Quatrieme Revolution

Mon job est-il menacé ?

Pour savoir si votre métier présente un risque lié à l'automatisation ou à la robotisation, faites une recherche dans notre base de données compilant les métiers ou secteurs les plus menacés, selon les études réalisées en Belgique par ING en 2015 et l’IWEPS en 2017. Elles ont pour point commun de se concentrer sur les seules tâches : elles font donc partie des études les plus pessimistes à propos de l’avenir de l’emploi.
Astuce : encodez les premières lettres de la profession, des propositions s'afficheront dans une liste déroulante
Ce robot qui va me piquer mon job

Ce robot qui va me piquer mon job

Peu de secteurs échapperaient au phénomène de l'automatisation ou de la robotisation de l'emploi. Ouvriers, employés ou cadres : pour peu que vos tâches soient « robotisables », vous seriez potentiellement concernés. Mais jusqu'à quel point votre job est-il réellement menacé ?

Laurence Dierickx

Plusieurs études prospectives ont interrogé l'impact de l'automatisation  – ou de la robotisation –  sur l'activité professionnelle humaine. La plupart d'entre elles convergent vers un même scénario : celui d'une vague de pertes d'emplois. En Belgique, celles réalisées en 2015 par ING et en 2017 par l'Institut wallon de l'évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), indiquent que près d'un emploi sur deux serait menacé, à moyen terme.

En Wallonie, quelques 540.000 postes seraient concernés. Selon l'Iweps, les secteurs présentant les risques les plus élevés de disparition d'emplois, tels que les services administratifs et le secteur du transport et de la logistique, seraient relativement épargnés (11% de l'emploi actuel en Wallonie). Là où le risque est élevé (commerce, automobile, banques et assurances ou services), la menace est estimée à 50%. Et là où le risque est modéré (santé et action sociale, culture ou information et communication), elle passe à 39%. Si le secteur tertiaire serait le moins concerné (49,01% des emplois automatisables, contre 58,82% dans le secondaire et 71,10% dans le tertiaire), c'est celui-là qui serait, de loin, le plus exposé. A l'échelle du pays, selon les données diffusées par Eurostat pour l'année 2016, le secteur tertiaire est le principal pourvoyeur d'emplois (71,5%), loin devant le secteur secondaire (21,4%) et le secteur primaire (1,1%).

Chaque emploi est un mélange de tâches : certaines très automatisables et d'autres moins.

Il convient, toutefois, de replacer ces chiffres alarmistes dans le contexte d’une méthodologie tenant uniquement compte des aspects liés aux tâches caractérisant une profession alors qu'un métier, c'est bien plus que la somme de ses tâches. Il s'agit là d'un biais qui ne permet pas de prendre les résultats de ces études pour argent comptant. Pour Gérard Valenduc, chercheur associé à l’Institut syndical européen (ETUI) et à la Chaire Travail-Université (UCL) et professeur retraité, « on ne peut pas croire qu’un emploi sur deux va disparaître car il s’agit d’un raisonnement typiquement technocratique selon lequel dès qu’une tâche est automatisable, le travail qui y est lié va disparaître. Toute l’histoire de l’informatisation et de l’automatisation montre que cela ne s’est jamais passé comme ça. Chaque emploi est un mélange de tâches : certaines très automatisables et d’autres moins. Mais rien ne se passe du jour au lendemain. Un travailleur, qui voit qu'une partie de ses tâches peut être automatisée, va donner la priorité aux autres dans une stratégie de maintien de son travail. Maintenant, quelques centaines de milliers d’emplois sont concernés dans les dix ou quinze prochaines années. Cela signifie qu’il faudra prendre des mesures politiques, comme le partage du temps de travail ou la portablité des droits sociaux, par exemple. ».

