À côté de la plaque

Deux heures plus tard, c’est bien le numéro de téléphone de Jean-Marc Demelenne qui s’affiche sur l’écran de notre téléphone. À l’autre bout du fil, l’homme se dit «preneur de toutes les solutions extérieures à la police». «Tout ce qui est consommé dans la salle ne l’est pas ailleurs», enchaîne-t-il. Au fil de la discussion, le chef de corps confirme le récit d’un marché de la consommation de rue transformé par l’arrivée de cocaïne bon marché en provenance d’Amérique du Sud même s’il juge «difficilement mesurable» une éventuelle augmentation de la consommation sur la voie publique. «On ne peut pas réduire ce phénomène à la question de la salle, ce serait se voiler la face, continue-t-il. Il y a une paupérisation d’une frange de la population qui se retrouve à la rue et consomme.» Quant au constat d’un éventuel effet d’appel d’air provoqué par la salle, qui servirait donc «d’aspirateur à toxicomanes» et attirerait des consommateurs des quatre coins du pays, Jean-Marc Demelenne le juge «à côté de la plaque». «Je ne peux pas imaginer qu’un toxicomane se dise ‘Je vais aller à Liège’. On ne se pique pas parce qu’il y a une salle de consommation», conclut-il avant de raccrocher. Un détail qui a son importance: le rapport de l’ULiège indique que 89% des usagers proviennent de la province de Liège…

Au fil de la discussion, le chef de corps confirme le récit d’un marché de la consommation de rue transformé par l’arrivée de cocaïne bon marché en provenance d’Amérique du Sud même s’il juge «difficilement mesurable» une éventuelle augmentation de la consommation sur la voie publique.

La discussion est-elle donc close? Il faudra voir. Car le débat actuel ne se limite pas à un simple duel PS/MR. Au sein de l’opposition aussi les positions sont clivées. Du côté de Vert Ardent, Caroline Saal, cheffe de groupe au conseil communal, déclare «soutenir le projet depuis le début». Alors que chez les Engagés, on se situe plutôt aux côtés du MR. «Les salles ont donné des résultats à l’étranger, mais ce n’est pas pour ça que cela va fonctionner chez nous, argumente Benoît Bouchat, chef de groupe. Ce n’est pas un chèque en blanc, il faut un processus évaluatif.»

Outre la volonté annoncée de Willy Demeyer de continuer à monitorer Såf Ti, une autre annonce pourrait venir combler les attentes de Benoît Bouchat. Belspo, le service public de programmation de la politique scientifique, travaille actuellement à une évaluation des deux salles de consommation à moindre risque existant aujourd’hui en Belgique: Såf Ti et Gate, la SCMR ouverte depuis peu à Bruxelles. «Les effets positifs des SCMR, notamment en Australie, ont déjà été mesurés. Nous voulons mesurer la même chose ici et voir si nous sommes au moins aussi bons», explique Pablo Nicaise, qui coordonne l’étude. Si les résultats définitifs des effets des deux salles sur la réduction des risques devraient prendre un peu de temps (l’étude est censée aboutir en 2026), ceux liés à «l’environnement» (soit les questions liées à la consommation de rue, au sentiment d’insécurité, etc.) pourraient être disponibles cette année et, qui sait, venir remettre une pièce dans la machine à débat.

Belspo, le service public de programmation de la politique scientifique, travaille actuellement à une évaluation des deux salles de consommation à moindre risque existant aujourd’hui en Belgique: Såf Ti et Gate, la SCMR ouverte depuis peu à Bruxelles.

En attendant, Pablo Nicaise tient à prévenir les politiques: «Je leur conseillerais de se situer dans un rythme adapté. Une salle ne peut pas résoudre en cinq ans des problèmes présents depuis 30 ans», souligne-t-il. Un appel à la patience qui devrait venir soulager Juan Cortes Leclou, le futur coordinateur de la SCMR de Liège, qui entrera en fonction dans un contexte tendu. Visiblement conscient de la situation, il s’est livré à un exercice d’équilibrisme délicat pour Alter Échos, affirmant que, s’il fallait «relativiser» la situation particulière de Liège, toutes les grandes villes belges connaissant actuellement des problèmes de toxicomanie, même celles sans SCMR, il ne voyait néanmoins «pas de problème à ce que l’on travaille sur les aspects liés au bien-être des Liégeois»