Liège, une ville assiégée

«Pour certains, quand on pose des questions, ça crispe.» Attablée derrière une quiche dans un établissement mettant en avant les produits liégeois, Diana Nikolic est de son propre aveu «la plus ouverte» des libérales liégeoises en ce qui concerne un produit bien spécifique de la Cité ardente: la SCMR. «La salle n’est ni la cause de tous les maux ni la solution à tous les maux, et il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain», commence-t-elle doucement, assumant sa différence de ton avec sa collègue Audrey Neuprez ou Georges-Louis Bouchez.

Pour autant, malgré ces précautions oratoires, celle qui est aussi députée au parlement wallon et cheffe de groupe MR au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles considère que «le statu quo n’est plus une option». «Les objectifs de la salle en matière de réduction des risques pour les consommateurs sont atteints, est-ce qu’on peut maintenant s’attaquer au deal et à la consommation de rue?», s’interroge-t-elle. Avant de lâcher: «On n’a pas demandé ce rapport pour s’asseoir dessus. Le rôle du politique est d’évaluer ses décisions et de les réorienter s’il le faut.»

Ce que Diana Nikolic tire comme conclusions est finalement assez simple: les objectifs de la salle en termes sécuritaires n’étant selon elle pas remplis, elle demande un état des lieux plus régulier du projet. Tout en ajoutant sa pincée de sel. «On n’a sorti personne de la toxicomanie avec cette salle, on n’a mis personne dans un parcours de sortie d’addiction», souligne-t-elle malgré le fait que ces deux points n’ont jamais fait partie des ambitions de la SCMR, par ailleurs validés par le MR en 2018. Qu’importe: «Nous assumons politiquement le fait que ce doit être un objectif», ajoute l’élue, qui indique que Såf Ti pourrait pour cela se centrer sur les consommateurs «réguliers» et «fidèles» tout en travaillant davantage avec les autres acteurs de première ligne liégeois, délaissés selon l’élue par la précédente direction.

Ce que Diana Nikolic tire comme conclusions est finalement assez simple: les objectifs de la salle en termes sécuritaires n’étant selon elle pas remplis, elle demande un état des lieux plus régulier du projet.

De l’autre côté de Liège, à l’hôtel de ville, c’est dans un fauteuil confortable, sous de hauts plafonds tout en lambris surplombant son bureau, qu’est assis Willy Demeyer. Pour lui, les polémiques autour de la SCMR de Liège sont un «faux débat». Certes, il faudra à l’avenir que la salle travaille davantage avec les autres partenaires de première ligne, Dominique Delhauteur n’ayant de son propre aveu jamais encadré les relations avec ceux-ci par des conventions, jugées «trop chronophages». Oui, quelques aménagements sont envisageables, comme le fait d’ouvrir le conseil d’administration de la Fondation Tadam à des membres de l’opposition, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

Mais pour ce qui des effets de la SCMR, Willy Demeyer n’en démord pas: «Il est communément accepté que ce type de projet engendre des effets positifs», argumente-t-il. Un propos appuyé par de nombreuses études, et notamment celle menée en 2018 par Belspo pour le compte du gouvernement fédéral. On pouvait notamment y lire que «les municipalités qui ont mis en place des SCMR ont observé une réduction de la consommation de drogues en public et des nuisances publiques connexes (telles que les seringues jetées en public) après la mise en service des installations, ainsi qu’une diminution des taux de mortalité par overdose de drogues dans les quartiers dans lesquels les installations sont situées». À Liège, depuis son ouverture en septembre 2018, Såf Ti a d’ailleurs comptabilisé 96.193 passages pour consommation, «autant d’actes de consommation de stupéfiants qui ont été soustraits aux espaces publics liégeois, donc, aux yeux de la population, locale ou de passage», peut-on lire dans le rapport d’activité 2023 de la SCMR.

Mais comment alors expliquer la soudaine agitation du MR, qui, d’après Diana Nikolic, «se fait le relais du ras-le-bol général des Liégeois» face à des actes de consommation en rue qui se feraient de plus en plus visibles? Pour le bourgmestre, il y aurait une explication, avancée par tous les intervenant(e)s favorables au projet Såf Ti: depuis 2018, le paysage de la toxicomanie aurait changé à Liège. Là où la consommation «old school» en rue se faisait jusqu’à il y a peu à coups d’héroïne, elle serait depuis peu concurrencée par une consommation accrue de cocaïne. Un changement loin d’être anodin pour deux raisons. Un: là où l’héroïne a tendance à calmer ceux qui la consomment, la cocaïne engendre un effet – très – stimulant. «Si vous embêtez un consommateur, vous risquez de vous retrouver avec un poing en pleine figure», explique à ce propos Dominique Delhauteur. Deux, la cocaïne possède une «cinétique» différente de l’héroïne: ses effets sont courts (une demi-heure) là où ceux de l’héroïne sont longs (quelques heures). Résultats, les consommateurs de cocaïne sont contraints de consommer beaucoup plus régulièrement, notamment sous forme d’injection, ce qui multiplie les «scènes» de consommation en rue. Un changement qui, malgré l’action de la salle, participerait au sentiment de trop-plein ressenti par la population. «Il n’y a pas plus de consommateurs en rue, mais davantage d’actes de consommation et des consommateurs plus agités», poursuit Dominique Delhauteur. Et cela, argumente-t-il, la salle n’y peut rien, malgré le nombre d’actes de consommation qu’elle a retirés de l’espace public. «Ce n’est pas la panacée, aucune salle de consommation n’a jamais vidé la rue», s’exclame celui qui est jusqu’à son départ prochain «coordinateur général faisant fonction» de la SCMR, rejoint en cela par Willy Demeyer qui affirme que «la salle ne va pas résoudre les problèmes de cocaïne, même si elle devra s’adapter à cette réalité».

À Liège, depuis son ouverture en septembre 2018, Såf Ti a d’ailleurs comptabilisé 96.193 passages pour consommation, «autant d’actes de consommation de stupéfiants qui ont été soustraits aux espaces publics liégeois, donc, aux yeux de la population, locale ou de passage», peut-on lire dans le rapport d’activité 2023 de la SCMR.

À l’inverse d’Audrey Neuprez, le bourgmestre de Liège dépeint alors une ville non pas assiégée par les toxicomanes, mais par les mafias de la drogue qui mettraient les services de police à rude épreuve. Dans ce contexte, le débat autour de la salle serait d’après lui devenu «anecdotique» par rapport aux vrais enjeux, se situant à un niveau «européen» et «mondial». Pour étayer son propos, il appelle d’ailleurs à la rescousse Jean-Marc Demelenne, le chef de corps de la police de Liège. Si dans un premier temps le service de communication de ce dernier avait refusé la demande d’interview d’Alter Échos, cette fois-ci, «il va vous appeler» insiste le bourgmestre alors qu’il nous raccompagne vers la porte.