Les raisons du silence

On classe généralement la maltraitance en cinq catégories : physique (18, 9 % des cas selon les statistiques du rapport annuel 2024 de Respect Seniors), psychologique (52,3 % des cas), financière (32% des cas), civique (30,7 % des cas) et relevant de la négligence (32,9 % des cas).

« Au moment du covid, nous avons observé une augmentation du nombre d’interpellations, relevant particulièrement de la maltraitance civique. En voulant sécuriser les aînés à tout prix, on les a privés de leurs droits », commente Sophie Bellemans. Cette forme de maltraitance inclut des actes tels que le détournement d’une procuration de vote, la gestion non souhaitée des biens, la limitation de la liberté, la privation de l’exercice d’une pratique religieuse, l’atteinte à la liberté du choix thérapeutique, le contrôle des relations en ce compris le choix d’un nouveau partenaire ou les choix sexuels… «  La maltraitance civique, ce sont aussi des placements en maisons de repos qui ne sont pas souhaités, poursuit Sophie Bellemans. Ou dont on prétend qu’ils sont temporaires alors qu’en réalité, il n’y aura jamais de retour à domicile. La personne se trouve ainsi privée du choix de son lieu de vie. »

Pascale Broché, psychologue au sein de l’antenne Respect Seniors du Brabant Wallon, rappelle de son côté que « le droit n’a pas d’âge » : « Pourtant, dans notre pratique quotidienne, on a souvent l’impression que les droits humains auraient une date de péremption… Mais les aînés sont des majeurs comme les autres ! » 

4175 appels en 2024

Créée en 2009 et financée par le Gouvernement wallon, l’asbl Respect Seniors trouve son origine dans les constats et inquiétudes de certains professionnels de terrain face au sort réservé aux aînés dans une société vieillissante. « Dès les années 80, des médecins généralistes de la région de Liège ont initié une réflexion sur les situations de maltraitance, raconte Dominique Langhendries, directeur de Respect Seniors. Il y a eu un premier regroupement et la création en 2000-2001 d’un numéro unique avant que les différentes entités wallonnes se regroupent en une seule asbl. »

Respect Seniors possède désormais six antennes réparties sur le territoire wallon (Brabant Wallon, Hainaut occidental, Hainaut oriental, Liège, Luxembourg, Namur.) « Certaines personnes nous appellent juste pour déposer certaines choses, détaille Mélanie Oudewater. D’autres ont besoin d’être orientées vers un service ou par rapport à certaines démarches, le dépôt d’une plainte… Dans tous les cas, nous essayons d’avoir la personne âgée directement au téléphone, afin de la mettre au centre de la réflexion et de ne jamais prendre de décision sans son accord. » 

Si nécessaire, un accompagnement psychosocial assuré par un binôme psychologue-assistant social peut être proposé. « L’une de nos forces, c’est que ces suivis ne sont pas limités dans le temps, poursuit la coordinatrice de Respect Seniors. On se déplace à domicile ou auprès des équipes professionnelles et on propose parfois une conciliation, c’est-à-dire un espace de dialogue, par exemple dans une fratrie où les frères et sœurs ne sont pas d’accord sur ce qu’il faudrait faire pour leur parent âgé, avec ce parent qui se retrouve au milieu de ces désaccords sans espace pour exprimer ses propres craintes, souhaits…»  

En 2024, l’association a reçu pas moins de 4175 appels, dont plus de 2 100 effectivement en lien avec des situations de maltraitance. 875 situations ont fait l’objet d’un accompagnement psychosocial, avec une majorité de cas touchant des femmes âgées vivant à domicile, souvent désignées comme victimes de proches.

« Les personnes qui nous appellent, ce n’est que la pointe visible de l’iceberg, commente à ce propos Dominique Langhendries. Car aujourd’hui encore, beaucoup de personnes dans des situations de maltraitance gardent le silence. Les raisons à ce silence sont de trois ordres : la peur des représailles, qu’il s’agisse de la famille ou des professionnels, le fait qu’on ne se rende pas compte qu’on est dans une situation de maltraitance, et enfin le fait que l’auteur soit un membre de la famille, avec de l’affectif en jeu. »