«C’est un espace de liberté»

«Mais là-bas près du comptoir en bois, nous on n’danse pas
On est là pour boire un coup, on est là pour faire les fous
Et pour se reboire un bon coup, et pas payer nos verres
Pour boire un coup et j’dirais même un bon coup
Et rigoler entre nous, sur des airs populaires, sur des airs populaires…»

Tandis que Marco et Antoine, les deux bénévoles, préparent les commandes qui arrivent, Jérémy s’est installé au bar. Durant toute l’après-midi, il ne quittera pas cette place stratégique. «C’est un bon client», plaisante Marco. Jérémy sourit. «Il ne faut pas l’écouter, tu sais…» Il veut me proposer une bière sans alcool. Je le remercie. «Chaque fois que je viens, j’aime bien rester au bar. Il y a une telle ambiance. La danse, ce n’est pas trop pour moi, même si Quentin, le DJ, met tout le temps de la bonne musique.» A ce moment-là, entre Michel Sardou et Village People, les chorégraphies s’enchaînent. Jérémy regarde les autres bénéficiaires, en sirotant son verre.
Marco, lui, est allé ravitailler les bénévoles en boisson et en chocolat. «Je m’occupe du petit personnel», plaisante-t-il avec un sens de la formule qui ne le quittera pas de la journée.

«On ne se quitte plus»

Il est arrivé vers 10 heures ce matin pour tout mettre en place. Pour l’aider dans sa tâche, il est accompagné chaque mois par Antoine. «On ne se quitte plus», lance Marco en direction de son collègue du jour.
Le matin, ils ont fait le tour du bar pour voir si tout était en ordre. «Tu as vu les ouvre-bouteilles ?», s’inquiétait encore Marco auprès de Myriam avant que les participants n’arrivent. Pendant deux heures, Antoine et Marco se chargeront des préparatifs : chips, verres… On vérifiera aussi les frigos. «Et les boissons ? Ce sera suffisant ? Tu sais que lorsque les bénéficiaires arrivent, ils ont soif.»
Chaque mois, la salle peut changer, avec une organisation et une disposition à revoir. Dans la salle, les deux garçons ne sont pas seuls. Quentin, le DJ, a passé la matinée à préparer tout le matériel, à vérifier les derniers réglages, de la sono jusqu’aux lumières. Quant à Myriam, elle a géré les derniers détails pratiques avec Gauthier, le remplaçant de Mélissa, pour qui la Groove est une première. Il s’occupera de l’accueil où les participants pourront se procurer des jetons pour acheter boissons et collations. Il sera rejoint avec Marie en début d’après-midi qui arrivera avec les premiers participants, parmi lesquels Alex, Nicolas, Camille ou Ajoy.

Une telle joie

Depuis deux ans, l’organisation de la Groove Party est parfaitement huilée, en reposant sur une équipe de bénévoles acquis au projet. Quentin, alors éducateur à l’asbl Cadre, avait l’habitude d’aller en boîte de nuit avec ses bénéficiaires. C’était à Barchon, toujours en région liégeoise. Mais le Covid est passé par là, et le rendez-vous s’est arrêté. «Un jour, plusieurs bénéficiaires m’ont expliqué qu’ils étaient tristes de ne plus aller danser», raconte-t-il. Musicien, et ayant du matériel de DJ, Il a alors eu l’idée d’organiser des petites fêtes l’après-midi. «Il y avait une telle joie, une telle énergie que je trouvais un peu dommage d’en rester là», poursuit-il. Il prend alors contact avec le commune pour trouver une salle et se coordonner avec d’autres services comme la Croisée ou le Relais pour lancer ce qui deviendra bientôt la Groove. Aujourd’hui, l’ancien éducateur travaille dans le privé comme graphiste, mais il réserve le mardi pour retrouver ses platines à la Groove. «Cette après-midi leur apporte du bonheur, de la détente, quelque chose qui sort du cadre des activités qu’on leur propose en institution. C’est un espace de liberté, un espace qui gomme le handicap. Je ne les vois pas comme des handicapés qui viennent à une activité, je les vois comme des personnes, des personnes qui viennent à une fête.»

