Louise, 81 ans, vit chez elle avec son fils. C’est sa fille cadette qui a composé le 0800 30 330, numéro d’appel gratuit de Respect Seniors, inquiète de voir sa mère évoluer dans un climat de tensions croissantes, rythmé par les humiliations, insultes et menaces proférées par son frère. Ce dernier puise aussi régulièrement dans le compte en banque de leur mère, sans jamais participer lui-même aux charges du quotidien, ce qui occasionne des difficultés financières de plus en plus importantes…
Loin d’être exceptionnelle, la situation de Louise est en réalité assez représentative de la maltraitance des aînés. Contrairement à une idée reçue, la majorité des victimes vivent à domicile (63 % des situations rencontrées selon le rapport annuel 2024 de Respect Seniors) et non en institution. Toujours selon les chiffres de l’asbl, dans 66,1 % des cas, la personne maltraitée est une femme. Dans 52,5 % des cas, l’auteur de la maltraitance est un membre de la famille et dans 33,5 % des cas, le premier appelant à donner l’alerte est aussi un membre de la famille.
« Les difficultés liées à la cohabitation à domicile sont fréquentes, commente Mélanie Oudewater, coordinatrice de l’équipe psychosociale à Respect Seniors. Parfois, c’est la personne âgée qui revient vivre avec les enfants et petits-enfants, ou c’est un enfant adulte qui revient vivre chez la personne âgée. Mais cet adulte a parfois des problèmes d’assuétudes, il peut lui prendre son argent, profiter de sa fragilité et du lien de confiance qui existe entre eux : c’est justement ça qui est compliqué. Car souvent, la personne âgée ne voudrait pas non plus se retrouver sans son fils, lui faire du mal… Il y a aussi des situations de négligence : on laisse la personne âgée enfermée dans sa chambre pour qu’elle ne tombe pas dans les escaliers… mais on la prive alors de la liberté d’aller dans son jardin alors qu’elle adorait ça… »
Pas nécessairement intentionnelle
La maltraitance est définie par le Code wallon de l’action sociale et de la santé comme « tout acte ou omission commis par une personne ou un groupe de personnes qui, au sein d’une relation personnelle ou professionnelle avec un aîné, porte ou pourrait porter atteinte physiquement, moralement ou matériellement à cette personne ».1
Elle n’est donc pas nécessairement intentionnelle, mais peut parfois résulter au contraire d’un « excès de bientraitance » : pour le protéger, par simplicité ou par habitude, on ne tient pas compte des choix de l’aîné, de sa volonté ou de ses désirs propres. Par ailleurs, la maltraitance ne s’ancre pas toujours dans la répétition : un acte isolé peut être vécu comme maltraitant, avec des conséquences importantes sur la santé physique et mentale. Enfin, la maltraitance advient toujours dans le contexte d’une relation de confiance (lien familial, lien professionnel, lien d’amitié, lien social…), ce qui rend ces situations particulièrement difficiles à identifier et décrypter. « On pense encore souvent que la maltraitance est d’abord de nature physique, poursuit Mélanie Oudewater, mais c’est en réalité la forme de maltraitance la plus rare. Maltraiter, ça peut aussi être prendre des décisions à la place de la personne, ne pas respecter son intimité… En maison de repos, on voit souvent des professionnels s’étonner de découvrir que oui, entrer sans frapper, ça peut être maltraitant. »
Sophie Bellemans, psychologue au sein de l’antenne du Hainaut oriental de Respect Seniors, souligne de son côté la confusion fréquente entre besoin d’aide et autonomie décisionnelle : « Inconsciemment, quand une personne devient dépendante pour certaines choses de la vie quotidienne, les proches auront souvent tendance à prendre de plus en plus de décisions à sa place », explique-t-elle. Ainsi voit-on des enfants faire volontiers les courses pour leur mère, mais refuser de lui ramener les cigarettes ou la bouteille de vin qu’elle avait demandé… Il existe pourtant, pour tout majeur, un « droit au risque », rappelle Respect Seniors.
1Code wallon de l’action sociale et de la santé – Partie décrétale, décembre 2011