Le mois dernier, nous commentions le bilan des États généraux de la culture. On n’y parlait guère des centres culturels. Pourtant, à leur manière,les discussions en cours dans le secteur des centres culturels illustrent le débat sur l’avenir de la culture dans notre pays.
Le secteur des centres culturels est le fer de lance des dispositifs culturels de proximité, même si certains d’entre eux gèrent aussi des installations importantes commeà Namur, Charleroi ou Mons. Les centres culturels ont été peu concernés par les suites des États généraux. Les projets de contrats territoriaux et/outhématiques ont été abandonnés. La ministre de la Culture a plus ou moins établi un moratoire sur les nouvelles reconnaissances pour privilégier le maillagedu réseau. On se dirige aussi vers la fin des agences régionales mises en place au début du siècle par Rudy Demotte pour compenser le manque de dimension…régionale des centres régionaux.
La plupart des centres culturels arrivent en fin de contrat-programme au 31 décembre 2008. Les conséquences en termes de financement semblent problématiques. Selonl’Association des travailleurs des centres culturels (Astrac)1, environ trois quarts d’entre eux sont en demande de passage en catégorie supérieure etrépondent aux critères du décret pour exiger ce sésame qui leur ouvrirait les portes de subventions supérieures. Mais les choses ne sont pas si simples : laministre veut tenir compte de l’important refinancement de l’emploi via les accords du non-marchand afin de pousser les pouvoirs locaux à augmenter leurs investissements (laparité du financement entre la Communauté française et les pouvoirs locaux est une règle du décret). « Septante-cinq centres sont en demande de montéede catégorie et, à part quelques dossiers, selon le propre rapport de l’inspection du ministère, cette demande est légitime », explique Patrick Besure,président de l’Astrac et directeur du Centre culturel de Chiny. « Cette demande de revalorisation vient d’équipes qui travaillent dans cette perspective depuis plusieursannées », complète-t-il.
Inquiète de la grogne qui gagnait le secteur et les mandataires locaux, Fadila Laanan a cherché des solutions. Si elle continue d’insister sur l’importance des aidesaccordées par son département pour la valorisation des salaires des professionnels des centres culturels, elle n’imposera pas leur prise en compte dans la paritéobligatoire des pouvoirs locaux. D’après l’Astrac, elle s’est engagée fermement sur un budget d’un million trois cent mille euros dès 2009. « Maistous les calculs démontrent que cette somme sera nettement insuffisante. L’application du décret devrait coûter environ deux millions sept cent cinquante mille euros», précise Patrick Besure.
Autre son de cloche au cabinet de la ministre2 : « Nous rencontrons deux problèmes. D’abord, il faut chiffrer les demandes et tous les dossiers ne sont pasrentrés. On doit donc évaluer sans disposer d’informations tout à fait précises. Ensuite, on doit tenir compte de la situation des pouvoirs locaux qui ne sont pas enbonne santé financière et qui auront des difficultés à atteindre la parité. Entre 2004 et 2008, nous avons déjà fait beaucoup : les agencesrégionales, le financement de l’emploi, etc. (cf. encadré). Les tournées Arts et Vie sont aussi des aides structurelles. Nous sommes occupés à chiffrer toutcela pour objectiver la situation », précise Martine Lahaye, chef de cabinet adjointe de Fadila Laanan. Selon l’Astrac, la ministre s’est engagée à chercher unaccord avec le ministre du Budget sur la question pour répondre au secteur qui n’a pas caché sa mauvaise humeur en parlant de « l’étau général dela culture »…
Vers une réforme ?
« Les règles du décret sont assez claires. Il est peut-être temps de les changer, mais les passages de catégories doivent se faire auparavant », plaidePatrick Besure. Depuis des années, le paysage des centres culturels fait l’objet d’un débat. Ce n’est pas anormal. Le secteur a été créé ily a 38 ans. Pour sa part, le décret date de 1992. « Quand Rudy Demotte était ministre, on a cherché à dresser des pistes mais cette réflexion n’a pasabouti », nous explique Thierry Van Campenhout, directeur du Centre culturel Jacques Franck (CCJF)3 à Saint-Gilles depuis une bonne dizaine d’années. « Ladisparité du secteur est liée à son histoire. Parfois, on a un animateur-directeur qui est tout seul, sans salle dans un petit village de quatre ou cinq mille habitants. Parcomparaison, le Centre culturel Jacques Franck a 35 ans et dispose d’une salle de 320 places avec un riche contexte local. On vit donc des problèmes très différents», décrit-il.
Un centre culturel repose sur un partenariat entre la Communauté française et une commune. La parité du financement entre pouvoirs locaux et Communauté est de mise.« La parité est importante mais le décret ne l’impose que dans un sens : la commune doit au moins mettre autant que la Communauté. Imposer l’autre sens seraitintéressant : cela permettrait de tenir compte des dynamiques communales, sans nécessairement favoriser les communes riches car on constate que les communes pauvres investissentbeaucoup dans leur centre culturel », plaide le directeur saint-gillois.
