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Regard critique · Justice sociale

Chronique de Maître Corbeau

À quoi sert (vraiment) la prison?

Depuis 2014, sont organisées en Belgique des Journées nationales de la prison dans le but d’interroger le sens et le rôle de la prison. Elles ont lieu cette année du 16 novembre au 2 décembre (pour le programme: www.jnp-ngd.be). Le thème de cette année 2018: «À quoi sert (vraiment) la prison?» Une question qui se pose tous les jours dans les prétoires et parfois de manière plus mordante que d’autres.

© Flickrcc meesh

Depuis 2014 sont organisées en Belgique des Journées nationales de la prison dans le but d’interroger le sens et le rôle de la prison. Elles ont lieu cette année du 16 novembre au 2 décembre (pour le programme: www.jnp-ngd.be). Le thème de cette année 2018: «À quoi sert (vraiment) la prison?» Une question qui se pose tous les jours dans les prétoires et parfois de manière plus mordante que d’autres.

Palais de justice, place Poelaert. 50e chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Bruxelles. 9 h tapantes. L’audience débute. La Cour prend place. Le public dans la salle d’audience est prié de se lever, puis de se rasseoir. La greffière apostrophe un quidam qui pénètre dans la salle, casquette sur le crâne. «Ôtez votre couvre-chef, Monsieur. Par respect pour la Cour.» Celui-ci s’exécute en vitesse. L’atmosphère dans la salle d’audience est un peu électrique.

Comme d’habitude, malgré l’archaïsme du procédé, l’ensemble des protagonistes sont conviés à 9 h, sans qu’un ordre de passage ait été donné préalablement. Sur les bancs face à la Cour, une kyrielle de robes noires à bavette plissée se partagent les premières places, conversent en attendant le début de l’audience. Le juge de cette 50e correctionnelle, généralement extrêmement calme, se révèle nerveux ce matin, demande le silence et s’impatiente devant les bavardages et les allées et venues des avocats dans la salle. On procède à l’appel du rôle, soit plus simplement le programme de la matinée. Il y a des personnes présentes pour entendre la sentence portée par le magistrat. D’autres qui, les traits tendus, ne savent pas trop à quoi s’attendre. Pour les avocats, tout cela est pure routine.

Visiblement, vu la quantité d’avocats présents, un gros dossier a été fixé au rôle ce matin. Mais très vite il semble que l’affaire ne pourra pas être plaidée, faute de temps et de préparation du dossier. Plusieurs avocats demandent une remise et un calendrier pour les dépôts des conclusions (les éléments de défense des uns et des autres), puis pour les plaidoiries. Le juge prévoit le premier délai deux semaines plus tard. Un avocat est invité à s’exprimer: «Monsieur le Président, il y a dix cartons dans cette affaire.» Pas des PDF ou des documents Word, mais bien des cartons et des dizaines de kilos de papiers que chaque avocat est censé consulter pour défendre au mieux son client. Le juge octroie finalement des délais qui semblent plus raisonnables.

Au 1er janvier 2017, elles n’étaient que 439 à être incarcérées, soit 4,33% de l’ensemble des détenus en Belgique.

Ce n’est finalement que vers 9 h 55 que l’audience débute vraiment. Une affaire durant cette matinée retiendra particulièrement l’attention: en effet elle concerne une femme, ce qui est assez rare. Il faut savoir qu’au 1er janvier 2017, elles n’étaient que 439 à être incarcérées, soit 4,33% de l’ensemble des détenus en Belgique. La prévenue est amenée menottée et encadrée de trois agents pénitentiaires. La soixantaine échevelée, vêtue d’une robe qui tient plus de la couverture que du vêtement de ville, l’air hagard, la prévenue ressemble à une sans-domicile fixe qu’on aurait réveillée en sursaut et amenée là sans ménagement. Elle est poursuivie pour coups et blessures sur la personne de son mari, en juin dernier. À la suite d’une dispute, entamée dans leur appartement, puis poursuivie dans un parc, elle aurait empoigné un bâton dans un buisson et frappé son compagnon. Elle ne conteste pas les faits, les coups portés n’ont pourtant pas été constatés par un médecin. Le juge interroge la prévenue: «Avez-vous des enfants?» –«Non», répond laconiquement la dame. –«Avez-vous toujours des contacts avec votre époux?» –«Oui, il vient me rendre visite à la prison et je l’appelle au téléphone.» –«Quand vous quitterez la prison, n’avez-vous pas peur de retomber dans l’alcoolisme? Vous avez fait plusieurs rechutes par le passé.» –«J’ai été sevrée en prison et, depuis quatre mois, je reçois une aide précieuse du service psychosocial (SPS) et de mon avocate.»

Des faits de même nature lui ont déjà été reprochés en 2010, mais sans suite. L’an dernier, c’est le mari qui a été condamné pour des faits identiques à son encontre.

Le juge énumère ensuite certains éléments du rapport du psychiatre: «La prévenue ne souffrait pas de trouble mental au moment des faits; elle n’est pas un danger pour la société.» Dans le même temps, le rapport fait état de débilité légère d’origine affective. Autre élément à décharge: son casier judiciaire est vierge.

L’avocate de cette dame entame alors sa plaidoirie: «C’est un jour spécial aujourd’hui pour ma cliente: elle fête aujourd’hui ses 56 ans et c’est aussi la première fois qu’elle comparaît devant un tribunal. Vous pensez bien que c’est marquant dans une vie. Depuis juin, ma cliente est en préventive et, quand je l’ai rencontrée, elle était désespérée. Elle est aidée par le SPS et le docteur de la prison de Berkendael, mais ce qu’il lui faut, c’est une possibilité de séjourner dans un milieu d’accueil hospitalier pour soigner son addiction et la stabiliser. Après moult recherches, j’ai enfin trouvé un médecin psychiatre qui accepte de la prendre en charge à sa sortie et ensuite, il est question de lui permettre de résider en appartement supervisé. Moi-même et son médiateur de dettes qui la suit également, nous nous engageons à la conduire à l’hôpital, dès sa sortie de prison. Madame n’a rien, aucun effet personnel, aucun vêtement: elle est le produit d’une certaine misère urbaine et souffre d’une fragilité historique sur laquelle je ne m’appesantirai pas par respect pour ma cliente, mais qui est le fait de violences, de mauvais traitements, de souffrances telles que la faim… Depuis peu, elle s’est mise au tricot pour avoir une activité occupationnelle et y voit un engagement pour une société plus durable. Je vous demande donc un sursis probatoire pour la peine de quinze mois de prison demandée par le procureur du Roi. Un sursis assorti de la condition de se soigner, à laquelle il faudrait peut-être associer le mari. Ma cliente n’a rien à faire en prison. Elle vit un enfer depuis quatre mois, mais votre décision pourrait être un purgatoire et pourquoi pas envisager un paradis, une nouvelle vie? Ce qui compte maintenant, c’est de remonter la pente. J’ai dit et vous remercie.»

Comme c’est toujours le cas, le juge annonce sa décision pour une quinzaine de jours plus tard. À cette annonce, la dame gémit: «On ne peut pas aller à l’hôpital aujourd’hui? Je ne veux pas retourner en prison.» Le juge répond que, 15 jours, ça passe vite et que cela lui laissera le temps de préparer sa sortie…

 

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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