Dimension invisible

Grande blonde charismatique, Eleanor Longden est devenue une icône au sein du Réseau international des entendeurs de voix. Alors qu’elle était étudiante et se pensait en pleine possession de ses moyens, elle a un beau matin entendu une voix décrivant tous ses gestes à la troisième personne, à la manière des didascalies dans une pièce de théâtre. Cela ne l’a pas empêchée de devenir ensuite une éminente chercheuse en psychologie à l’université de Manchester (Royaume-Uni). Dans ses livres et conférences, elle a témoigné avec force de son parcours douloureux et de son rétablissement. «J’étais si torturée par les voix que j’ai tenté de me percer un trou dans la tête pour les faire sortir.»7

Ces profils d’entendeurs intellos et brillants, Lucie Guyaux les connaît bien. Après une longue carrière dans la santé mentale en tant que kiné et thérapeute, cette retraitée a décidé de s’investir comme facilitatrice dans un groupe d’entendeurs francophones en ligne. En duo avec Claudia Haesaert, une entendeuse rétablie, juriste de profession, elle accueille sur Zoom des hommes et des femmes souvent bien intégrés professionnellement, parfois bardés de diplômes ou assumant des postes à responsabilité. «Le groupe est né pendant le Covid, à la demande des entendeurs», retrace-t-elle. Il a permis d’attirer un public moins «chronifié», sans parcours psychiatrique lourd, et qui n’aurait probablement pas franchi le pas de rejoindre un groupe physiquement.

Ces profils d’entendeurs intellos et brillants, Lucie Guyaux les connaît bien. Après une longue carrière dans la santé mentale en tant que kiné et thérapeute, cette retraitée a décidé de s’investir comme facilitatrice dans un groupe d’entendeurs francophones en ligne.

Si Lucie Guyaux n’entend pas elle-même de voix, la dimension invisible de nos existences la passionne. «Petite fille, j’ai été sujette à du somnambulisme. On m’a amenée chez le neurologue, on m’a donné du Librium (NDLR: une benzodiazépine), mais personne ne s’est intéressé au thème de mes scènes de somnambulisme. J’étais très fâchée de ça.» Des scènes de guerre, la Grande, que Lucie n’a pas vécue, mais dont elle a beaucoup entendu parler, son grand-père se vantant dans les réunions de famille d’avoir sauvé la jeunesse de Grammont, en Flandre, en ordonnant un changement de tranchée juste avant une chute d’obus. «Je rêvais que j’éclatais, que je me disloquais avec l’obus et que je ne pouvais revenir dans mon lit… Je pense que je revivais le traumatisme de mes ancêtres. C’est pour ça que le contenu d’un délire, ça continue de m’intéresser!» Une autre fois, les jambes coupées par une rupture amoureuse, Lucie a rencontré une masseuse thérapeutique qui se pensait aidée par plusieurs archanges. «Elle m’a dit que si j’étais si mal à chaque rupture, c’est parce qu’un jeune soldat mort s’était pris d’affection pour moi, qu’il n’arrivait pas à me quitter et qu’à présent, il fallait lui demander de me laisser. Cette femme m’a fait énormément de bien.»

En duo avec Claudia Haesaert, une entendeuse rétablie, juriste de profession, elle accueille sur Zoom des hommes et des femmes souvent bien intégrés professionnellement, parfois bardés de diplômes ou assumant des postes à responsabilité.

Quand le groupe en ligne se retrouve, il arrive que Claudia et Lucie se proposent d’entrer en dialogue avec les voix des participants. «On demande à la voix si elle est là, si elle est d’accord qu’on lui pose des questions. C’est quelque chose qu’un psy n’oserait pas faire à cause de l’aspect un peu ‘magique’. Mais il est possible que l’être humain ait besoin de magie, de supraconscient, suggère Lucie. Claudia dit que les schizophrènes sont des extraterrestres gentils: ils ont conscience d’un monde auquel la plupart des gens n’ont pas accès ou qu’ils rejettent dès que ça se présente…» Une «extraconscience» qui, si elle est accueillie avec bienveillance, n’amène pas toujours à se perdre, mais ancre au contraire dans un réel plus riche de sens et moins chaotique. «Les voix sont une réaction saine à des circonstances folles», estime Eleanor Longden. «Je suis impressionnée de voir que tous ces gens qui ne se connaissent pas partagent en quelque sorte un même idéal, s’étonne encore Lucie. Les entendeurs pensent souvent qu’ils ont des pouvoirs ou des missions. Et je crois que ça fait du bien aux gens trop matérialistes.» Idéalistes un peu perchés, les entendeurs ont surtout beaucoup à nous dire.

[7] https://www.ted.com/talks/eleanor_longden_the_voices_in_my_head?language=fr