Le directeur du Centre culturel régional de Charleroi4, Pierre Bolle, développe une autre approche : « Le décret de ’92 est très organisationnel.L’option défendue par ce décret est que la démocratie culturelle se chargera de définir les valeurs et la politique culturelle, le décret ne définitdonc rien en la matière. Selon moi, il faut y intégrer la valeur artistique. Je ne renierais pas la mission d’éduquer à la culture et la sensibilisation sur le longterme. Le principal réside dans les valeurs », affirme-t-il.
Un pouvoir communal dilué ?
Thierry Van Campenhout, qui est aussi conseiller communal PS depuis 1994, focalise sur les relations avec la commune. « Pour la population, le centre culturel, c’est la commune ! Etnotre travail est fort axé sur celle-ci même si environ 40 % de notre public vient de l’extérieur, ce qui est normal vu le contexte urbain. Au niveau du financement, lasituation est assez équilibrée : la commune nous verse 272 000 euros, la Cocof 35 000 euros et la Communauté 166 000 euros. Nous bénéficions aussi d’aidesà l’emploi d’Actiris pour un montant approximatif de 80 000 euros », nous explique-t-il.
Pour les communes, un centre culturel est un enjeu politique. Leur gestion est paritaire entre repré
sentants du monde public et du privé. Les représentants du privésont essentiellement des associations ou des groupes d’artistes. « Plusieurs pouvoirs publics sont impliqués. L’opposition y dispose d’administrateurs en vertu du pacteculturel. En investissant dans un centre culturel, la commune dilue en quelque sorte son pouvoir dans une structure plus large. Le décret parle d’ailleurs de centre local et non communal», explique l’animateur-directeur tout en subtilité.
Pierre Bolle nuance ce point de vue. « Les tendances populistes existent. On manque d’hommes politiques qui ont une vision en matière culturelle. La dilution du pouvoir communalest relative. Mon collègue de Huy n’a pas toujours facile avec sa bourgmestre », illustre-t-il. Lui-même a eu quelques démêlés avec son autoritécommunale… Mais on doit constater qu’il y a survécu, tout comme le directeur de Huy. Le modèle semble donc plutôt solide et démocratique.
Les missions poussent au grand écart
Les missions des centres culturels reconnus5 sont très larges et sont un point de rencontre de logiques diverses : celles des différents pouvoirs publics, desassociations, des artistes, des démarches participatives et citoyennes. « Cela fait beaucoup. C’est un grand écart permanent. À Bruxelles où tout est assezproche, cela provoque un tiraillement entre la polyvalence et la spécialisation », souligne Thierry Van Campenhout. Ainsi l’Espace Senghor à Etterbeek, travaille-t-il surles musiques ethniques, le CCJF sur le théâtre jeune public et la danse contemporaine, et Wolu-culture sur les arts plastiques. « Entre centres bruxellois, on essaie d’avoirune logique de coordination. Mais en pratique, on constate que rien ne nous encourage à cela. Personnellement, je m’investis aussi dans le Réseau des Arts car l’enjeu de larelation entre les Arts de la scène et les centres culturels est important pour une meilleure interaction dans les politiques de création et de diffusion », soutient-il.
Et puis les réalités locales sont souvent très différentes. « Dans son dossier de présentation, le centre culturel de Silly parlait des problèmesd’intégration dans la commune. Quelle intégration ? Celle des Bruxellois qui viennent s’établir là-bas », lance le directeur saint-gillois provoquant ungrand éclat de rire. Il est vrai qu’avec les 143 nationalités présentes sur son territoire, Saint-Gilles vit d’autres problèmesd’intégration…
La coordination des politiques de programmation tient particulièrement à cœur à Pierre Bolle. « Le paysage culturel de Charleroi s’est construit autour dedeux pôles : le Palais des Beaux-arts et l’Eden. En 1991, à mon arrivée à la direction de la Maison de la Culture, les bâtiments du boulevard Audent nousoffraient des bureaux et une petite salle de réunion », décrit-il. Elle se concentrait sur la vie associative, laissant au PBA le soin de concentrer la programmation artistiqueà Charleroi. « J’ai lancé, petit à petit, une programmation alternative pour laquelle j’avais besoin d’une infrastructure. C’est ainsi qu’on arécupéré l’Eden, libéré par la Province. Je me souviens de nos premiers spectacles : Noces de sang, un Garcia Lorca mis en scène parFrédéric Dussenne et un concert de Stellla. Puis on a lancé le festival bis-Art et progressivement, la brasserie est devenue un lieu branché. En quelques années, ona constitué un lieu de notre temps ! », raconte-t-il, rappelant aussi le réaménagement des locaux en 1998 et la reconnaissance comme centre culturel régional decatégorie 1 en 1999. « Cela a doublé nos moyens d’action. Parallèlement, l’arrivée de Frédéric Flamand à Charleroi avait aussichangé le paysage. Il a choisi de travailler avec nous et son installation aux Écuries a renforcé les infrastructures de création. »
Depuis la fin 2001, Pierre Bolle occupe la direction des deux institutions. « J’avais pour objectif de coordonner une offre culturelle à Charleroi. Mon ambition était defidéliser le public sur la base d’une ligne culturelle unique. En 2001, le PBA gardait encore 220 abonnés et l’Eden en comptait 1 600. En 2007, nous en étionsà 4 450 et l’objectif d’arriver à 6 400 d’ici quelques saisons m’apparaît accessible », explique-t-il. Quant aux deux institutions, elles n’ontpas fusionné. « Au delà de ma volonté propre, il faut une phase politique pour fusionner. Cela demande une cohésion qui est occupée à s’installerau nouveau collège. D’autre part, les résultats sont là. Les économies d’échelle ont même permis de réinvestir dansl’éducation permanente et l’associatif. L’infrastructure a aussi permis des choses : la résidence du théâtre de la Guimbarde et l’hébergementdu CEC Couleur Quartier », soutient le directeur aux deux casquettes.
