Université Libre de Bruxelles Alter Echos, l'actualité sociale avec un décodeur

Déchiffrer la pandémie

La crise du Covid-19 aura mis en valeur le travail des scientifiques des données, des mathématiciens et des épidémiologistes qui analysent la pandémie. De la collecte à l’analyse de tendances, découvrez le chemin qu’empruntent les chiffres de la crise.

Communiquer les chiffres du jour

Mars 2021, après un an de crise sanitaire, une troisième vague d'infections frappe la Belgique. La population se tourne vers les médias pour se tenir informés de l’évolution de cette vague, où le traitement des données liées à la pandémie permet d'en quantifier l’ampleur.

Avec 3.399 nouveaux cas détectés entre la première et la dernière semaine de mars 2021, les graphiques font état d’une situation critique.

Si le nombre de cas augmente à partir du 15 mars (5.279 cas), la situation devient alarmante à partir du 22 mars (6.284 cas). Bien que le graphique montre une baisse entre le 23 et le 27 mars, le pic du nombre de cas du 29 mars (6.153 cas) prouve que la situation sanitaire n’est pas stable.

Ce graphique est l’exemple type des visualisations diffusées dans les médias pour expliquer la crise. Infographies, tableaux de bords interactifs et chiffres, les visualisations de la crise sont multiples et s’adaptent aux différents supports médiatiques.

Est-il nécessaire d’utiliser autant de données pour comprendre une telle pandémie ? Quelles sont les clés de compréhension des chiffres ?

À l’aide des chiffres et des tableaux de bords des centres de statistique, les médias peuvent illustrer plus facilement la pandémie. Taux de mortalité, nombre de cas, estimations de spécialistes, le rôle des médias est de comprendre la crise et de rendre les avis d’experts accessibles. Ces chiffres permettent à la population de se confronter à la réalité de la pandémie.

Cependant, pour publier des chiffres régulièrement, il faut respecter un protocole. Par exemple, pour calculer le nombre de cas pour le mois de mars, il faut se référer au nombre de tests sur la même période.

D’abord, il faut collecter des données auprès des hôpitaux et des centres de test PCR. Puis les données sont envoyées à des scientifiques des données qui vont les nettoyer, les ordonner et les analyser. Ensuite les statisticiens évaluent les taux d’infections, avant que les épidémiologistes analysent les tendances, cherchant à expliquer l’impact qu’une augmentation du nombre de cas peut avoir.

Ce protocole est mis en œuvre quotidiennement par l'équipe de Sophie Quoilin, médecin épidémiologiste pour Sciensano, l’institut fédéral de la santé publique. Partageant leurs résultats sur leur tableau de bord interactif sur le site web Epistat, les experts de Sciensano ont tenu à jour les données de la pandémie et publié un rapport hebdomadaire sur la situation sanitaire. "Le message que j’ai essayé de faire passer depuis le début, c’est qu’il faut sortir des chiffres du quotidien. On ne suit pas, on ne comprend pas une épidémie de cette ampleur en suivant des chiffres tous les jours, d’abord parce que cela ne donne pas une réelle image de l’épidémie et, ensuite, parce que c’est anxiogène. [...] On explique ces chiffres en parlant de tendances qui vont avoir un impact immédiat", explique Sophie Quoilin, médecin épidémiologiste pour Sciensano.

L’analyse de tendances, plutôt que la publication de chiffres au jour le jour : cet avis est partagé par Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur de santé publique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). "Dans une épidémie, il y a des fluctuations au jour le jour. [..] Si vous me dites demain il y a 300 nouveaux cas hospitaliers, mais qu’aujourd’hui il y en a 150, cela ne va pas m’étonner, je vais dire 'c’est con', oui il a une augmentation, il mais ça peut venir d’un retard des hôpitaux, qui ont oublié d’envoyer leurs données. Cela peut aussi venir d’un foyer de contamination mal maîtrisé. Il ne faut pas paniquer et regarder si cela pérennise", souligne-t-il.