 

L’heure de la surprise

Quand tout fut prêt, il ne restait plus qu’un détail à régler… Qui pour rentrer dans le costume de Saint-Nicolas.
«Antoine, t’es grand! Tu ferais ça à merveille!», lance Myriam au jeune bénévole. «Affirmatif», ajoute Marco à son collègue de bar. Antoine, lui, préfère faire la sourde oreille derrière le comptoir.
«Tu sais quand il va arriver ?», me demande Kevin avec impatience. «Je n’attends que cela!», poursuit-il. Et il n’est pas le seul apparemment. Pour cette Groove, la grand Saint est attendu avec son cortège de friandises et de cadeaux. Soudain, la musique s’arrête.
«On a une surprise», annonce Quentin, le DJ. Voilà Saint-Nicolas qui débarque sur la piste. Kevin accueille le grand Saint au son de la comptine enfantine. «Venez, venez Saint-Nicolas!»
Au final, ce n’est pas Antoine, mais le mari de Myriam qui joue le rôle et il se démène tant bien que mal avec un costume trop grand pour lui et une mitre bien capricieuse qui refuse de tenir sur sa tête. Mais qu’à cela ne tienne la féerie est au rendez-vous. Les participants s’approchent de lui pour immortaliser le moment.

Saint-Nicolas se dirige vers Quentin aux platines. Il s’adresse à la foule : «Vous allez bien ?» Et tout le monde lui répond. Saint-Nicolas annonce qu’une surprise attend les participants à la sortie au vestiaire. Et tout le monde se réjouit déjà de la découvrir. Saint-Nicolas lance un “hip hip” et la foule répond évidemment comme il se doit. Avant de descendre, il lance une musique. C’est Please, don’t stop the music. Tout est dit.
En revenant sur la piste, Saint-Nicolas fait quelques pas de danse. Plusieurs participants se pressent vers lui. Il y aura encore quelques photos et de beaux sourires. Un moment suspendu parmi tant d’autres en cet après-midi qui s’achève doucement. «Et on ne vous entend plus ?», lance Quentin à la foule laquelle répond immédiatement d’un grand «Oui !» Il n’en fallait pas plus pour relancer la machine.

La dernière danse

«Dans les anniversaires, dans les bals populaires
Pour les nouveaux mariés, pour la nouvelle année
Même dans les discothèques quand on veut faire la fête
Il n’y a rien de plus simple, il suffit de danser
À-À-À la queuleuleu…»

Pour Patrick, c’est la dernière danse. Au rythme de la complainte populaire, il se glisse dans une chenille qui rassemble tous les bénéficiaires encore sur la piste. Les personnes en chaises sont à l’avant et mènent la danse. Patrick, lui, s’amuse comme un fou en criant à tue-tête les paroles de la chanson.
«C’était bien pour une première», me dit-il. «J’espère qu’il y en aura d’autres». Ses éducateurs viennent le chercher pour retourner à Spa. Le petit groupe se dirige vers le vestiaire.
Plutôt que de rester sur la piste, Arnaud a passé toute son après-midi à aider l’équipe. «C’est la 12e fois que je viens», me dit-il. Il va chercher les vestes des uns et des autres, accompagné de Roland, un bénévole. «Tiens, ce n’est pas mon manteau», glisse un participant. Arnaud fait des recherches entre les tringles, sous le regard complice de Roland.
«Quand tu les vois tous en piste dès que la musique est lancée, c’est magnifique», m’explique-t-il.
Marie, elle, distribue les friandises apportées par Saint-Nicolas. Tout le monde reçoit spéculoos et clémentines.
Peu à peu, la piste se vide. Les groupes s’en vont les uns après les autres.
Axel et Camille, eux, continuent encore à danser, et pour longtemps. Nicolas est à leurs côtés. Dès son retour, il ira retrouver son tableau blanc sur lequel il décomptera les jours jusqu’à la prochaine Groove, comme si la vie était une fête.