Enfin, les centres culturels régionaux ont souvent été critiqués pour leur manque de travail régional. À leur décharge, ils gèrent souventde grosses infrastructures. C’est pourquoi le ministère a créé des agences régionales il y a quelques années, avant de changer d’avis en décidantleur suppression. « Les agences ont été créées mais leurs moyens ont tout de suite été rabotés, précise Pierre Bolle. On a pu engagerdeux ETP. L’importance était le lien entre l’agence et le centre culturel. Si les agences sont supprimées, mais les moyens réinvestis, cela ne changera rien »,conclut-il.
Quelles perspectives ?
Si le conflit récent s’oriente vers une solution qui devrait nécessiter quelques semaines de discussion supplémentaires, la question risque de se reposer rapidement. Lemodèle a-t-il fait son temps ? « Des aménagements devraient se mettre en place. La classification ne tient pas compte de la population pour les centres locaux alors qu’ellele fait pour les régionaux. Il faudrait un critère de revenu moyen, une espèce de discrimination positive pour les communes défavorisées. Et la différenceentre local et régional ne veut plus rien dire, alors pourquoi ne pas créer d’autres catégories : des centres culturels urbains, des centres culturels de quartier, descentres culturels ruraux, etc. Les réalités sont tellement disparates », soutient Thierry Van Campenhout.
Pierre Bolle envisage la même chose sur le plan de la gestion. « Ce n’est plus possible que des structures aussi différentes dans leurs réalités soientgérées selon le même prescrit légal », affirme-t-il.
Renforcer le secteur nécessitera aussi de renforcer sa gestion au ministère. Le service n’y tourne pas très bien. Depuis le départ à la ret
raite de laregrettée Thérèse Mangot, le service n’a pas trouvé de stabilité à sa tête.
Au ministère, on dit de plus en plus qu’après avoir établi le réseau, on veut réussir le maillage. Thierry Van Campenhout est d’accord mais ildénonce l’inertie. « On parle souvent de maillage mais à la Commission, on analyse les dossiers un par un, sans lien. On travaille à une cartographie depuis desannées mais elle n’est pas prête. L’intercommunalisation de certains centres culturels locaux, sur le modèle des centres culturels régionaux dont plusieurscommunes sont membres, est aussi une piste de réforme. D’autant plus qu’un moratoire a été décrété. Forest veut un centre culturel mais lemoratoire les en empêchera. On pourrait envisager un rapprochement », glisse le saint-gillois à l’attention des autorités forestoises. Un appel discret qui sediscutera entre politiques communaux.
Reste à conclure. On aurait aimé en parler avec le président de la Commission des centres culturels (la 3C), Marc Baeken, directeur du centre culturel de Dinant mais il adécliné. Les centres culturels sont des opérateurs centraux de tout dispositif culturel. Leur fonctionnement semble généralement sain. Mais une réformesemble inévitable à terme. La valse-hésitation autour de la création/suppression des agences montre que les options sont nombreuses. Il s’agira peut-être duchantier principal du prochain ministre de la Culture…
Apports du non marchand depuis 2004 :
Source : cabinet de la ministre de la Culture.
1. Sans être un syndicat, l’Astrac est historiquement l’association des travailleurs des centres culturels. Il se présente désormais comme le réseau descentres culturels en Communauté française. Site : http://www.astrac.be. Il existe une autre association, l’ACCréunissant des représentants des conseils d’administration. Site : http://www.centres-culturels.be
2. Cabinet de Fadila Laanan:
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 213 17 00
– courriel : info.laanan@cfwb.be
– site : www.laanan.cfwb.be
3. Centre culturel Jacques Franck:
– adresse : chaussée de Waterloo, 94 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 538 90 20
– site : www.ccjf.be
4. Centre culturel régional de Charleroi L’Eden:
– adresse : bd Jacques Bertrand, 3 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 20 29 99
– site : http://www.charleroi-culture.be
5. Certaines structures utilisent le nom de centre culturel sans être des centres reconnus. Cela va de petites structures wallonnes à de grosses infrastructures communales (Uccle,Woluwe-Saint-Pierre, Auderghem) ayant leur propre politique de programmation et de gestion.