Toutefois, la périodicité d’une courbe n’est pas le seul facteur qui explique celle-ci. La mise en contexte est primordiale pour comprendre une hausse ou une baisse du nombre de cas. Si l’on prend pour exemple la courbe du nombre de tests pour la période de mars 2021, on constate que la population a effectué plus de tests à partir de la deuxième semaine de mars. De son côté, la courbe du nombre de tests positifs (en rouge, dans le graphique ci-dessous) montre une légère augmentation. En confrontant les deux courbes, l’augmentation du nombre de tests (et donc potentiellement du nombre de cas) pourrait donc s’expliquer par une hausse du nombre de personnes qui ont été testées au cours de la même période.

Covidata.be, une initiative citoyenne

Durant la pandémie, la volonté de comprendre les chiffres est devenue nécessaire pour certains mathématiciens. Tout comme chez Sciensano, des experts ont décidé de se regrouper pour travailler sur les chiffres de la crise.

Parmi les experts qui se sont penchés sur les données du Covid-19 en Belgique, Pierre Schaus, professeur en ingénierie informatique à Université Catholique de Louvain (UCL). Avec ses collègues, ils ont lancé la plateforme Covidata.be. Leur objectif est d’apporter un autre point de vue et de se rendre utile.

Pour traiter les données du Covid-19, l’équipe de Pierre Schaus utilise une technique différente de celle de Sciensano. En plus d’utiliser les données du centre de statistique, les experts de Covidata.be ont mis en place un algorithme qui "scrape" (ou extrait des données de manière automatique dans une page web ou un fichier accessible en ligne) des données sur différents sites de recensement.

Bien que le site ait repris du service en mars dernier, il avait été mis en pause durant de longs mois. Pour expliquer cette pause temporaire, le statisticien met en avant le problème de l’open data en Belgique. Aussi, certains rapports sont mis à la disposition des experts mais avec des données manquantes. Mais il souligne également le manque de moyens donnés aux experts capables de prévoir l’évolution de la crise.

Il y a un problème. Il y a un trou qui est en train de se développer entre ce qu’il y a dans les rapports et ce que nous sommes capables d’analyser à partir des données brutes. On a voulu simplement alerter les citoyens sur ce qu’il se passait.

Pierre Schaus, professeur en ingénierie informatique et co-fondateur de Covidata.be

Prédire la pandémie

Diffuser les chiffres de la pandémie, c’est aussi expliquer au public que celle-ci peut être prévue. Il n’est évidemment pas possible d’anticiper une épidémie. Par contre, il est possible de modéliser différents scénarios et ainsi anticiper la manière dont l’infection peut se comporter, pour prendre des mesures appropriées.

En utilisant des programmes et des algorithmes spécialement conçus pour modéliser une situation, des mathématiciens peuvent comprendre la situation de crise actuelle et ses potentielles évolutions pour différents secteurs (pharmaceutique, politique, médiatique).

Le 22 février 2021 lors d'une conférence de presse Alexander De Croo a mis en exergue le travail de l’équipe de Nicolas Franco, chercheur en modélisation mathématique pour l’université de Namur, sur les différents scénarios du déconfinement. Dans son rapport “Covid-19 Belgique : modèle SEIR-QD étendu avec maisons de retraite médicalisées et prévisions basées sur des scénarios à long terme” qu’il a publié en collaboration avec d’autres mathématiciens, ce dernier met en avant les différents scénarios auxquels on aurait pu s’attendre.

Nicolas Franco, nous explique les avantages des modèles prédictifs : "Il faut savoir que les modèles mathématiques de modélisation sont des choses qui existent depuis longtemps. En sachant ce qu’il fallait utiliser au niveau du programme informatique pour créer des modèles, je me suis lancé. Le but, c’est d’observer une série de personnes. Puis, j’ai été appelé par le GEMS (Groupe d’Experts de stratégie de crise pour le Covid-19). On a travaillé, avec bien d'autres mathématiciens, dans l'optique de faire ce qu'on appelle une modélisation en crochet. Soit créer des modèles différents et vérifier si chacun de notre côté on arrivait à des résultats semblables".

Modèle prédictif
Modèle mathématique de l'évolution du nombre de personnes hospitalisées la période du 14 mars au 1er avril 2020 inclus. Source : Université Catholique de Louvain (UCL).

