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Carton rouge pour les Contrats de ville et contrats de logement

Début 2008, la Cour des comptes1 rendait public un rapport sur les Contrats de ville et contrats de logement 2005-20072, menés dans le cadre de la Politiquefédérale des grandes villes. Manque de transparence et risque de « gentrification » sont pointés du doigt.

15-02-2008 Alter Échos n° 245

Début 2008, la Cour des comptes1 rendait public un rapport sur les Contrats de ville et contrats de logement 2005-20072, menés dans le cadre de la Politiquefédérale des grandes villes. Manque de transparence et risque de « gentrification » sont pointés du doigt.

Au total, la Cour des comptes a consacré soixante-huit pages à l’examen des Contrats de ville et contrats de logement. Elle rappelle que ces contrats visent à améliorerles conditions de vie et de logement dans des quartiers défavorisés. Plus précisément, en 2005-2007, « les contrats de ville ont permis aux villes et communes definancer divers projets, tels que des maisons de quartier, l’aménagement de rues et de places, des gardiens de parc ou des cours de langues pour les primo-arrivants. Les contrats delogement servent à acheter ou à rénover des habitations (vente ou location) destinées à des titulaires de revenus faibles ou moyens. »
Si la Cour constate que les « projets financés par les villes et les communes à l’aide de subsides fédéraux correspondent presque toujours aux objectifs de lapolitique des grandes villes », il subsiste néanmoins une série de problèmes.

Manque de transparence

La Cour déplore que seules les communes directement concernées aient été associées à cette politique. Les régions et associations de villes etcommunes ont été ignorées, alors qu’elles mènent aussi des politiques de rénovation urbaine. Qui plus est, les critères de sélection de projets nesont pas définis. Il y aussi un manque de transparence manifeste quant à la sélection des villes et communes, tout comme au niveau de la répartition des moyens. «Les critères de sélection et de répartition n’ont pas toujours été pertinents, toutes les villes et communes n’ont pas été soumisesà des critères identiques et, dans quelques cas, ces derniers n’ont pas été appliqués de manière correcte », pointe la Cour des comptes.Dès lors, « les moyens n’ont pas toujours été accordés aux villes et aux communes qui en avaient le plus besoin, au regard des objectifs de la politique desgrandes villes. » Par ailleurs, il apparaît que certains projets financés relèvent du fonctionnement normal des communes. Il y aurait donc eu un effet d’aubaine.

Mixité sociale

Si les contrats de logement sont censés favoriser l’accès au logement des revenus les plus faibles, rien ne garantit que ce soit le cas. L’accent est mis sur la mixité socialedans nombre de projets. Dans les faits, la Cour des comptes note que « la notion de mixité sociale s’avère être un concept très vague. Sa significationau niveau communal est diverse : il peut s’agir d’un mélange de différentes catégories salariales, nationalités, générations,propriétaires/locataires, etc. Le plus souvent, toutefois, il est question d’attirer des classes moyennes dans des quartiers défavorisés pour y créer unemixité sociale (il est rarement préconisé de promouvoir la mixité sociale dans des quartiers plus aisés) […] Même en souscrivant àl’idée que la création d’une mixité sociale est susceptible d’apporter une solution à des problèmes sociaux, il faut – dans le cadred’une
politique axée sur les défavorisés – prendre sérieusement en considération les effets négatifs de la gentrification : des augmentations de prixpeuvent conduire à l’éviction hors de ces quartiers des titulaires de revenus faibles. »

Retour d’un concept-valise

Tout ça n’est pas sans rappeler les constats dressés par Françoise Noël, directrice du Centre de recherches urbaines de l’ULB dans une interview accordée en 2003à Alter Échos, où elle expliquait que « la mixité sociale est une notion consensuelle et un concept-valise ».
« Pour certains – et les gens sont de bonne foi –, la ségrégation urbaine est perçue comme intolérable, ils ne peuvent accepter que des personnesà statuts différents vivent séparées, observe-t-elle. Ils estiment que, si on ne combat pas cette ségrégation, cela risque de déboucher sur desconflits et des tensions ingérables. Implicitement, on pense que la mixité, c’est la paix sociale. On attribue aussi – surtout dans le logement – à la mixitésociale une sorte de romantisme social. En mélangeant des pauvres et des riches, on élève la dignité des pauvres. Ce mélange va permettre aux pauvres d’avoir desmodèles à imiter […] Or, on le sait, dans nos sociétés, lorsque l’on met en proximité des pauvres avec des riches, ça ne marche pas. Le groupe dominants’approprie les lieux à son profit au détriment du faible. C’est ce qu’on observe dans les cas de réhabilitation urbaine. »

Dès lors, pourquoi favoriser la mixité ? « Parce que la visibilité des différences sociales est intolérable dans une société où l’onprône l’égalité, soulignait alors notre interlocutrice. Historiquement, la ségrégation, les ghettos sont vus de manière négative. Du coup, il fautlutter contre ces différenciations. Mais les origines de celles-ci sont économiques et sociales et non liées à l’espace. Comme la ville est marchande, il est logique queles exclus se concentrent dans des endroits pauvres, donc dans le logement social. Mais comme on ne maîtrise pas toutes les logiques, on cherche des solutions spatiales. Et ce sont toujours dessolutions unilatérales qui visent à injecter du riche chez les pauvres, pas l’inverse. La ségrégation est vue dans un seul sens. Donc, c’est la concentration des pauvresqui pose problème. Personne ne lutte contre la concentration de riches. Dans la mixité, qu’on le veuille ou non – et il n’y a rien de machiavélique chez ceux qui laprônent – on veut rendre moins visibles les pauvres dans les villes. »

1. Cour des comptes :
– adresse : rue de la Régence, 2 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 551 81 11 – site : http://www.ccrek.be
2. La politique fédérale des grandes villes. Examen des contrats de ville et contrats de logement 2005-2007. Rapport de la Cour des comptes – Rapporttéléchargeable sur le site de la Cour des comptes.

Baudouin Massart

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