« La reconnaissance, c’est un long processus. Cela prend du temps, et c’est bien que ce soit ainsi. On ne va pas improviser un nouveau soin comme ça… » Patiente depuis plus de 15 ans, Valéria Milewski est prête à l’être encore pendant les 15 prochaines années s’il le faut. N’empêche, la trajectoire de la biographie hospitalière, depuis sa naissance en 2007, est claire et ascendante.
La possibilité de pouvoir en vivre, d’abord. Valéria Milewski est devenue salariée de l’hôpital de Chartres, dans l’ouest de la France. Intégrée au sein de l’équipe depuis 18 ans, son rôle se complète avec les autres soins. Aujourd’hui, 25 personnes à travers toute la France sont rémunérées en tant que biographes hospitaliers, toutes parties prenantes d’un staff médical. Quatre d’entre elles sont comme Valéria sous contrat, en CDI, tandis que les autres travaillent sous statut d’auto-entrepreneur. L’objectif est bel est bien que la pratique soit considérée comme un métier. Qu’elle soit reconnue comme un soin à part entière, au sein de la société.
En ce sens, la rémunération est essentielle. La première des « passeuses » ne cesse de mettre en garde contre les risques posés par le bénévolat. « Si c’est identifié comme du bénévolat, alors ce ne sera jamais un métier, ce ne sera pas reconnu comme tel ». Le financement est évidemment le nerf de la guerre. Passeurs de mots et d’histoires, l’association française originelle créée en 2010, a d’ailleurs intégré la question dans sa formation. Les futurs passeurs apprennent à monter des dossiers, à trouver des financements, devenant des « entrepreneurs sociaux ». « Il ne faut pas avoir peur d’aller chercher de l’argent », insiste Valéria Milewski, « c’est nécessaire. En fin de compte, c’est pour le patient que l’on se démène ».
La naissance de la pratique en France a quelque chose de paradoxal, car elle aurait pu naître dans un autre pays francophone. En Belgique, en Suisse ou au Canada, les questions sur la fin de vie y sont plus avancées, l’euthanasie une pratique solidement ancrée. Contrairement à la France où la thématique commence seulement à se faire une place dans le débat public.
Entre-temps, la biographie hospitalière a franchi depuis un an un cap dans son évolution, elle dispose désormais d’un diplôme inter-universitaire qui lui est entièrement dédié, à la faculté de médecine de l’Université catholique de Lille. Parmi les étudiants de la première promotion, en 2024-2025, une Belge, Vinciane Saliez, qui a fondé, à ce moment-là, son asbl affiliée à l’association française de Valéria Milewski.
« Les humains ont toujours eu besoin de se raconter, de laisser des traces », défend Vinciane, qui insiste sur «un projet qui fait du bien aux patients, en les mobilisant, avec le livre comme objectif ». Mais pour l’heure, la priorité est ailleurs. Un des flyers de Papier de soi ne s’y trompe pas : « Et si la biographie hospitalière devenait un projet de votre équipe ? », questionne-t-il à l’attention des équipes soignantes.
« Il faut chercher des alliances sur le terrain », confirme Catherine Tellin d’Am&mo, qui veille à trouver des partenariats de longue durée pour les passeuses de son asbl. Pour cela, « il faut que les médecins et équipes soignantes y croient ». « On est à un tournant crucial », constate-t-elle, « mais on ne peut pas se permettre d’aller trop vite dans notre développement ». Constat partagé par Vinciane Saliez, qui assure que « trouver des équipes intéressées n’est pas tant le problème, c’est surtout celui de la question financière ».
L’objectif est clair, aussi bien pour Am&mo que pour Papier de soi : que des passeurs puissent pratiquer à titre professionnel en Belgique francophone, rémunérés au sein d’équipes soignantes. Cela passe par des subsides, que les deux asbl recherchent auprès des institutions, des fonds, des hôpitaux… Chacune a d’ailleurs l’appui de la fondation Ginette Louviaux, qui soutient le secteur des soins palliatifs dans la partie francophone du pays.
La biographie hospitalière en Belgique se sait donc déjà à un tournant, car il s’agit de savoir la forme qu’elle pourra prendre. Le difficile mais indispensable besoin d’être intégré de manière permanente à des équipes de soin semble indissociable d’une incorporation plus large dans l’écosystème sanitaire Belge. Une réelle reconnaissance impliquera forcément un soutien des pouvoirs publics, et donc politique. Les passeuses belges l’ont bien compris et tentent de sensibiliser les élus pour faire bouger les choses, en se rendant à des colloques, en sollicitant des rencontres auprès de cabinets ministériels. Papier de soi a par exemple obtenu un soutien au niveau provincial de la part du Brabant wallon.
« Moi je suis là, si ça peut aider à développer la pratique, après chacun se l’approprie, l’adapte à la culture de son pays », dit Valéria Milewski, en mission pour la reconnaissance et l’expansion internationale de la discipline. Prête notamment à venir « rencontrer des ministres si besoin ».
En attendant, chez Pallialux, le bénévolat convient aux passeuses et les demandes ne ralentissent pas. Nadine et Marita ont été de nouveau sollicitées avant même d’avoir remis l’ouvrage de leur dernière biographie. Parmi les patients, l’intérêt ne fait plus de doutes.