«Il a fallu laisser les sages-femmes entrer sur notre territoire.» Cela fait quelques minutes que Marie-Sophie Varzos s’est installée à la table du Nid et la voilà déjà qui met le doigt sur l’un des enjeux du projet: la relation entre l’équipe du Nid et les gynécologues du CHU. Elle est plutôt bien placée pour en parler puisque Marie-Sophie Varzos est cheffe de service gynéco au CHU.
Et il est vrai que le projet du Nid est venu en quelque sorte «inverser» la logique de l’accouchement traditionnellement à l’œuvre. «D’ordinaire, c’est la ou le gynécologue qui est aux commandes. Ici, quand je fais un accouchement pour le Nid, je ne mets pas la paire de gants, je suis là pour assister en quelque sorte», continue Marie-Sophie Varzos. Si aujourd’hui plus personne ne remet en cause l’existence du projet et que tout le monde semble convaincu qu’il était «nécessaire», la cheffe de service note tout de même qu’à la question de savoir si tout le monde adhère complètement à celui-ci, sa réponse serait «plus nuancée» tant il semble qu’il ait bousculé pas mal d’habitudes. «Il y avait des choses que l’on faisait sans trop se poser des questions, comme le monitoring en continu, la désinfection du périnée jusqu’aux cuisses. C’était tellement dans les mœurs… À titre personnel, j’ai appris à laisser les femmes pousser plus longtemps alors qu’il fut un temps où, après 30 minutes, on optait pour le forceps», continue Marie-Sophie Varzos, qui note aussi que depuis l’avènement du Nid, le nombre d’épisiotomies a largement diminué au sein du CHU. Un signe, pour toutes les personnes autour de la table, de l’influence du Nid sur les pratiques du CHU, mais aussi de l’inverse. Car si Le Nid impacte donc le CHU, ce dernier a aussi gardé une influence sur le projet d’un point de vue médical.
Car la confiance dont bénéficient maintenant les sages-femmes du projet de la part des gynécologues et de l’institution ne veut pas dire que ceux-ci n’ont plus rien à dire. Lors de la genèse du projet à laquelle elle a participé, Marie-Sophie Varzos a d’ailleurs insisté pour qu’un protocole médical clair soit maintenu. «On souhaitait garder certaines choses: un monitorage du cœur du bébé, une ‘voie d’entrée’ (au niveau des veines, afin de pouvoir installer une perfusion dans un délai court s’il le faut, NDLR), continue Marie-Sophie Varzos. La majorité des grossesses se passent bien, mais quand ce n’est pas le cas, il faut aller très vite.»

Un point qui semble également important pour Xavier Muschart, médecin-chef du site de Sainte-Elizabeth, qui souligne que «l’on meurt encore quand on accouche, même en Belgique» lorsque nous lui parlons par téléphone. Dans ce contexte, si on a beaucoup parlé de la confiance faite aux sages-femmes par les gynécologues, il faut aussi que cela soit réciproque et que les sages-femmes apprennent à lâcher prise quand il le faut. «La sage-femme qui a accompagné un couple dans son projet de naissance s’attend que tout se passe bien, souligne le médecin-chef. Or, certaines pourraient parfois avoir du mal à admettre que ça part en vrille.»
Cette dernière phrase vient aussi remettre sur la table un autre enjeu dans ce dossier: la responsabilité des sages-femmes lors de ces accouchements qu’elles performent «en solo» alors que, traditionnellement, elles se trouvent en soutien des gynécologues, avec moins de pression et de responsabilités sur les épaules. Noémie Morer, une autre des sages-femmes du Nid maintenant attablée dans la petite maison de pierres, exprime tout cela avec beaucoup de franchise. «Dans ce travail, on est confrontées à toutes sortes de questions, comme celles de la vie et de la mort. C’est assez challengeant et le fait que les accouchements se passent au sein du CHU est un confort à ce niveau. S’il y a un problème, je sais que j’ai un gynécologue tout près.»
Cette «pression» peut expliquer aussi en partie pourquoi Le Nid a parfois eu du mal à trouver des sages-femmes prêtes à s’engager dans le projet. Gardes de nuit, statut d’indépendantes conventionnées pour les sages-femmes, responsabilités accrues: le quotidien ici diffère largement de celui des sages-femmes employées au CHU ou dans d’autres hôpitaux en salle d’accouchement. «L’autonomie conférée par Le Nid a un prix, souligne par téléphone Murielle Conradt, présidente de l’Union professionnelle des sages-femmes francophones belges (UPSFB). La disponibilité demandée est énorme et beaucoup de sages-femmes ont peur de l’autonomie, toutes n’ont pas cette envie. Elles ont aussi des habitudes, elles aiment bien quand la femme reçoit une petite péridurale, par exemple. Or le changement fait peur.»
Dans ce contexte, on imagine mal «Le Nid» prendre de l’importance, d’autant plus que ce n’est pas la volonté du projet, qui entend rester à taille humaine. «Nous ne voulons pas devenir énormes, cela n’aurait aucun sens. Mais nous sommes par contre enthousiastes à l’idée que ce type de projet essaime un peu partout», conclut Noémie Morer.