Jeu de miroirs

Le 25 juin 2009, Michael Jackson était retrouvé mort dans son manoir de Holmby Hills, à Los Angeles, à la suite d’une intoxication médicamenteuse aiguë. Trois mois plus tôt, il se faisait entendre pour la première fois auprès de Virginie, une jeune fan montoise. «Ce qui est quand même très bizarre, c’est qu’il m’avait avertie: ‘Fais attention aux médias, ne crois pas tout ce qu’ils racontent.’ Alors, quand on a annoncé partout qu’il était mort forcément…»

Forcément, Virginie a eu des doutes. Il lui arrive d’en avoir encore, même si aujourd’hui, elle ne croit plus tout ce que Michael lui dit sur parole – «Je demande des preuves.» Elle a aussi appris à négocier avec les sœurs et les enfants Jackson, de même qu’avec les voix de sa propre famille, qui s’immiscent régulièrement dans son esprit. «Avant, quand je ne prenais pas de médicaments, je faisais tout ce que mes voix disaient. Mais elles ne m’auront plus à me faire prendre une douche tout habillée pour ‘me purifier’ ou des conneries pareilles. J’ai foutu en l’air plein de téléphones comme ça.»

Casquette et pantalon baggy, Virginie affiche, à 40 ans, la vitalité juvénile de qui avance dans la vie comme dans un roman, impatiente du prochain signe du destin. «Pendant trois ans, j’ai cru qu’on menait une enquête sur moi», raconte-t-elle. Avec son lot d’indices à récolter, de pièges à déjouer, d’énigmes à résoudre. Le crime originel, lui, ne fait pas de doute: de ses 11 à ses 15 ans, Virginie a été agressée sexuellement par un ami de sa famille, reconnu irresponsable de ses actes en raison de son handicap mental et aujourd’hui interné. À 13 ans, elle a parlé une première fois, mais personne ne l’a crue. Il lui aura fallu attendre deux ans encore pour que sa mère comprenne.

De ses 11 à ses 15 ans, Virginie a été agressée sexuellement par un ami de sa famille, reconnu irresponsable de ses actes en raison de son handicap mental et aujourd’hui interné.

«En tant que psychologue, je pense que les voix sont un mécanisme de défense, avance Jean-Marie Warichet, psychologue et facilitateur au sein du groupe d’entraide pour entendeurs de voix de Mons. Quand on est confronté à des émotions épouvantables, par exemple dans le cas d’abus sexuels, l’esprit trouve des parades pour moins souffrir.» Sidération, dissociation, dépersonnalisation: la sortie du réel est un mécanisme de survie. Mais il arrive que dix ou quinze ans plus tard, alors que le danger est passé, ces stratégies se réactivent. «C’est comme un radar: dès que l’esprit repère un stress, il va de nouveau utiliser ces parades, alors que ce n’est plus adapté, poursuit le psychologue. Moi, enchaîne Virginie, je pense que les voix se déclenchent quand je me mets à ‘mousser’, à beaucoup réfléchir…»

Mais il arrive que dix ou quinze ans plus tard, alors que le danger est passé, ces stratégies se réactivent.

La radio, la télé, Internet, les bribes de conversations téléphoniques: pendant des années, Virginie a pensé que tout tournait autour de sa personne, que tout se disait à son propos, qu’elle était une célébrité, que Michael Jackson était fan d’elle comme elle de lui, qu’il n’osait pas se déclarer. «Délire interprétatif» en langage psy. Entre le passé du King of Pop violenté par un père abusif et accusé lui-même d’avoir agressé des mineurs dans son ranch de Neverland – Virginie n’en croit pas un mot – et sa propre adolescence brisée, elle a perçu des échos, des correspondances, un jeu de miroirs pas si loin de l’amour… «Les voix, c’est un peu comme une relation passionnelle, suggère Michel Trine, infirmier en psychiatrie, également facilitateur au sein du groupe d’entendeurs de voix de Mons. Il y a une grande ambivalence. On adore l’autre et puis on ne le supporte plus…» Virginie sourit: «C’est vrai que parfois Michael, il me gonfle!»