Selon les deux études belges, les emplois de comptables seraient particulièrement menacés par l'automatisation. Or, rappelle Gérard Valenduc, les premiers ordinateurs commercialisés en 1985 promettaient de s’occuper des tâches de facturation… mais ils n’ont pas remplacé les comptables humains. Il s'agit là d'un métier qui a toujours évolué « et, comptable, c'est toujous un métier en pénurie ! . Cet exemple illustre la nécessité de tenir également compte de variables liées aux conditions de travail ou aux savoir-faire liés à une profession qui, elles, ne peuvent être automatisées. Par ailleurs, précise Gérard Valenduc, une pénurie ne s'explique pas toujours par un manque de main d'œuvre : les bouchers ne sont pas en pénurie mais les bouchers candidats au travail de nuit le sont. Avec la disparition des boucheries dans les supermarchés, les conditions de travail s'en sont trouvées modifiées et ont donc eu pour conséquence de créer la pénurie.

Sur la piste des premiers effets de l'automatisation

Il est difficile, à ce stade, de corréler les projections anxiogènes des études prospectives avec l'évolution réelle de l'emploi en Belgique : de 2015 à 2017, le taux d'emploi des 20-64 ans a augmenté, passant de 71,3% à 73,4% (source : SPF Emploi). Et si l'on examine les données relatives au chômage, ceux-ci confortent cette impression que le marché de l'emploi ne se porte pas si mal : elles forment une courbe engagée dans un mouvement descendant et continu depuis 2014. Mais celles-ci sont à pondérer par les mesures initiées par le gouvernement Di Rupo, et poursuivies par le gouvernement Michel, en matière de contrôle et d'exclusion des bénéficiaires. De plus, elles ne tiennent pas compte du nombre de personnes bénéficiant d'un revenu d'intégration, en hausse constante de 2012 (148.466 allocataires) à 2017 (201.906) – soit une augmentation de 36% – si l'on se réfère aux données publiées par le SPP Intégration sociale. Mesurer le taux de chômage tel qu'il « se compte » réellement est une tâche bien plus complexe qu'il n'y paraît, reflétant ainsi une réalité à géométrie variable.

Le taux de chômage représente le nombre de chômeurs exprimé en pourcentage des forces de travail (personnes occupées et chômeurs, selon la définition du Bureau International du Travail).

Bien que les chiffres ne démontrent aucune trace de premiers effets de l'automatisation sur l'emploi humain, quelques indices nous mettent toutefois sur la piste. Dans le secteur bancaire, ING Belgique a mis en oeuvre en 2016 un plan de restructuration visant à supprimer 3.150 postes, soit un peu plus d'un tiers du volume de l'emploi au sein de l'entreprise, ainsi que la moitié de ses agences. Dans le même temps, la structure faîtière, néerlandaise, annonçait un investissement de 800 millions d'euros d'ici 2021 pour « améliorer la relation avec le client » en numérisant et automatisant certaines tâches. Entendez plutôt pour « automatiser davantage les relations avec le client », dans une perspective de maximisation des bénéfices. En langage officiel, cela donne ceci : « pour permettre au business de passer de banque traditionnelle à une plateforme bancaire à la pointe du monde digital ». A y regarder de plus près, la santé financière d'ING Belgique n'est pas des plus préoccupantes : en 2016, la société présentait un bénéfice net après impôts de 516 millions d'euros  – 363 millions de moins que l'année précédente –  et comptait 97 milliards d'euros en dépôts de la clientèle.

Cette relation avec le client qu'ING entend encourager se trouve déjà à l'épreuve des usages. Combien sommes-nous à ne plus nous rendre dans une agence bancaire, occupant des humains en chair et en os, au profit de l'écran de son ordinateur ? Il en va également de même lorsque nous scannons nos produits aux caisses des supermarchés. Les caissières disparaissent au profit de machines qui présentent les avantages de ne jamais être malades (sauf bugs informatiques) et de ne jamais se plaindre de la pénibilité du métier. Début janvier 2018, dans la foulée de l'annonce de la suppression de 1.233 emplois, Carrefour Belgique dévoilait un plan visant à installer des caisses « self check-out » dans tous ses magasins. Dans le même temps, la société soulignait une année 2017 difficile, avec un chiffre d'affaires de 88,24 milliards d'euros et une toute petite croissance de 1,6%. Bip. Bip. C'est encore à vous de bosser.

