Un tiers-lieu culturel sans être coincé sur le culturel

La particularité du Phare, c’est non seulement d’avoir rassemblé en un seul lieu ces trois entités importantes pour les habitants d’Andenne, mais surtout de les avoir fait travailler ensemble. Cette dynamique collaborative, c’est le travail de l’asbl Le Phare dont le directeur se définit comme «l’agent liant» de cette coconstruction. «Quand il y a eu l’appel à projets pour les tiers-lieux en milieu rural, je me suis dit que c’était l’occasion à saisir, explique Thomas Kempeneers. Nous ne sommes pas un tiers-lieu de coworking ni un tiers-lieu rural qui peut faire épicerie-bistrot-bureau de poste, nous sommes un tiers-lieu culturel. Mais nous n’allons pas rester ‘coincé’ sur le culturel ni cumuler ou superposer les fonctions. On va gratter pour ouvrir, s’ouvrir vers les autres associations.» Et le directeur d’évoquer son envie d’attirer les publics les plus diversifiés possible. Déjà les trois entités présentes au Phare, l’espace muséal, l’office du tourisme et la bibliothèque font se croiser ces publics, mais le Phare, comme tiers-lieu, veut aller plus loin dans la participation citoyenne. «Ce qui est important, c’est que les gens puissent considérer que l’endroit où ils pénètrent est aussi le leur, qu’ils se sentent chez eux.» Concrètement, la subvention va servir à réaménager les locaux.

Thomas Kempeneers désigne l’endroit où nous trouvons: un bel espace sur le plan architectural, lumineux, mais un peu froid. «Ce n’est pas la maison où on veut se poser. Il faut acquérir du matériel, du mobilier pour avoir des salles qui permettent de développer les activités dont les gens veulent s’emparer, un espace polyvalent et chaleureux.» Aux associations partenaires et aux habitants d’Andenne d’investir les lieux donc. Avec toujours en ligne de mire une dynamique de collaboration horizontale, ce modèle de gouvernance qui rallie les intelligences collectives des différentes équipes et des services de la Ville d’Andenne: «Cela demande de la patience et de l’écoute, mais ça tient la route.» On sent Thomas Kempeneers très soucieux de rassurer. Le Phare, c’est un gros éléphant qui peut donner l’impression d’écraser tout autour de lui. «On ne veut pas prendre la place des autres. Avec le centre culturel, par exemple, nous sommes complémentaires.»

Avec toujours en ligne de mire une dynamique de collaboration horizontale, ce modèle de gouvernance qui rallie les intelligences collectives des différentes équipes et des services de la Ville d’Andenne.

Nous grimpons jusqu’à la terrasse. «Ici, on pourrait faire des concerts en été, mais je ne vais pas l’organiser sans le centre culturel. C’est eux les experts. Idem pour le FabLab d’Andenne. Je ne vais pas commencer à faire des ateliers de réparation. S’ils veulent développer quelque chose chez eux ou chez nous, on pourra le faire ensemble. Ce qui est intéressant dans une petite ville, c’est qu’on dialogue beaucoup plus facilement ensemble.» Au cinquième étage, le Phare va encore briller. Son directeur peut offrir des salles aux nombreuses associations d’Andenne qui manquent de place. «Ce qui manque dans cette ville, ce sont les lieux intermédiaires, où on peut faire ces choses plus insolites plus ponctuelles.» À court terme, dès ce mois de septembre, le Phare veut offrir des formations: secourisme, langues, techniques d’animation pour les enfants… «Acquérir des compétences, c’est aussi une bonne manière de travailler ensemble.» La subvention accordée à un tiers-lieu couvre trois années de fonctionnement: «Trois ans, c’est juste pour commencer à monter les premières marches de l’escalier, car notre programme, lui, va durer dix, quinze ans.»

Mais les 23 tiers-lieux ne sont pas au même stade de développement et la ministre Céline Tellier en est bien consciente.

