Quitter la terre et ses galères

Fin janvier 2023. Les voilà donc embarquées pour une «mise au bleu». À trois, sans éduc dans les pattes, juste Thomas et Benjamin, avec Chloé à la photo pour documenter ce qui est au moment du décollage encore un projet flou. Un pari fou, qui mérite d’être tenté. On est fin janvier 2023.

Le soleil brûlant, le vent doux, les mâts alignés, le clapotis des vagues sur les coques, les joggeurs, le Burger King. Et «Chicon» – 44 pieds de long, 14 de large – bien accroché à son ponton branlant, des draps qui sèchent sur ses filières. Rien n’a changé depuis leur venue ici, à Arrecife, deux ans plus tôt. Elles ont des piercings en plus, et quelques centimètres peut-être. Le voilier lui, a gagné des milliers de milles nautiques au compteur et un paquet de petits mots laissés par d’autres équipages dans le grand livre d’or de navigation.

«Chicooooon, il est làààààà!» Les trois copines saluent le bateau avec un mélange d’innocence et d’excitation. Celle de revenir sur ce charmant rafiot qui «a marqué leur vie».

Les gestes reviennent vite sur le voilier. Les émerveillements et les sensations aussi. Tenir la barre, faire les bons nœuds pour accrocher les pare-battages, border, choquer, sentir la puissance des vagues, observer l’horizon, admirer la mer calme au mouillage.

Alexandra, cheveux roses de sirène, se rêve déjà capitaine. « Ou marin, quoi. Marine, matelote? Tiens, c’est quoi le féminin de marin ? », se demande-t-elle d’ailleurs. «On pourrait même acheter un bateau et le retaper nous-mêmes », lance-t-elle rêveuse à ses copines. Posée sur sa serviette sur une plage paradisiaque de la Graciosa, huitième île de l’archipel, au nord de Lanzarote, elle a encore du mal à réaliser qu’elle est de retour ici, aux Canaries. Devant ce paysage de carte postale, elle se souvient de son premier voyage il y a deux ans.

Se laisser aller

« Je suis partie sur Chicon à la toute fin de ma mise en autonomie. C’était assez fort parce que ça marquait la fin de l’accompagnement d’Autrement Dit qui m’a aidée à être une jeune à peu près normale. J’ai vu ce voyage comme un cadeau pour tous les efforts qu’on avait faits. Ça m’a un peu émue aussi. Quitter Autrement Dit, c’était me retrouver toute seule, me jeter à l’eau», explique-t-elle, levant ses cheveux pour dévoiler son Pac-Man tatoué dans la nuque, souvenir indélébile de ce premier voyage. «Ce séjour, poursuit-elle, était aussi pour moi comme de vraies vacances. » De celles où l’on peut se laisser aller – où l’on a le droit de ne penser à rien, de celles qu’elle n’a pas souvent eues dans sa famille. « Moi qui viens d’une famille difficile, partir en voyage avec les parents, c’est du stress constant. On n’a pas beaucoup d’argent, on ne peut pas tout à fait profiter. Ici, je me suis sentie plus libre, même avec l’éduc. Grimper sur un volcan avec une éducatrice, c’est quand même vachement cool. Ça nous change des moments en tête-à-tête dans un bureau où ils prennent des notes pour leur rapport au SAJ. »
«Tout est plus fluide sur l’eau. Tu romps avec le quotidien, tu es loin de tes problèmes, tu laisses tes pensées filer, c’est pour ça que ça fait du bien. Ça permet de te reconnecter avec tes émotions, et quand t’es dépassée par les problèmes, c’est vraiment important », confie aussi Anna, qui renoue avec ces moments de déconnexion et de calme, en silence ou son casque vissé sur les oreilles. «Dès que tu mets un pied sur le bateau, tu sens ton corps bouger, et t’as pas d’autre choix que de vibrer avec lui », complète Nansé, la mystique de cette joyeuse bande de filles.

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