Quand on aime, on ne compte pas

Il est 21h15 et Antoine peine un peu à mettre les derniers ados qui papotent avec leurs parents dehors. On est vendredi soir et le week-end de l’animateur-coordinateur ne fait que commencer. Ce soir, il doit encore passer chez des collègues de Couvin chercher du matériel de cirque ; demain, il passera chercher trois jeunes pour les emmener à un week-end inter-MJ sur la lutte contre le racisme ; dimanche, quand les activités du week-end finiront, il aura le temps de passer quelques heures à la Fête des Droits de l’enfant et des jeunes organisée avec l’AMO (Action en Milieu Ouvert) du coin, le Plan de Cohésion Sociale (PCS) de la commune et la bibliothèque. Joli programme. Du haut de ses 34 ans, il garde d’excellents souvenirs de son passage à la Maison des Jeunes de Chimay : une passion pour la guitare et un voyage en vélo de l’Atlantique à la Méditerranée. Il est sans aucun doute là parce qu’il croit profondément en la nécessité d’une telle  Maison  dans ce coin dans lequel il a passé son enfance. «Pendant un moment, je me suis investi sans trop compter», nous dit-il en souriant. Quitte à jouer un peu trop avec sa santé.

 

Brique par brique

 

Quand Antoine arrive à Momignies en 2022, les prémices de la MJM sont déjà en route. L’AMO Oxyjeunes et le Plan de Cohésion Sociale du coin avaient reconnu le manque de structure pour les jeunes dans la petite commune. Les élus communaux et la fondation Chimay Wartoise se mettent d’accord pour financer un temps plein pendant un an. A l’époque, le local ouvre quatre fois par mois. Pour entrer dans les conditions de subventionnement de la Fédération Wallonie-Bruxelles défini par le décret du secteur (NDLR : à ne pas confondre avec celui des Organisations de Jeunesse pour les spécialistes), «Il fallait 800 heures d’activités minimum réparties sur l’année. Un minimum de 10h d’accueil par semaine et 10 activités socio-culturelles par mois. Un véritable défi», se rappelle Antoine. 

En parallèle, il faut construire un dossier solide, un plan d’action quadriennal, une ligne téléphonique, une analyse du public de la région, des notes pédagogiques, etc. Antoine loupe une première fois l’agrément en 2023, faute d’une attestation de sécurité du bâtiment qui n’arrivait pas. Après avoir demandé une prolongation de son contrat à la commune, il dépose un joli petit dossier de 189 pages en 2024. Soulagement, les subventions arrivent. Ils reçoivent deux équivalent temps-plein pour faire tourner et stabiliser la baraque. 

 

De nouvelles histoires comme celle de Momignies, ce ne sera plus possible en 2026. Valérie Lescrenier (Les Engagés), Ministre de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles, a annoncé un moratoire empêchant toute nouvelle demande d’agréments ou changements de «grade» en 2026 et 2027. La communication gouvernementale annonce un «temps de respiration» et la nécessité que la jeunesse «fasse sa part» dans un contexte de redressement budgétaire. Dans un premier temps, on peut penser que le secteur a seulement été mis sur pause. Le secteur des centres de jeunes est d’ailleurs pour l’instant encore épargné de gel de l’index, contrairement au secteur de l’enfance (on pense principalement à l’ONE), ce qui peut créer des crispations (et des solidarités) dans des secteurs qui ont l’habitude de se côtoyer. 

 

Saint-Nicolas chez la ministre

 

Seulement, les Maisons de Jeunes ont peur pour l’avenir. Durant le week-end inter-MJ auquel participait Momignies, les jeunes se sont vus distribuer des cartes postales sur lesquelles étaient inscrits «ASSOCIATIONS EN DANGER». Les animateurs proposaient aux jeunes de les remplir. Objet : pourquoi la MJ est importante pour moi. Destinataire : Valérie Lescrenier. L’initiative vient de la Fédération des Maisons de Jeunes en Belgique Francophone (FMJ – la plus grande des trois fédérations du secteur) en coopération avec des fédérations d’Organisations de Jeunesse. Le 1er décembre, Saint-Nicolas (lui-même !) est venu déposer 3500 cartes complétées au cabinet de la Ministre, laquelle a rapidement rappelé que les subsides ne diminueront pas. Ils seront maintenus et même indexés.

 

Céline Lebrun, coordinatrice pédagogique et chargée de communication pour la FMJ, justifie la mobilisation : «Le but de cette campagne est d’interpeller la Ministre de la Jeunesse pour qu’on soit davantage associée aux discussions. Pour l’instant, le dialogue n’existe pas. On a obtenu 15 minutes de rencontre le 1er  décembre. Comme il y a des annonces partout, on ne sait toujours pas concrètement à quelle sauce on va être mangés.» Que ce soit du côté de la Fédération ou des animateur.rice.s eux-mêmes, la première crispation vient du flou dans lequel ils naviguent. Les coupures budgétaires pleuvent autour d’eux et ils commencent à avoir peur pour la stabilité de leurs emplois. 

 

Selon le communiqué de la campagne, une réforme des rôles et des missions des Organisations de Jeunesse et des Centres de Jeunes (parmi lesquels, les MJ) est annoncée dans le cadre d’un chantier de modernisation du secteur. Cela viendrait à la suite de certaines modifications du décret de juillet 2000 (qui commence à être poussiéreux) par la précédente législature, entré en vigueur en 2024. Même si les MJ ne renonceraient pas à quelques simplifications administratives («Le temps d’écrire le dossier, c’est du temps qui n’est pas pris pour les jeunes», nous explique Antoine), la rigueur budgétaire ambiante les pousse à exiger de participer aux négociations. 

 

Céline Lebrun regrette également un «effet groupé de différentes mesures qui entrent par différentes portes d’entrée. Cumulées, elles risquent de mettre en danger pas mal d’associations qui sont déjà dans une certaine fragilité financière.» La coordinatrice cite entre autres la réforme des APE (Aide à la Promotion de l’Emploi). Il s’agit d’une aide financière régionale qui permet au secteur non-marchand et aux pouvoirs locaux d’engager un chercheur d’emploi sous certaines conditions. Les règles et les conditions de ces aides vont être modifiées. Souvent, ce budget est devenu structurel pour les associations. Si les modalités ne sont pas encore clairement annoncées, un bon nombre d’animateurs rencontrés dans la botte du Hainaut ont peur pour leur poste ou celui de leurs collègues. Le secteur des Centres de Jeunes ne verra donc pas son budget grossir lors de cette législature, il est même sûr de perdre quelques plumes. Déplumage complet ou coupe de printemps, les animateurs et les jeunes ne le savent pas encore.