Vers le rétablissement

Jeanne d’Arc, Thérèse d’Ávila, Amélie Nothomb, Zinedine Zidane, Carl Gustav Jung, Anthony Hopkins, Gandhi… Ce sont quelques-uns des noms repris par le REV-Belgium pour rappeler que l’entente de voix n’est en aucune manière synonyme de médiocrité, d’échec ou de bêtise. Si ce phénomène continue à être rangé dans la catégorie des symptômes psychotiques associés au diagnostic de schizophrénie, les recherches démontrent qu’il se manifeste aussi dans les troubles bipolaires, les deuils difficiles, les troubles de la personnalité, le stress post-traumatique, mais aussi au sein de population «non clinique». Pour beaucoup d’entendeurs, cette expérience n’est d’ailleurs pas sans lien avec la vie créative et spirituelle. «L’entente de voix est très souvent vécue comme une particularité accroissant le potentiel perceptif d’un individu, mentionne un article publié dans les Cahiers de psychologie clinique2. Grâce à leur(s) voix, les bénéficiaires expliquent percevoir le monde au-delà de son aspect matériel. Il s’agirait alors d’un don de clairvoyance qui permet au sujet d’extrapoler son vécu.»

Jeanne d’Arc, Thérèse d’Ávila, Amélie Nothomb, Zinedine Zidane, Carl Gustav Jung, Anthony Hopkins, Gandhi… Ce sont quelques-uns des noms repris par le REV-Belgium pour rappeler que l’entente de voix n’est en aucune manière synonyme de médiocrité, d’échec ou de bêtise.

Jusqu’à 25 % de la population entendrait des voix à un moment de son existence3. «Beaucoup de personnes n’en parlent pas, souligne Jean-Marc Priels, psychologue et facilitateur au sein du groupe d’entendeurs de voix de Jette. Parfois parce que ce n’est pas un problème. Ce sont des voix gentilles: des fées, des djinns, des anges gardiens… Chez les enfants et les ados, c’est encore plus fréquent. Le problème, c’est quand la personne s’enferme dans un genre d’autisme existentiel, un drame solitaire dans lequel son monde intérieur n’est pas partageable.»

«Il existe un continuum entre la petite voix que nous avons tous dans la tête, qui reflète notre dialogue intérieur, et une dimension plus pathologique», analyse Jennifer Denis, professeure associée en psychologie clinique à l’UMONS et psychothérapeute. «On a parfois aussi le souvenir de la voix de quelqu’un qui a marqué notre trajectoire de vie – ‘j’entends encore la voix de mon grand-père qui me disait…’» Un «bain de langage» originel qui nous constitue et parfois nous accable. «Sans même parler d’hallucinations, les voix façonnent la manière dont on se perçoit. Des patients qui ont entendu toute leur enfance leur mère dire ‘tu es nul, tu ne vaux rien’ l’intériorisent sous forme de fausse croyance.»

Lorsque les voix s’autonomisent, c’est autre chose encore. «Les personnes entendent des voix comme je vous entends au téléphone», compare Pierre Preumont, psychologue et facilitateur pour un groupe d’entendeurs de voix de la Clinique Sans Souci, hôpital psychiatrique bruxellois. «Donc, si on vous dit simplement que ‘ce n’est pas vrai’, c’est extrêmement violent. Non seulement on nie votre expérience, mais en plus, si on nie les voix, on ne peut pas négocier avec elles… Par peur de ne pas être crues, beaucoup de personnes se taisent, y compris en institution. De peur aussi qu’on augmente leur traitement…»

