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Ceci n'est pas une salle de jeux

En 2010, 2850 enfants ont été hébergés avec leurs parents dans les maisons d’accueil bruxelloises et wallonnes. Reportage à Libramont.

08-06-2012 Alter Échos n° 340

En 2010, 2850 enfants ont été hébergés avec leurs parents dans les maisons d’accueil bruxelloises et wallonnes. Des structures qui doivent redoubler d’imagination pourprendre en considération les besoins de ce très jeune public. A Libramont, l’Archée a créé un espace symbolique où le jeu sert de prétexte pourcomprendre.

Arthur, trois ans, affiche un air tout penaud au milieu de ses crayons de couleur. Dans quelques jours, le petit garçon quittera la maison d’accueil où il a séjournéavec sa mère pendant plusieurs mois pour être placé en institution. Marie et Julie décorent avec lui une boîte en carton pour ranger ses souvenirs. Pour l’essentiel,des clichés de sa maman et de son passage à l’Archée1. « Et là, c’est le centre où tu vas aller », lui explique avec douceur unedes deux assistantes sociales en collant sur le couvercle la photo d’un service d’accueil et d’aide éducative situé à Yvoir.

Ancienne maison maternelle, devenue officiellement « maison d’accueil pour femmes seules avec enfants », quand la compétence est passée du giron de l’ONEà celui de la Région wallonne, l’Archée héberge en permanence une quinzaine de mamans. « Ce sont des femmes qui, pour la plupart, vivent des situations deviolence conjugale sur fond de misère sociale », confie la directrice, Vinciane Lenoir. Dernièrement, la maison a logé une grand-mère avec sa fille et son petitbébé qui erraient dans les bois depuis quatre jours ! Trois générations fuyant la brutalité d’un homme colérique. « Les problématiquesrencontrées au sein d’une même famille sont souvent multiples : endettement, illettrisme, alcoolisme, addiction aux jeux… », énumère Vinciane Lenoir. Parailleurs, la commune est confrontée à une petite crise du logement. La présence d’habitants qui traversent tous les jours la frontière pour aller travailler au Luxembourg,où les salaires sont plus attractifs, fait grimper les loyers en flèche. Dans le centre de Libramont, il faut compter pas moins de 550 euros pour un appartement d’une chambre. Leslocations sont plus abordables dans les villages alentour. « Mais alors, on tombe dans les problèmes de mobilité et d’accès à l’emploi », commente ladirectrice de l’Archée. Qui souligne au passage à quel point la région est très mal desservie en transports publics.

De la cave au verger

L’année passée, la maison d’accueil a obtenu un budget pour agrandir ses murs. L’équipe et la direction ont profité de cette rénovation pour créer leVerger. Les anciennes caves ont été métamorphosées en une pièce cosy et lumineuse. Les enfants aiment s’installer dans les coussins confortables posésà même le sol. Dans un coin, un grand bac déborde de nounours. Pendant les ateliers, les enfants y piochent une peluche avec laquelle ils miment des histoires. Leurs histoires.« Le Verger n’est pas une salle de jeux, précise la directrice. C’est un espace symbolique. L’enfant est invité à participer à des ateliers, avec ou sans samère. L’enjeu est de les soutenir dans deux moments délicats que sont l’arrivée et le départ en maison d’accueil. »

Toujours beaucoup d’enfants pauvres dans les pays riches

Les enfants ne sont pas épargnés par la crise. C’est en gros la leçon que l’on peut tirer du dernier rapport du bureau de recherche de l’Unicef intitulé« Mesurer la pauvreté infantile ».

Ce rapport compile les données disponibles dans les pays de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique).

Dans ces pays dits « développés », la pauvreté infantile n’est pas un épiphénomène. Pour l’Unicef, le rapport révèlesa « grande ampleur ». Dans les trente-cinq pays développés où ont été recueillies les données, on compte 30 millions d’enfantspauvres. Au sein de l’Union européenne (à laquelle on ajoute l’Islande et la Norvège), ils sont 13 millions.

Pour obtenir ces chiffres, l’Unicef a utilisé deux méthodes de calcul.

La première évalue la « pauvreté relative ». Il s’agit tout simplement du pourcentage d’enfants vivant en dessous du seuil de pauvreté qui, pourrappel, correspond au nombre de personnes ne disposant pas de 50 % du revenu médian disponible par ménage dans le pays étudié. En Belgique, 10,2 % d’enfants sontsoumis à ce « risque de pauvreté », contre 7,2 % en Europe. Dans notre pays, c’est la situation des enfants de familles immigrées qui estparticulièrement préoccupante avec 19,6 % d’enfants sous le seuil de pauvreté (contre 15,9 % dans l’Union européenne).

