Vivre sa vie

Après la présentation du projet d’Ethan et Franck, Daniel reprend la parole. Il évoque encore quelques initiatives pour les prochains mois comme un atelier d’auto-défense ou des animations scolaires autour du parcours de personnes en demande de protection internationale.

Avant le repas, il reste encore un dernier jeu, un pendu autour de paroles liées aux réalités LGBTQIA+ 

Des personnes arrivent encore dans la salle qui devient trop étroite. «Il faut vraiment une plus grande salle, c’est urgent», lance Céline. 

Le jeu va commencer.  Kira se propose comme animatrice. Elle s’en donne à cœur joie. On se trompe, on retient son souffle. Peu à peu, les lettres assemblées commencent à former un mot. COSMOPOLITE… OUTING… MAMMOPLASTIE…

«Maintenant, un mot à 15 lettres !», lance Kira.

 I-N-T-E-R-S-E-C-T-I-O-N-N-E-L

INTERSECTIONNEL !

«Tout le monde connaît ce terme ?», demande Daniel au groupe.  

Franck donne une explication : «C’est le croisement de plusieurs discriminations»

Dans la salle, un participant demande un exemple. «Un exemple ? Vous êtes tous des exemples», lance Daniel. 

Le jeu s’achève et le repas arrive. Céline et Edwige papotent un peu en attendant leur plat. «Et alors, tes cours de néerlandais ?», lui demande Céline. «J’aime beaucoup», lui répond Edwige. «Tu sors un peu, à côté de cela ? », poursuit Céline. « Non, j’attends de passer au CGRA.»

Edwige a quitté le Cameroun en 2023 et est arrivée en Belgique en 2024. 

«Il y avait des menaces qui pesaient sur moi. J’ai alors quitté mon pays et je suis passé par le Niger, l’Algérie, la Tunisie, l’Italie, la France, avant d’arriver ici finalement. Je ne connaissais personne», raconte-t-elle. 

Franchir le pas

C’est un ami qui lui parle alors de Daniel et du groupe de parole de Libramont. Une véritable révélation pour la jeune femme. «Dans un groupe comme celui-là, tu peux être toi, t’intégrer aussi. C’est un endroit où je me sens bien.» 

Au Cameroun, Edwige n’acceptait pas forcément qui elle était, n’osait pas s’affirmer, dire qui elle était tout simplement… « Je vivais ma sexualité en cachette. Je n’ai pas de mots pour expliquer la peur que cela représentait…» Comme d’autres, Edwige n’a plus de contact avec sa famille qui n’acceptait pas son choix.

Mais même en Belgique, Edwige n’a pas réussi à s’affirmer. «Cela prend du temps, surtout quand tu as dû te cacher toute ta vie. On doit trouver des endroits sûrs comme un groupe de parole pour franchir le pas…» 

Un pas qu’elle n’a pas pu franchir lorsqu’elle était en centre d’accueil. «On se dit que ce qui se passe au Cameroun ne peut pas se reproduire ici. Et pourtant, c’est parfois le cas…» C’est d’ailleurs une constante dans les témoignages des personnes migrantes LGBTQIA + que nous avons recueillis : outre le risque de harcèlement ou de discriminations, les centres d’accueil ne sont pas toujours en mesure de fournir une assistance et des mesures de protection adéquates pour les besoins des migrants LGBTQIA+. «Je n’osais pas y évoquer mon histoire. Le personnel m’a même conseillé de ne pas en parler. Le risque est alors de s’enfermer sur soi-même par peur d’être maltraitée comme c’est le cas dans un pays où on risque la prison parce qu’on est lesbienne, témoigne Edwige.  Dans le centre, je ne dormais quasiment pas. Je n’arrivais pas à fermer les yeux.»

Depuis quelques semaines, Edwige a retrouvé le sommeil. Elle n’a plus peur même. Elle se sent mieux. «Mieux que jamais… Comme jamais, peut-être. » Elle vient de rencontrer quelqu’un. «Je peux enfin vivre ma vie, comme je veux.»

Come To Be, une association pour et par les demandeurs de protection internationale LGBTQIA+

 

Elodie Pirsoul a fondé avec sa compagne l’association Come To Be, une asbl destinée aux demandeurs de protection internationale LGBTQIA+. «Une association pour, mais aussi par les demandeurs de protection internationale. Parce qu’on essaie de les responsabiliser, de les rendre actifs, militants sur les enjeux qui les entourent. On essaie de privilégier l’expérience. On a beau savoir des choses, être formés, c’est entre eux, par eux que le lien se fait plus fort.»

L’asbl liégeoise compte une septantaine de membres. Parmi lesquels Daladi, ressortissant camerounais arrivé en Belgique en 2018, et membre actif de Come To Be. «Il y a eu un changement depuis 2018 sur cette question. On en parlait peu, voire pas quand je suis arrivé. Il y a désormais une prise de conscience, des structures qui s’intéressent à cette réalité, à ces personnes.»

Pour sa part, Elodie Pirsoul s’est rendue compte de cette réalité quand elle travaillait à la Maison Arc-en-ciel de Liège. «Je travaillais au sein du service social. La majorité des personnes qui venaient étaient des personnes demandeuses de protection internationale. Il y avait une réelle demande qui n’était pas du tout rencontrée.»

Si l’objectif premier de l’asbl est de rompre l’isolement des demandeurs de protection internationale LGBTQIA+, la crise de l’accueil actuelle l’oblige à multiplier ses missions pour pallier les manquements de Fedasil en termes d’accompagnement social. «On loge, on nourrit, on fait du psycho-social. On est heureux de le faire… Mais ce n’est pas notre mission.»

Come To Be intervient aussi dans les centres d’accueil lorsqu’un de ses membres y rencontre des difficultés «parce qu’ils sont harcelés, parce qu’ils reçoivent des menaces. En tant que militants, on contacte la direction, et s’il n’y a pas de réponse, on mène d’autres actions militantes. Cela marche en tout cas. Le fait que la personne ait le soutien d’une asbl permet un suivi de sa situation.»

«C’est très important de sensibiliser dans les centres», renchérit Daladi, en évoquant sa propre expérience. «En 2018, j’ai dû changer de chambres au moins trois fois. Je devais rester tranquille, et subir ces menaces parce que je ne voulais pas changer de centre, étant donné que je suivais une formation à Liège. Dans le centre, j’étais rejeté, seul, et la seule solution souvent est de se taire…»

Avec le temps, et grâce au travail de l’asbl Come To Be, Daladi a appris à accepter qui il était, à l’assumer, à se sentir libre.

Mais pour Elodie, l’un des grands chantiers pour le futur est que les migrants LGBTQIA + puissent se retrouver dans toutes les asbl LGBT. «Si une asbl comme la nôtre existe, c’est qu’il y a des manquements, même au sein de la communauté.»