Une souffrance qui demeure

Longtemps, la psychiatrie a en effet considéré que les voix devaient être éradiquées à tout prix et que leur contenu n’avait aucune importance. Or, si les médicaments permettent souvent de les faire taire et donc de «normaliser» l’expérience, la souffrance psychique, elle, demeure. À la fin des années 80, aux Pays-Bas, le psychiatre Marius Romme et la journaliste scientifique Sandra Escher ont proposé une approche nouvelle à travers la création du Hearing Voices Movement (HVM) qui promeut «l’acceptation des voix et la mise en sens du vécu qui y affère afin de dénouer les conflits émotionnels inhérents au phénomène»4. «Pour moi, ce qui est important, c’est d’être dans une approche humaniste, qui laisse la place aux symptômes, avance Jean-Marc Priels. Je suis très sensible à l’idée que si nous écoutons bien les personnes qui s’adressent à nous en tant que soignants, elles vont nous indiquer la façon dont elles cherchent à être soignées

Si une origine traumatique est fréquemment identifiée dans l’entente de voix, «le contexte est plus large, précise Jennifer Denis. Souvent quelque chose a fait choc dans l’histoire de l’individu, mais il y a aussi l’influence de l’environnement social, familial, qui peut avoir été peu étayant, peu adéquat, où il y a eu du déni des émotions.» Des troubles neurologiques comme une épilepsie, une tumeur, des migraines peuvent également intervenir dans l’entente de voix, de même que la prise de toxiques – drogues, alcool, traitement morphinique. Sans oublier la solitude et la marginalisation. «La voix peut alors être une compagne de vie, mais qui, à terme, aliène complètement l’individu», résume la psychologue.

Longtemps, la psychiatrie a en effet considéré que les voix devaient être éradiquées à tout prix et que leur contenu n’avait aucune importance. Or, si les médicaments permettent souvent de les faire taire et donc de «normaliser» l’expérience, la souffrance psychique, elle, demeure.

Quand les voix menacent, culpabilisent ou dévalorisent avec force, elles peuvent aussi constituer un danger. «Combien de personnes se suicident parce qu’une voix leur a dit ‘tu ne vaux rien, tu ferais mieux de te jeter d’un pont’?, poursuit Jennifer Denis. Les voix peuvent aussi amener à commettre des actes agressifs sur autrui. Il est arrivé que des infirmières ou des psys soient tués par des patients en décompensation parano qui les percevaient comme une menace.» Mais à partir du moment où la personne est stabilisée – notamment par les médicaments – et que le risque de passage à l’acte est contrôlé, les groupes d’entendeurs offrent un relais appréciable où «échanger des stratégies d’adaptation, se soutenir mutuellement et favoriser la compréhension de soi»5.

En ce sens, le REV participe activement au rétablissement, qui se distingue de l’objectif très hypothétique et davantage normatif de «guérison». «Le rétablissement est un processus qui aborde le fonctionnement singulier d’un individu par le prisme de son vécu subjectif. Il s’agit donc d’un processus qui sera graduel, inégal et de surcroît, itératif»6. Une évolution non linéaire, non spectaculaire, mais réaliste vers plus de bien-être, une meilleure qualité de vie, une place trouvée ou retrouvée dans le monde, notamment grâce à la paire-aidance qui permet à Virginie ou à Vinciane de soutenir d’autres entendeurs au sein des groupes et de porter vers l’extérieur un témoignage d’espoir. «Le rétablissement est un compromis, résume Pierre Preumont, mais aussi une forme de paix.»

[2] Denis Jennifer, Kouaovi Erina, Priels Jean-Marc et al., «Entendeurs de voix. L’expérience subjective des groupes d’entraide entre pairs», Cahiers de psychologie clinique, 2023/2 (n° 61), p. 179-201. DOI: 10.3917/cpc.061.0179. URL: https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2023-2-page-179.htm

[3] Beck, A. T., Rector, N. A. (2003). A cognitive model of hallucinations. Cognitive Therapy and Research, 27(1), 19-52.

[4] Denis Jennifer, Kouaovi Erina, Pries Jean-Marc et al.op. cit.

[5] Denis Jennifer, Kouaovi Erina, Priels Jean-Marc et al.op. cit.

[6] Denis Jennifer, Kouaovi Erina, Priels Jean-Marc et al.op. cit.