il touche également un public de novices curieux. «Les gens veulent apprendre, ils veulent savoir comment ça fonctionne. Pour moi, la brocante est une histoire de transmission de technologie et de savoir.»

Il y a un retour à ça?

«Oui, il faut un retour vers tout ça. Je fais ça par amour. J’aime les vieux objets, les vieux outils, je les restaure et les remets en valeur, en circulation. Ce sont des outils qui sont aptes encore à fournir du beau travail, de très bonne qualité, mais il faut connaître la base historique de l’objet.»

Fascinant. Je continue mon petit tour et je me fais alpaguer par un facétieux vendeur, accompagné de Zézette, sa femme.

Que fait-il là?

«On était venus parce qu’on nous avait annoncé 25 degrés. Le soleil. On s’est dit ‘On va venir bronzer, car on n’a rien de mieux à faire.’ Honnêtement on n’a jamais vu le soleil. On nous a dit ‘Venez à Saint-Gilles, ils sont blindés’, et on n’a rien vendu. Quand on ne vend que 2.000 euros sur une journée, c’est rien. Après, dans la vie, on est démonstrateurs, mais, comme sur le marché, c’est encore plus la misère.»

OK, j’avance et je croise un acheteur rencontré au stand des objets anciens. Il s’est offert deux harmonicas. Un chromatique et un diatonique. Il trouve ça intéressant, la mécanique, l’endroit où passe le souffle. La portée gravée sur l’objet. Il aime l’originalité et l’authenticité de ce que l’on peut trouver dans les brocantes. La convivialité. Puis le prix attractif aussi. «On peut trouver de tout, à des prix raisonnables.»

© Garance Clavère-Fournier

Le marchandage, une pratique controversée

«Je déteste la brocante, parce que je viens à chaque fois», dit une vieille dame élégante, dans un éclat de rire doux. Son achalandage est placé sous le signe du chat.

Elle vient depuis 10, 15 ans à la brocante.

Qu’est-ce qui lui plaît?

«L’ambiance ici est agréable, je retrouve des amis. Puis pour mettre du beurre dans les épinards, pour améliorer l’ordinaire. Je vends des articles de collection, du brol aussi. Et ça va.» Petits problèmes: depuis le changement de monnaie, du franc à l’euro, «ça a changé beaucoup, on disait 5 francs 10 francs, maintenant on dit 1 euro et c’est de trop. Puis je dirais que je ne suis pas raciste, mais ‘ils’ ont quand même beaucoup cassé les prix. Ils essaient toujours. Je dis 20 euros, ils me répondent 5, je dis passez votre chemin».

Hop, sans transition, je fonce sur un monsieur à cheveux blancs très classe, pantalon beige et chemise blanche.

«Je ne m’intéresse pas à un achat.»

«C’est l’ambiance que vous cherchez?»

«Qui est inexistante, en l’espèce. Je ne cherche rien, à part des têtes connues. Et là, rien. Ah si, parfois je cherche un bouquin.»

Il a essayé une ou deux fois de tenir un stand, mais «c’est ennuyeux, c’est parfaitement casse-pieds. Et les marchandages sont vraiment exagérés».

Le tram sonne, probablement le terminus de notre tour d’horizon.

Sous l’effet du vent, les grappes de ballons font des courbettes aux passants.

Une brocanteuse, avenante, range sa marchandise au milieu des voitures et des camionnettes portes ouvertes qui engloutissent les derniers objets. Elle clôt cette chronique sur une note positive:

«On ne va pas se plaindre, les gens étaient sympathiques et de bonne humeur. Tous les vrais brocanteurs et les brocanteurs occasionnels sont heureux de reprendre du service. Pour certains, les recettes, même limitées, constituent un précieux revenu complémentaire. L’un dans l’autre, les gens sont satisfaits. C’était une très bonne journée, mais malheureusement la pluie a tout cassé, le rythme est fini, donc les gens ont remballé.»

Et le marchandage, alors, est-ce vraiment une plaie?

«Ça a toujours existé, ce n’est pas pire qu’avant.»

Dans le grand tour de la brocante, d’autres histoires nous ont été confiées sur la circulation des objets, la sérendipité et la convivialité. Merci aux bouches qui nous les ont racontées.

 

Marie-Eve Merckx

Marie-Eve Merckx

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