L'automatisation chez Amazon
Le robot "Kiva" (c'est bien son nom) au travail (© Amazon).

Faire travailler les machines... mais aussi le client : les tâches ont beau être automatisées, on aura toujours besoin d'un humain au bout de la chaîne. Aussi, le client est-il de plus en plus souvent mis à contribution, sans pour autant réaliser que cela participe à une nouvelle forme de travail  – ou d'exploitation –  qui, elle, est gratuite. Ces pratiques s'inscrivent dans la logique de ce que les sociologues français Dominique Cardon et Antonio Cassili appellent le « digital labor » (ou « digital labour », le « travail numérique »), qu'ils décrivent dans un livre éponyme.

Le recours à l'automatisation ou à la robotisation, serait donc motivé par la seule perspective de réduction des coûts salariaux ? En partie seulement. Chez Amazon, le leader mondial de la vente en ligne qui lancera une version belge de son site d'ici la fin 2018, on a plutôt choisi d'investir dans les technologies robotiques pour améliorer la gestion logistique mais aussi, officiellement, pour décharger les travailleurs des tâches les plus pénibles. Ce membre du club très fermé des GAFAM  – ces géants américains du web qui pèsent plus de 2.200 milliards de dollars –  ferait ainsi preuve d'altruisme. Après tout, le terme « robot » vient du tchèque « roboto », qui signifie « corvée » ou « travail pénible ». Bien sûr, l'évolution du monde du travail ne se résume pas à la seule automatisation des tâches : les politiques de réduction des coûts passent aussi par le phénomène d'ubérisation, qui désigne cette « nouvelle économie » se caractérisant par la précarité de ses travailleurs.

Détruire de l'emploi mais aussi en créer

L'hécatombe mondiale est chiffrée mais là aussi, soyons prudents sur des chiffres dépendant de la seule variable des tâches automatisables. Selon la société de consultance McKinsey, 800 millions d'emplois humains disparaîtraient à l'horizon 2030, en raison de l'automatisation. Ce qui équivaut à 12% de la population active. Ce sont les résultats d'une enquête, menée dans 46 pays, publiés fin 2017. Ceux-ci épinglent néanmoins quelques secteurs qui seraient épargnés par le phénomène. Ils ont en commun d'impliquer une action humaine, comme en médecine ou dans l'enseignement. L'enquête note également que les pays les plus touchés seront ceux qui disposeront des moyens pour investir dans des technologies coûteuses. Dans une étude publiée en avril 2018, l'OCDE estimait le coût humain de l'automatisation et de la robotisation à 66 millions d'individus dans 32 pays, soit 9% de l'emploi actif. Pour l'organisation mondiale, 14% des emplois sont « hautement automatisables » et 32% connaîtront « un changement substantiel ». Les emplois du secteur de la manufacture et de celui de l'agriculture seraient les plus menacés. L'OCDE prévoit en outre une entrée de plus en plus difficile des jeunes sur le marché de l'emploi.

En France, une étude du think-thank Sapiens, publiée en août 2019, a établi son top 5 des métiers les plus menacés, soit 2,1 millions d'individus actifs concernés : employés de banque et assurance (-39% des effectifs perdus entre 1986 et 2016), employés de comptabilité (-10%), secrétaires bureautique et de direction (-26%), caissiers et employés de libre-service (+ 6%) et ouvriers de manutention (-17%). Cette étude prévoit même une date d'extinction de ces professions : entre 2038 et 2091 selon le type d'emploi. L'Institut Sapiens prévoit également que le développement de véhicules autonomes impactera à la baisse les emplois de conducteurs de véhicules. Les agriculteurs, qui ont dû faire face à une chute des effectifs de 62% en vingt ans, ne sont pas plus à l'abri mais cette évolution « s’explique à la fois par une crise des vocations et une forte mécanisation du métier nécessitant moins de main d’oeuvre pour réaliser les mêmes tâches ».

