L’étonnant paradoxe des difficultés de recrutement en période de chômage élevé était l’objet des réflexions des Alliances pour ledéveloppement durable organisées par Écolo1 le 1er mars dernier à Loverval (Charleroi). Invité de marque : Jacques Freyssinet2, directeur de l’Ires.
Les résultats d’un sondage auprès des consultants en intérim sur les «fonctions critiques» furent présentés aux participants3. Cette étuderelevait que les agences de travail intérimaire connaissaient des difficultés à recruter des candidats pour certaines fonctions (secrétaires de direction,électromécaniciens, par exemple) essentiellement en raison d’un manque (« pénurie ») de candidats ou, plus encore, du fait de la formation inadéquate des candidats.Selon cette analyse, les conditions de travail n’expliqueraient que 3% des difficultés de recrutement.
La plupart des intervenants de la journée ont veillé à distinguer la notion de pénurie de celle de difficultés de recrutement. La « difficulté » ne serait pasobjective, mais relative à celui qui l’énonce.
Au cours d’un exposé très technique, Béatrice Van Haeperen, attachée scientifique au Service des études et de la statistique de la Région wallonne etchargée de cours à l’UCL, a montré que les tensions sur le marché du travail étaient multiples et que les causes de celles-ci pouvaient être deplusieurs ordres. La flexibilité croissante des contrats, les conditions de travail, les méthodes de recrutement, les contraintes de mobilité sont autant de variablesexplicatives des difficultés de recrutement des entreprises.
Dans une mise en perspective critique des discussions de la matinée, Matéo Alaluf a fustigé l’objectif d’élévation du taux d’emploi et ladégradation des conditions de travail. Il voit dans le discours sur les pénuries de main-d’œuvre un moyen de faire accepter des conditions de travail défavorables.Analyser les difficultés de recrutement à partir des besoins de l’intérim revient, ajoute-t-il, à banaliser le travail précaire.
ée débat entre partenaires sociaux a mis en évidence les différentes conceptions du plein emploi. La question des conditions et du sens du travail était au centrede la controverse, tout comme lors des différents ateliers organisés.
Du côté de la demande des employeurs
En fin de journée, Jacques Freyssinet a situé le débat dans le contexte européen. Il a relevé les similitudes, dans les différents pays de l’Union,entre les discours sur les pénuries de main-d’œuvre et sur leurs causes. Ainsi, la dégradation des conditiüns d’emploi (temps partiel et bas salaires notamment)induit des trappes à l’inactivité. D’autres explications aux difficultés de recrutement ont été avancées. Les politiques de réductiond’effectifs des entreprises les ont rendues moins aptes à prendre en compte rapidement les variations de la production ou les évolutions technologiques. Les modes de recrutement,et notamment la difficulté de formuler une demande précise, ont également été soulignés. Enfin, la question de la formation n’a pas étééludée. Si Jacques Freyssinet a rejeté le discours adéquationniste (selon lequel la formation doit être développée « just in time » en fonction desexigences des employeurs), il a plaidé en faveur de plus d’ouverture de l’accès à la formation continue, trop souvent réservée aux cadres et auxsalariés les plus stables au sein des entreprises.
Les réflexions de la journée ont montré que les discours sur les pénuries de main-d’œuvre n’étaient pas sans connotation idéologique. PaulTimmermans, député vert et l’un des organisateurs de la journée, a conclu les travaux en estimant que la notion de « pénurie de main-d’œuvre étaità rayer de notre vocabulaire». Reste donc aux parlementaires à s’appuyer sur ces réflexions critiques dans leur rôle de suivi de la mise en œuvre despolitiques d’emploi et de formation.
1 Tél. : 081 22 78 71, e-mail : alliances@ecolo.be
2 Institut de Recherches économiques et sociales (Paris), tél. : +33 1 48 15 88 92. L’Ires est un centre de recherches créé conjointement par les syndicatsfrançais. Freyssinet a notamment écrit Le chômage dans la collection de poche « Repères » des éditions La Découverte, réédité à denombreuses reprises depuis 1984.
3 Cefora-Upedi, Fonctions critiques et besoins de formation. Enquête auprès des consultants en intérim, avril 2001. Cette enquête est réactualisée chaqueannée.
Archives
"Pénuries de main-d'oeuvre : marchés trop rigides ou entreprises trop peu flexibles?"
Agence Alter
18-03-2002
Alter Échos n° 116
Agence Alter
Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !
Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web.
Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus,
notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité,
et pour répondre à notre mission d'éducation permanente.
Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous !
Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)
Sur le même sujet
-
Emploi/formation
Conciergerie sociale: gardienne du droit à l’emploi
-
Emploi/formation
Activation, le chômage en mode déconstruction
-
Emploi/formation
«Métiers en pénurie? Les entreprises ont un rôle clé à jouer et nous allons les aider»
-
L'image
Retrouver la «vie normale»