La maltraitance des aînés entretient par ailleurs un lien étroit avec la notion d’âgisme, aujourd’hui de plus en plus étudiée. Dans les années 60, Robert Butler, psychiatre et gérontologue américain, définissait pour la première fois l’âgisme comme « un profond malaise de la part des jeunes et des personnes d’âge moyen — une répulsion personnelle et un dégoût pour le vieillissement, la maladie, le handicap ; et la peur de l’impuissance, de ‘l’inutilité’ et de la mort ».
Aujourd’hui, selon l’OMS, plus d’une personne sur deux dans le monde manifesterait des attitudes âgistes et 1 personne âgée sur 6 serait victime de maltraitance. 1 En 2021, une enquête menée en Belgique par Amnesty International révélait pour sa part que sept aînés sur dix se déclaraient victimes de préjugés et de stéréotypes en raison de leur âge, tandis qu’un aîné sur trois disait se sentir vieux dans le regard des autres, alors que 89% d’entre eux se sentaient pourtant jeunes d’esprit et 87% bien dans leur peau…2
Toujours selon cette étude, seuls 67 % des 75 ans et plus se disaient intégrés dans la société actuelle contre 79% des 55-64 ans. 46% des 75 ans et plus constataient par ailleurs que leur opinion était devenue moins importante aux yeux des autres, contre 26 % des 55-64 ans.
Recourir à un « agiomètre »
L’âgisme est donc probablement la forme de discrimination la plus banalisée mais aussi celle à laquelle personne n’échappera. « La société, notamment à travers ses médias, entretient une vision assez négative, stéréotypée et stigmatisante du vieillissement, commente Sophie Bellemans. Cet âgisme peut être considéré comme le terreau de la maltraitance mais aussi comme une forme de maltraitance en soi. »
Afin de sensibiliser à la fois les aînés et les professionnels de la santé et de l’aide sociale, Respect Seniors envisage ainsi de recourir à un « agiomètre » (sur le modèle du « violentomètre » utilisé pour sensibiliser aux violences sexistes et sexuelles), conçu pour identifier et mesurer les manifestations de l’âgisme et les situations de maltraitance envers les personnes âgées qui en découlent.
Dans une récente étude, Vassilis Saroglou et Stefan Agrigoroaei, chercheurs à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCLouvain3, ont par ailleurs démontré que certains profils psychologiques étaient particulièrement susceptibles de manifester des attitudes âgistes. Or ces traits sont ceux que l’on retrouve aussi chez les personnes qui manifestent du racisme, du sexisme et de l’homophobie : premièrement, une forme de conservatisme, d’autoritarisme et de conformisme par rapport au groupe ; deuxièmement, un profil de dominant social (croyance que les groupes sociaux auxquels on appartient sont meilleurs que les autres) ; troisièmement, une priorité donnée à la réussite personnelle quels que soient les moyens nécessaires pour y arriver ; quatrièmement, une faible flexibilité par rapport à ses propres croyances (incapacité à imaginer que l’on pourrait un jour penser différemment). Selon les chercheurs, les individus âgistes manifestent aussi une anxiété particulièrement élevée par rapport à leur propre mort : leur attitude s’assimile ainsi à une stratégie d’évitement, qui leur permet de rejeter l’idée qu’ils seront un jour eux-mêmes « vieux ».
La menace du stéréotype
Dans cette étude, les chercheurs montrent enfin que l’âgisme bienveillant (comportements maternants ou paternalistes) est plus répandu que l’âgisme hostile (invisibilisation, négligence, dénigrement…) mais que les conséquences de l’âgisme bienveillant sont tout aussi délétères pour la santé physique et mentale des aînés, notamment en raison de la « menace du stéréotype » : lorsqu’une personne âgée anticipe qu’elle est perçue par l’autre comme incapable ou trop vulnérable pour accomplir une tâche, sa capacité à effectuer cette tâche diminue automatiquement.
« Le terreau âgiste, qui suppose que tous les vieux sont fragiles, entraîne un accompagnement interventionniste et protecteur, même quand les aînés ne le souhaitent pas », résume Sophie Bellemans. Et Pascale Broché d’ajouter cette phrase attribuée à Ghandi : « Ce que tu fais sans moi, pour moi, tu le fais contre moi. »
1Global report on ageism, WHO, 2021
2https://www.amnesty.be/IMG/pdf/resultats-sondage-aines-agisme-2021.pdf
3 Saroglou, Vassilis & Agrigoroaei, Stefan & Giorgio, Antonella & Fraselle, Alix. (2025). Do Benevolent and Hostile Expressions of Ageism Really Differ? The Underlying Role of Social Attitudes, Personality, Values, Emotions, and Beliefs. Journal of Community & Applied Social Psychology. 35. 10.1002/casp.70169.