La numérisation et la robotisation offrent des possibilités d’engager des nouveaux collaborateurs.

Revenons chez nous et intéressons-nous à ce que disent les patrons. Une étude publiée par la société de relations publiques ACERTA, à l'été 2017, indique que « huit employeurs sur dix prévoient une perte globale d’emplois malgré plus d’embauches ». Les premiers effets sont attendus d'ici deux ans, le volume estimé des licenciements est de plus de 5%. Dans le même temps, pratiquement la même proportion de nouveaux engagements aurait lieu. L'enquête, menée auprès de 469 CEO et membres de direction, souligne que « 79% des CEO devront engager des nouvelles recrues. La numérisation et la robotisation offrent des possibilités d’engager des nouveaux collaborateurs suite à une augmentation de la production et du besoin de compétences spécifiques ». A l'échelle mondiale, un rapport réalisé en 2018 par la société de consultance Deloitte mise également sur cette tendance. 47% des patrons ont déjà investi dans l'automatisation et 38% y pensent à court terme. Leur discours : la machine est efficace lorsqu'elle complète le travail humain. Mais pour utiliser la machine, il faut des compétences. Dans son « Agenda numérique pour 2020 », la Commission européenne indique, toutefois, que la Belgique ne souffre pas seulement d'une insuffisance de compétences et du manque de candidats disponibles... mais aussi d'un manque d'expérience et de compétences non-techniques trop peu exploitables ou inadaptées.

Pour Agoria, la fédération de l’industrie technologique, il n'y aurait pas lieu de craindre des pertes massives d'emploi en raison de la digitalisation du monde du travail. Dans une étude publiée en septembre 2018, celle-ci indique que c'est même l'inverse qu'il faudrait craindre. Elle estime que, à l'horizon 2030, au moins 584.000 postes vacants ne seraient pas comblés et que pour chaque emploi qui disparaîtrait, trois nouveaux seraient créés. Agoria estime que nous sommes insuffisamment préparés et les pistes politiques avancées s'entendent moins dans une logique sociale que libérale (activation de la population inactive, stimulation de la migration économique, allongement des carrières, harmonisation des filières et choix d’études avec la demande en main d’œuvre). Restons toutefois prudent face à ce concept de « destruction créatrice » avancé par les patrons : il s'agit d'un phénomène qui ne peut que s'observer sur le temps long et il n'y a pas toujours destruction mais bien transformation, souligne le chercheur Gérard Valenduc.

Des « vrais » robots au travail

Erica
Erica (© Hiroshi Ishiguro Laboratory, ATR).
Tout ce que vous pouvez faire, je peux le faire mieux. Et plus vite. Et moins cher.

Et si l'on finissait par ne plus embaucher que des « vrais » des robots ? Cette question provocante ne relève plus de la seule science-fiction mais pas (encore) chez nous. Au Japon – où les robots sont considérés comme une alternative face à une pénurie de main d'œuvre humaine qui touche des secteurs comme l'hôtellerie et le transport de personnes – , début 2018, Erica était pressentie pour devenir une nouvelle star de l'info télévisée. « Je n'ai pas besoin de prendre de pause. Je peux travailler pendant 24 heures. Je ne me plaindrai pas d'un dur travail. (...) Tout ce que vous pouvez faire, je peux le faire mieux. Et plus vite. Et moins cher. Mais je ne vais pas vous remplacer », déclarait récemment Erica à une équipe de CBSN. L'année précédente, le premier robot  – tenant davantage du Sedgeway que de Robocop –  faisait son entrée à la police de Dubai sous les crépitement des flashs des photographes. Mais les robots ne sont que des machines et, à l'image des humains qui les conçoivent, ils ne sont pas infaillibles. Aussi, en Chine, plusieurs patrons de restaurants ont-ils viré leurs brigades de robots-serveurs maladroits, incapables de se déplacer sans renverser le contenu de leurs plateaux.

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