Le chercheur en mathématiques estime également que l’idée du "chiffre du jour" n’est pas pertinente, notamment parce que le logiciel qu’utilisent les chercheurs du GEMS a besoin, en moyenne, d’une journée pour livrer des analyses, sans oublier le fait que les chercheurs ont besoin d’analyser une situation à partir d’une période précise.

D’autres chercheurs se sont aussi intéressés aux modèles prédictifs. À l’université de Louvain (UCL) en avril 2020, Eugen Pircalabelu et Antoine Soetewey, respectivement chercheur et doctorant à l'Institute of Statistics, Biostatistics and Actuarial Sciences, ont essayé de prédire l’évolution du nombre de cas en avril 2020 lors de la première vague d’infection. "Il s’agit de scénarios, de projections, on ne peut pas prévoir ce qu’il va se passer exactement, mais on prévoit le comportement des gens. Par exemple, on va mesurer durant une période par exemple mars, tous les indicateurs (hospitalisations, cas, test), on a donc eu une estimation du comportement des gens, du nombre de contacts. [...] Avec tout cela, on peut expliquer ce qu’il peut se passer pour les mois d’avril, mai et juin", indique Pierre Schaus.

Tout comme les prédictions météo ou de risque de tsunami, les scénarios proposés par les chercheurs doivent être lus au conditionnel, car les fluctuations du comportement peuvent influencer les résultats.

Comprendre les vaccins

Primordiale en période de pandémie, la pharmacovigilance permet de recenser les effets secondaires ou indésirables, d’une maladie ou d’un vaccin.

Face à la pandémie, la communauté scientifique a réagi rapidement pour tenter de stopper le coronavirus. AstraZeneca, Johnson & Johnson, Moderna, Pfizer : tous ces vaccins sont désormais disponibles, selon un calendrier progressif tenant compte de l’âge, des facteurs de comorbidité et des professions à risque.

En Belgique, la campagne de vaccination a été lancée en janvier 2021. A la mi-avril, 1.882.165 personnes avaient reçu, leur première dose de vaccin, et 621.653 personnes, leur deuxième dose. La pharmacovigilance est possible grâce au signalement par les personnes vaccinées des effets secondaires à leur médecins, ou via un signalement à l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS).

"Il ne faut pas se méfier des vaccins, ils ont montré leur efficacité. Par contre, il faut surveiller les vaccins. Là, c'est un vrai système de pharmacovigilance qui permet de faire de façon exhaustive les listes des effets secondaires. Beaucoup de gens qui se font vacciner et qui ont des effets secondaires n’en font pas état à leurs médecins généraliste : ils attendent que cela passe", affirme Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur de santé publique à l’ULB.

Dans les rapports qu'elle publie chaque jeudi sur son site, l'AFMPS liste par vaccin les différents effets secondaires, comme pour le vaccin Pfizer, dont les effets indésirables les plus fréquents sont les affections du système nerveux (par exemple, le risque de troubles de l’attention) ainsi que les affections musculosquelettiques du tissu conjonctif (thrombose).

"Une évaluation d'expert des signaux de sécurité est nécessaire. Les informations types qui doivent être prises en compte sont la fréquence, la gravité, la plausibilité et la qualité des informations contenues dans les rapports, la dose de médicament prise par le patient, le délai d'apparition de l'effet indésirable, toute maladie sous-jacente, l'utilisation simultanée d'autres médicaments. Lors de l'évaluation d'un signal, on recherche également s'il a pu se produire une erreur d'utilisation du médicament ou un défaut de qualité pendant la fabrication du médicament", nous explique-t-on à l'AFPMS.

Pour un même vaccin, les rapports publiés par l’agence prennent deux formes : l’un en français, faisant état de plusieurs effets secondaires, et l’un en anglais, plus précis et plus fourni qui trie les effets secondaires par type de réactions (illustration ci-dessous).

Faites glisser la ligne centrale de l'image pour découvrir les différences

L'AFPMS précise que la liste du nombre d’effets secondaires est plus fournie en anglais car elle recense les effets secondaires un à un, contrairement aux rapports en français qui, eux, classent différents effets secondaires sous la même appellation. L'agence fédérale souligne encore qu'un cas "peut inclure plusieurs effets indésirables appartenant à différentes catégories. La somme des cas par catégorie n’égale donc pas nécessairement le nombre total de cas rapportés".

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