On le voit. Le Phare est un projet bien lancé, pérenne comme la maison rurale de Léglise. Mais les 23 tiers-lieux ne sont pas au même stade de développement et la ministre Céline Tellier en est bien consciente: «Nous allons proposer aux lauréats un accompagnement individuel, à la demande, nous dit-elle. On veut leur donner l’occasion de se professionnaliser. L’idée est aussi de créer un réseau des tiers-lieux en Wallonie pour que chacun puisse tirer profit des apprentissages des autres projets pour mieux encadrer et soutenir des initiatives futures.»

C’est un pari et il n’est pas gagné, estime Jérôme Rassart, conseiller au Crédal, une agence-conseil en économie sociale qui organisait le 10 février dernier une journée d’étude sur les tiers-lieux. «Si la ministre de la Ruralité espère faire émerger des structures d’accompagnement des tiers-lieux, il y a malgré tout des projets qui risquent de s’étioler, voire de disparaître, s’ils ne sont plus portés par la communauté locale.» Un tiers-lieu, ça naît, ça vit et ça peut mourir aussi.

C’est la communauté qui fait le tiers-lieu

«On ne s’attendait pas à un engouement pareil.» Quand Credal, agence-conseil en économie sociale en Wallonie, a organisé en août 2022 une séance informative pour les porteurs de projets de tiers-lieux en milieu rural, le succès de participation a dépassé toutes les attentes. «Il y a une dynamique ‘tiers-lieu’ qui émerge très fort en Belgique francophone», constate Jérôme Rassart, conseiller en économie sociale à Credal qui, bien avant l’appel à projets de la Région wallonne, avait déjà suivi certaines initiatives comme la coopérative Quatre-Quarts à Court-Saint-Étienne, un café associatif implanté dans l’ancienne gare de la commune.

Mais qu’est-ce qu’un tiers-lieu? Le mot, au départ, vient des États-Unis. C’est le troisième lieu, après la famille et l’entreprise, l’endroit où on aime se regrouper de manière informelle. C’est «un objet de redynamisation territoriale qui recrée du lien entre les citoyens. Il doit s’inscrire sur son territoire et prendre en considération une palette d’éléments qui seront déterminants pour la viabilité du projet tels que son histoire, les dynamiques qui s’y déploient et les acteurs qui le font vivre», expliquent les chercheurs de l’Université de Liège (Lepur) qui ont rédigé un vade-mecum des tiers-lieux à vocation économique. C’est un concept forcément hybride et singulier. Hybride par la mixité des activités et des associations présentes. Mais c’est toujours un mélange particulier. «Il n’y a pas un seul modèle économique qui s’impose», constate Jérôme Rassart. Celui-ci est souvent très fragile et demande un support extérieur qu’il soit public ou privé (via une donation ou une fondation). Un tiers-lieu, c’est un lieu, mais au départ surtout une communauté qui fait émerger les services dont elle a envie et besoin. Chaque communauté peut se mobiliser autour du constat d’un déficit matériel (équipements) et immatériel (connaissances, formations), sur le désir d’investir dans une thématique (transition écologique…) ou d’un lieu à valoriser.

Le lieu n’est pas anodin. Pour réussir le projet, il est important d’avoir un bâtiment «totem», selon les chercheurs liégeois, qui ait une forte visibilité et qui fasse partie de la culture locale. C’est souvent le cas d’une ancienne gare. Ce n’est sans doute pas un hasard si une représentante de la SNCB assistait à la rencontre organisée par Crédal. Une gare ou un ancien café de village, un bureau de poste, un ancien cinéma de quartier, comme le Monty à Genappe qui est devenu un tiers-lieu culturel tout en offrant des ateliers de réparation.

Le tiers-lieu devient aujourd’hui un espace de retissage économique et d’échange de savoirs. Mais, insiste Jérôme Rassart, ce qui compte dans la réussite du tiers-lieu, cela reste les gens. Si une commune veut faire un tiers-lieu, mais qu’il n’y a pas une communauté derrière le projet, cela sera vite un échec. Et c’est elle encore qui va assurer ou non la survie du projet.