D’un coup sec, le poignet de Théo envoie la petite balle orange vers l’autre côté du terrain. Elle fuse à toute vitesse entre les onze joueurs bleus qui s’agitent frénétiquement sur leur ligne, sans grands espoirs. L’ado de quatorze ans est confiant, il n’a pas volé sa réputation. La balle claque au fond du but adverse. 8-3. Théo et Kimi, son jeune coéquipier, exultent. Ils pourront bientôt ajouter une victoire à leur compteur de la soirée. En face, deux jeunes ados de treize et quatorze ans acceptent la défaite qui s’approche. Cela n’a pas l’air de trop les déranger. Elles ont l’habitude de voir leur camarade masculin fanfaronner. Ce n’est que le début de la soirée, elles auront bien le temps de prendre leur revanche.
Passe à la Maison
Une maison des jeunes est un lieu où une bande d’ados squattent pour jouer au kicker, au billard et parfois même à la Playstation. C’est en tout cas ce qu’on peut se dire en assistant à un moment d’accueil à la Maison des Jeunes de Momignies (MJM), un vendredi de novembre. Il fait glacial à l’extérieur. La petite commune de 5200 habitants a reçu les premières neiges de l’année la veille. Le patelin se situe loin de tous les grands axes ferroviaires et routiers de Belgique, coincé entre Chimay et la frontière française. Le long bâtiment communal qui accueille également le plan de cohésion social de la commune et le club de pétanque du coin semble être un refuge idéal. S’il a l’air austère de l’extérieur, il est on ne peut plus chaleureux à l’intérieur.
Le principe de la soirée est simple. La Maison ouvre ses portes à qui veut, deux animateurs sont là pour accueillir les participants. Une petite dizaine de jeunes entre 11 et 19 ans se retrouvent pour jouer, discuter et faire vivre leur maison. Seul rendez-vous, on cuisine, on mange et on range tous ensemble. Solène est arrivée à la MJ à ses balbutiements, en 2022. Du haut de ses 19 ans, elle est l’aînée du petit groupe rassemblé ce soir-là. Si elle fait ses études à Mons, elle retrouve chaque week-end ce lieu qui l’a aidée à grandir : «J’ai réussi à m’ouvrir aux autres et à nouer plus facilement des contacts. À mon arrivée ici, je croisais peu de jeunes en dehors des cours. Cet espace dédié aux rencontres m’a permis de me sociabiliser davantage et de gagner en confiance.»
Les moments d’accueil permettent aux jeunes de s’approprier le lieu et l’association qui l’entoure, de former un groupe. C’est sans doute la plus grande spécificité des Maisons de Jeunes et la raison pour laquelle elles sont parfois mal comprises : l’objectif est de créer un espace pour les jeunes et par les jeunes. Pour Maud, animatrice dans un Centre de Jeunes (structures qui respectent les mêmes finalités qu’une MJ) du coin, c’est une manière de leur montrer qu’il ne faut pas être adulte pour être un.e citoyen.ne acteur.rice de son environnement : «L’accueil représente le tout premier pas, mais il est souvent le plus crucial. Franchir simplement la porte par la participation, c’est déjà exercer sa citoyenneté. Les jeunes y trouvent un lieu pour exprimer ce qu’ils vivent, y compris des sujets qu’ils ne peuvent aborder avec leurs parents, leurs familles.»
Grandir à Momignies
Selon un audit de la Cour des Comptes, on comptait 163 Maisons de Jeunes réparties sur le territoire de la Communauté Française en 2021. Si elles suivent toutes le même objectif («favoriser le développement d’une citoyenneté critique, active et responsable, principalement chez les jeunes de 12 à 26 ans»1), elles n’ont pas la même réalité. Grandir au cœur de Molenbeek, dans la banlieue carolo ou à Momignies, ce n’est pas pareil. «Comme on est un petit village, il n’y a pas grand-chose. Je pense qu’on a juste un terrain de foot et un club de ping pong. Ici, je peux faire d’autres choses. On fait des pâtisseries, du badminton, des vidéos, des cours de guitare.», explique Arthur, 11 ans. Benjamin du groupe, il en aura 12 au mois de février. Plus tard, il sera magicien et comédien. Peut-être également chanteur et guitariste, s’il a le temps. L’arrivée de la MJM à deux pas de chez lui a ouvert son champ des possibles.
L’accès à la culture et aux pratiques d’expression culturelle sont un moyen privilégié par les Maisons de Jeunes pour construire les citoyens de demain. C’est peut-être encore plus vrai en rase campagne. Les enjeux de mobilité rythment l’organisation quotidienne des Momigniens. La plupart des ados du coin vont au collège à Chimay en 156a ou en E109, les deux lignes de bus qui desservent parcimonieusement la commune. Quand on est dépendant des parents pour se déplacer, les évènements culturels peuvent sembler plus difficiles d’accès : «On se sent souvent bloqué. On sait qu’il y a des concerts et du théâtre un peu partout dans la région mais il y a peu de bus pour s’y rendre. Il y a quand même de quoi faire sur Momignies, il y a le centre culturel et la MJ», témoigne Solène.
Momignies indique en 2023 un risque de pauvreté (proportion de la population de la commune dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté national) de 18,6 %, ce qui la situe dans la moyenne haute du pays. Maintenir un tissu associatif dynamique dans les zones peu peuplées favorise une culture accessible et de proximité. Travailler sur la citoyenneté avec les jeunes du coin peut parfois se résumer à cela : proposer un spectacle, une excursion à Walibi, des cours de guitare, la création de vidéo sur la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale, la visite d’un musée, et bien d’autres choses. Bref, agrandir leur horizon.
1Décret du 20 juillet 2000 déterminant les conditions de reconnaissance et de subventionnement des maisons de jeunes, centres de rencontres et d’hébergement et centres d’information des jeunes et de leurs fédérations.