L’autre approche de l’Unicef concerne « l’indice de privation des enfants ». Ce calcul, à partir de données fournies par l’Union européenne, viseà comparer l’accès des enfants à 14 variables essentielles à leur quotidien. Pour l’Unicef, est démuni un enfant qui n’a pas accès à au moins 2 des 14variables de base qui sont, entre autres : la consommation de trois repas par jour, un endroit calme pour faire ses devoirs, une connexion Internet, disposer d’un budget vêtementssuffisant etc.

Pas de surprise, les pays du nord de l’Europe présentent une situation quasi idyllique avec moins de 3 % de « taux de privation » alors qu’en Roumanie ce tauxatteint 70 %. En Belgique, il est de 10 %, dont 5,9 % dans la catégorie « Budget vêtements », 5,4 % « accès àInternet » et 7,2 % « argent de poche ».

L’Unicef souligne l’importance des choix politiques opérés par les Etats pour faire reculer la pauvreté infantile : « Certains pays réussissent beaucoupmieux que d’autres à faire face au problème de la privation des enfants », peut-on lire dans le rapport. L’organisme onusien lance un avertissement à prendre ausérieux : « Ne pas protéger les enfants face à la crise économique constitue l’une des erreurs les plus onéreuses qu’une sociétépuisse commettre. »

CVT

« Récemment, un enfant nous a dit que sa maman lui avait expliqué qu’ils étaient ici en vacances », s’étonne Marie, l’assistante sociale. Leconstat s’est confirmé avec la création du Verger : les mamans éprouvent de grandes difficultés à expliquer à leurs enfants les raisons de leurprésence à l’Archée. Parce qu’elles les jugent trop jeunes pour comprendre, que c’est trop douloureux ou tout simplement, qu’elles n’y pensent pas. « Certaines femmesont connu un parcours fait d’errance. Elles-mêmes ont parfois vécu en
maison d’accueil. Pour elles, ça fait partie de la vie. C’est leur normalité », analyseVinciane Lenoir.

Si le passage de la vie familiale à la vie en collectivité n’est pas toujours aisé, les enfants éprouvent souvent un certain soulagement quand ils arrivent àl’Archée. « Ils ont été très secoués et peuvent vivre le séjour comme quelque chose de rassurant. Quand on leur annonce que c’est fini, c’estsouvent l’inquiétude. » D’autant plus que, dans près d’un cas sur sept, ils repartiront sans maman ! « Dans le temps, une déléguée desservices d’aide à la jeunesse venait chercher l’enfant. Bien sûr, on leur expliquait où ils allaient, mais cela se faisait de façon informelle. Cela pouvait être uneconversation dans la voiture de la déléguée. On avait parfois l’impression que ces enfants étaient partis trop vite ».

Parent, enfant, maison d’accueil, un difficile ménage à trois

31 % des personnes accueillies en maison d’accueil sont des enfants. Et 60 % d’entre eux ont moins de six ans. Le constat n’est pas vraiment neuf. Ce qui est nouveau en revanche,c’est la place que l’enfant a acquise dans nos sociétés, et par la même, dans ces structures. « Longtemps considéré comme « un bagage » accompagnantl’adulte, l’enfant occupe aujourd’hui une place centrale dans le travail d’accompagnement des familles », observe l’Association des maisons d’accueil(AMA)2, qui vient de publier une recherche-action : « Des familles sans chez soi : quel accompagnement des enfants et des parents en maisonsd’accueil ? ».

La plupart des psychologues considèrent aujourd’hui que, pour son bon développement, un jeune enfant a besoin de nouer des relations sécurisantes avec les adultes et plusparticulièrement ses parents. Que c’est la force de ces liens qui lui donnera plus tard la confiance pour avancer. A la lumière de ces théories, les travailleurs des maisonsd’accueil ont développé une série de pratiques autour du soutien à la parentalité. « Rare lieu d’hébergement social qui accueille à la foisparents et enfants, la maison d’accueil propose un cadre propice au développement d’initiatives visant à les soutenir dans une dynamique de réinsertion », estiment lesauteurs. Si on se place du point de vue des parents, le passage de la vie familiale à la collectivité peut toutefois être vécu comme une étape fragilisante. Ceux-cipeuvent avoir l’impression que leurs comportements sont scrutés, que leurs pratiques éducatives sont soumises à l’approbation d’autrui. « Il arrive que lesinterventions des professionnels dans le champ de l’éducation et de la parentalité soient perçues comme blessantes, désobligeantes ou infantilisantes. Autant desentiments qui ne sont pas sans affecter l’estime et la représentation de soi des personnes hébergées », écrivent les auteurs. Dont la conclusion setermine sur un questionnement : « Quelle est la fonction éducative que les institutions peuvent et doivent exercer envers les enfants et leurs familles ? »

1. L’Archée :
– adresse : rue Dr Lomry, 8 à 6800 Libramont
– tél. : 061 22 47 13
– courriel : archee.libramont@skynet.be

2. Association des maisons d’accueil :
– adresse : rue Gheude, 49 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 513 62 25
– courriel : ama@ama.be
– site : www.ama.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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