« Crois-moi, tout le monde, je dis bien tout le monde, a une histoire à raconter. Parce que la vie est un récit en soi ». Ces mots de l’écrivain américain Douglas Kennedy, inscrits sur des cartes postales présentant l’Asbl Am&mo (Âmes et mots), sont accompagnés d’une devise : « Soigner par le récit ». En retournant les cartes, distribuées auprès des patients, une question : « Vous avez envie de laisser une trace écrite de votre histoire ? » Et une proposition : « L’équipe soignante peut prendre contact pour vous avec les passeurs de mots de l’Asbl ».
«Laisser sa trace», «passeurs de mots», «soin et récit associés»… Tout un vocabulaire qui introduit à une pratique nouvelle : la biographie hospitalière. Son idée de départ est simple mais parle à tous : recueillir l’histoire des personnes en fin de vie. Leur offrir la possibilité d’une écoute pour transmettre le récit de leur existence. Et dans le processus, trouver une forme d’apaisement.
En somme, soigner par le récit. Comme le propose en Belgique francophone depuis trois ans l’Asbl Am&mo dans certaines structures palliatives, hôpitaux, et maisons de repos. Mais la pratique remonte à 2007, pensée en France où elle fut conçue et mise en pratique par Valéria Milewski, reconnue comme sa fondatrice.
« L’idée m’est venue un matin au réveil… » Valéria ne se l’explique pas autrement. « Tout était déjà là en fait ». Le soir d’avant, un professeur lui avait suggéré d’écrire sur ce qu’elle voudrait faire. Puis au réveil, « tout était prêt dans ma tête ». Écouter les récits de vie des autres, à l’approche de leur mort. Apporter un soin, à eux et à leurs proches, en récoltant leur récit de vie. Transmettre leur histoire à travers un livre. En revanche, que cela puisse devenir un jour un soin intégré à des pratiques médicales, Valéria ne l’imaginait pas encore. Pourtant, elle en vit aujourd’hui, et cela est devenu non seulement son métier, mais aussi un métier en soi. Un nouveau type de soin venu s’ajouter, tel un outil, à la panoplie des soins palliatifs, destinés à apaiser les douleurs des personnes dont les vies s’éteignent.
Les biographes sont aussi appelés « passeurs de mots ». Mais l’on parle plus souvent de « passeuses », la pratique étant en grande majorité féminine. Son « accompagnement biographique », la passeuse le débute au sein d’une équipe médicale à laquelle elle est intégrée, comme soin complémentaire à d’autres. L’introduction auprès du patient débute par la signature conjointe d’une convention, qui instaure un cadre juridique clair. Ensuite, la passeuse écoute le patient, recueille son récit. En général, il faut trois à quatre séances, d’environ une heure chacune. Enfin, la retranscription du témoignage jusqu’à l’élaboration de l’ouvrage final, remis en mains propres au patient ou à sa famille.
Le soin est gratuit, élément essentiel. Rien ne doit interférer dans ce moment suspendu.
« C’est ce temps d’arrêt qui m’a beaucoup plu », se souvient Vinciane Saliez, en se remémorant sa découverte de la biographie hospitalière. La Brabançonne a fondé en 2024 l’Asbl Papier de soi, basée en Wallonie, deuxième association belge dédiée à la pratique. Elle y voit un alliage entre les deux causes auprès desquelles elle souhaitait s’engager, le social et la santé. L’autre asbl, Am&mo, est basée à Bruxelles et a été co-formée en 2022 par la psychologue Catherine Thellin, la médecin Marie-Jeanne Jacob, et le philosophe éthicien Franck Devaux.
Au cœur du soin biographique, l’écriture. Un absolu, « s’effacer soi et sa plume », pour laisser place au « Je », comme si la personne écrivait elle-même l’ouvrage. Celui-ci n’est d’ailleurs signé que du nom du patient. Savoir « sortir de son style » devient donc impératif pour le passeur, qui se doit d’adopter le style oral de la personne pour faire transparaître sa façon de s’exprimer.
Au cœur de la pratique, le livre, l’objet-symbole. Destiné à « laisser une trace », Valéria Milewski le considère comme un leg qui va pouvoir être transmis de génération en génération : « que l’arrière-petit-enfant puisse lire l’histoire de son arrière-grand-parent », résume-t-elle. Raison impérative pour laquelle « il fallait que ce soit un très bel objet ». Elle a d’ailleurs remarqué que certaines familles de patients « le caressent, comme on caresse l’être cher ». Une matérialisation du souvenir, un objet palpable témoin de ceux qui ont vécu. Les patients en choisissent la couleur, parfois même le type de reliure. « Le livre conjure l’oubli. Il répare ceux qui vont mourir, et tout autant les vivants ». À la fin de l’ouvrage, l’absence de point final. À la place, des pages blanches. Symbole d’espoir, en pied-de-nez à la fin de vie. Libre aux proches de les compléter ou non, au patient s’il le peut. Cette idée, c’est un des premiers patients de Valéria qui lui a suggéré.